Peut-on arrêter de blâmer les femmes des joueurs pour leurs mauvaises prestations ?

Entre la “Kardashian Curse”, le cyberharcèlement subi par Ayesha Curry, ou encore l’ex petite amie du joueur du PSG, Warren Zaïre-Emery, être la “femme de” dans le sport, c’est souvent être ignorée dans la victoire, fautive dans la défaite.

Le joueur du PSG Warren Zaïre-Emery et son ex petite amie Océane Toussaint, gardienne au PSG.
Crédit photo : Via Facebook

“Aucune preuve scientifique mais Zaïre-Emery qui se sépare de sa meuf et qui redevient fort”. Sur Twitter, les commentaires vont de bon train : depuis sa séparation avec la gardienne du PSG, Océane Toussaint, le milieu de terrain Warren Zaïre-Emery est de nouveau porté aux nues, après avoir été largement descendu suite à ses mauvaises performances sur le terrain ces derniers temps. Pour les fans, le lien est vite fait : sa baisse de niveau serait le résultat de sa nouvelle relation amoureuse. “Il doit se concentrer, les filles ça va, ça vient,” peut-on ainsi lire sur les réseaux sociaux à son sujet. Un raccourci facile que les supporters du PSG ne sont pas les premiers à faire. Dans le sport, l’amour est-il vraiment synonyme de défaite ?

Une vieille tradition britannique

En 2006, déjà, l’Angleterre faisait de la haine des femmes de footballeurs un sport national. Baptisées les WAGs (Wives And Girlfriends, soit “épouses et petites-amies”), les compagnes des joueurs de l’équipe nationale sont scrutées durant la Coupe du monde 2006 en Allemagne, alors qu’elles sortent et s’amusent de leur côté. Réuni à Baden-Baden pour soutenir leurs partenaires, le groupe – comprenant dans ses rangs Victoria Beckham, Cheryl Cole ou Coleen McLouglin -, enchaîne les Unes des tabloïds, avec, toujours, le traitement médiatique misogyne caractéristique des années 2000. On pouvait par exemple lire dans un article du Daily Mail intitulé “Le monde vide des WAGs” : “Elles ne s’intéressent à rien d’autre qu’aux vêtements, au champagne et à leur reflet. Ainsi qu’à leur bronzage, bien sûr.” 

Si au début, les attaques sont personnelles et ciblent ces femmes pour leur genre et leur classe sociale, (elles sont, à l’image de Coleen McLouglin, souvent issues de milieux populaires), lorsque l’Angleterre est éliminée par le Portugal en quarts de finale, les reproches changent de ton. L’ancien capitaine Rio Ferdinand avait d’ailleurs déclaré que les “WAGs avait fait [d’eux] un cirque”. Dans les colonnes du Guardian, il fulminait : “Les gens se souciaient davantage de ce que elles portaient et où elles sortaient que de l’équipe de football anglaise. Cela s’est ensuite répercuté sur l’équipe.” Préférant blâmer les conjointes que les joueurs eux-mêmes, le sélectionneur Fabio Capello avait annoncé, à l’occasion de la Coupe du monde 2010, que les footballeurs anglais ne seraient plus autorisés qu’à être visités par leurs compagnes qu’une fois par semaine. Résultat ? L’Angleterre est éliminée encore plus tôt lors de cette compétition internationale, ne remportant qu’un seul de ses quatre matchs avant de s’incliner définitivement 4-1 face à l’Allemagne. 

La chasse aux sorcières

Mais ne s’intéresser au phénomène que comme un symptôme des années 2000 serait un peu simpliste. Car si la presse ne cachait alors pas son sexisme, aujourd’hui, les réseaux sociaux ont pris le relais, saupoudrant leurs opinions d’un soupçon de complotisme. On assiste ainsi à la naissance de la “Kardashian Curse”, voulant que n’importe quel athlète ayant une relation avec l’une des célèbres sœurs soit condamné à l’échec sportif. En effet, sur la toile, les internautes établissent un lien entre les mauvaises performances des joueurs de basketball américains comme Kris Humphries, Blake Griffin, Lamar Odom ou Tristan Thompson, suite à leurs histoires respectives avec Kim, Kendall et Khloé Kardashian. Pourtant, à y regarder de plus près, Blake Griffin a simplement pris de l’âge, Lamar Odom a lui-même ruiné sa carrière à cause de ses addictions à la drogue et Tristan Thompson a lui même créé un environnement familial toxique et peu favorable au bon jeu en enchaînant les tromperies. Pourquoi alors impute-t-on à l’un des seuls exemples médiatiques de matriarchie la responsabilité de l’échec masculin ? 

Pour la journaliste féministe Katie Anderton, “Le mythe de la sorcière Kardashian, ou « malédiction Kardashian », comme toutes les théories irrationnelles sur les sorcières, trouve son origine dans la peur des femmes puissantes et indépendantes”. Pour Médium, elle détaille un système à deux vitesses : “Dans la société, les femmes sont encore accusées de chercher à atteindre le sommet de manière contraire à l’éthique. Le flirt, le sexe, les pleurs et même la sorcellerie sont suggérés bien avant le travail acharné. De même, lorsqu’une femme échoue ou traverse des moments difficiles, c’est toujours elle qui est responsable. Pour les hommes, c’est le contraire.Tout succès qu’ils obtiennent est le fruit de leur travail acharné et de leur persévérance. Leurs échecs et leurs difficultés sont généralement imputés aux femmes de leur entourage : mères, petites amies, épouses, filles. C’est de la misogynie classique.” 

Une réussite menaçante

Une misogynie qui prend ses aises sur la toile, fief d’un bon nombre de discours masculiniste. Alors quand on mêle femmes et sport, Internet s’emballe. Bien qu’elle soit une superstar de la pop, pour les amateurs de football américain, depuis 2023, Taylor Swift est avant tout la compagne du champion de la NFL, Travis Kelce. En effet, les supporters des Chiefs de Kansas City reprochent à la chanteuse d’être une distraction à l’origine des récentes défaites de son compagnon, dont l’équipe a perdu lors du dernier Super Bowl. Rappelons d’ailleurs que la chanteuse a été huée lors de l’événement car en soutenant l’équipe de son partenaire, elle a tourné le dos à celle de sa ville natale, Philadelphie, qui a remporté le match face à celle de Kansas City. 

Blâmée pour les mauvaises prestations de son fiancé, Taylor Swift a tout de même rapporté gros à la franchise. Depuis qu’elle a commencé à assister régulièrement aux matchs de son petit-ami, la NFL a connu la plus forte audience féminine en saison régulière depuis 2000, et environ 330 millions de dollars de valeur de marque ont été ajoutés aux Chiefs et à la ligue en 2024, selon une étude de l’Apex Marketing Group. Taylor Swift est également accusée de “ruiner le football” et de tirer la couverture à elle en montrant publiquement son soutien à Travis Kelce : pourtant, d’après le New York Times, elle est apparue en moyenne moins de 25 secondes par match à l’écran. Dans les années 1990, le monde du cricket avait connu un cas plus ou moins similaire. Mariée au capitaine indien Nawab Mansur Ali Khan Pataudi, l’actrice Sharmila Tagore avait déclaré qu’elle n’accompagnerait pas son mari en tournée à l’étranger, même si elle le souhaitait. “À une ou deux reprises, on m’a accusée d’être responsable de sa mauvaise performance.” Une habitude qui ne date pas d’hier, donc. 

La femme, un moyen pour atteindre l’homme ? 

Si la chanteuse est habituée aux critiques, qui ont débuté bien avant sa relation, cela est loin d’être le cas de toutes les compagnes de sportifs. Sophia Havertz, épouse alors enceinte du joueur d’Arsenal Kai Havertz a été, elle aussi, tenue pour responsable de l’échec de son compagnon lors d’une séance de tir au but face à Manchester United lors de la FA Cup, en janvier dernier. Et a reçu des messages privés abjects, qu’elle a affichés en story. On pouvait y lire : “J’espère que tu feras une fausse couche,” ou encore “Je vais venir chez toi et abattre ton bébé, je ne plaisante pas, attends tu verras”. Arsenal a signalé les abus à la police et a assuré travailler avec une société de données spécialisée pour tenter d’identifier les coupables. 

Crédit photo : Capture d’écran d’une story de Sophia Havertz

Même lorsque les performances de leur mari sont exemplaires, les femmes de sportifs restent un problème aux yeux des fans. La compagne du basketteur Stephen Curry, Ayesha Curry en fait d’ailleurs régulièrement les frais. Dernier drama en date ? Ayesha Curry a admis ne pas avoir toujours voulu des enfants. Invitée du podcast Call Her Daddy, elle avoue : “Je ne voulais pas d’enfants . Je ne voulais pas me marier. Je pensais que j’allais faire carrière, un point c’est tout, et puis c’est arrivé si tôt. Je n’avais même plus le temps de réfléchir à ce que je voulais.” De quoi énerver les fans, qui estiment qu’avec ces déclarations, la femme de 36 ans nuit à l’image de celui qui partage sa vie depuis 14 ans. “Arrêtez de faire honte à votre homme et consultez un professionnel de la santé mentale pour le bien de votre famille,” peut-on ainsi lire sous le post instagram du podcast, quand sur Twitter, une vague de posts incitent le basketteur à divorcer, insinuant qu’Ayesha Curry devrait être plus reconnaissante de la vie que son époux lui offre. Sans jamais envisager que, par amour et sacrifice, la jeune femme a abandonner toutes ses ambitions au profit de celle de son mari. Pour la professeure à l’Université de Calgary, Jessalyn Keller, “les compagnes des athlètes sont des cibles faciles en raison des idées patriarcales qui continuent de régir notre société. Quand une remarque sexiste est faite à une femme, c’est avant tout pour faire réagir son mari. La personne qui fait cette remarque part du principe qu’en l’insultant elle, on blesse son mari, sous-entendant qu’il la possède.” 

@callherdaddy

We’ve got @ayeshacurry in the studio 👏Ayesha opens up about motherhood impacting her identity, adapting to timeline changes, her relationship with Steph and navigating her early 20’s. WEDNESDAY

♬ original sound – Call Her Daddy

De meilleures performances

Si elles sont fréquemment accusées d’être à l’origine des ratés de leurs compagnons, les femmes de sportifs sont en réalité souvent citées par leurs conjoints comme la raison de leurs bonnes performances. Dans le documentaire qui lui est consacré sur Netflix, David Beckham assume que, lors des soirs de match, “lever les yeux vers les tribunes et voir Victoria était la seule chose qui [le] motivait”. Candice Warner, épouse du joueur de cricket australien David Warner l’assure : “Nous faisons beaucoup de choses en coulisses”. En réponse au commentateur de cricket et ancien joueur international Ian Healy qui a imputé la mauvaise performance de l’Australie aux Ashes en août dernier au groupe de WAG qui voyageait avec l’équipe, elle a déclaré au Daily Mail : “Les gens ne savent pas tout ce que nous faisons pour aider les garçons à entrer sur le terrain et s’assurer qu’ils sont dans un bon état d’esprit. Il s’agit de les préparer, de les mettre sur le terrain et de s’assurer qu’ils sont prêts à 100 %. Je pense que beaucoup de [joueurs de cricket] seraient très mécontents si leurs enfants ou leurs partenaires n’étaient pas là.” Elle a également été rejointe par le capitaine Michael Clarke, qui s’est agacé : “Les femmes et les petites amies en tournée sont une distraction pour nous… quelle connerie !”

En effet : il s’agit là d’une belle connerie. Dans une étude de PubMed Centrale datant de 2017, vingt athlètes olympiques de différents sports ont été interrogés durant les Jeux, afin de comprendre si leurs performances étaient meilleures lorsqu’ils étaient amoureux. 15 d’entre eux ont affirmé que oui. Cette même étude a montré que les personnes en couple ont tendance à avoir une motivation, une concentration et une estime de soi supérieures, ce qui peut contribuer à améliorer leurs performances sportives. Bien évidemment, un conflit amoureux, de même que la maladie d’un parent ou un problème financier peuvent affecter les performances. Cela n’est absolument pas propre aux relations amoureuses. Ainsi, faire le lien entre mauvaise performance sportive et partenaire (notamment féminine) serait donc de la misogynie pure et dure. Pas besoin de se cacher derrière des arguments biologiques ou logiques. Et si vous en doutez, faites comme la PubMed Centrale : posez donc la question aux athlètes eux-mêmes.

27 octobre 2025

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