Aya Nakamura aux JO, c’est le Haut Niveau

Entre misogynoire, banderole raciste de la part de l’extrême droite… la dernière sortie d’Emmanuel Macron qui rêverait de faire chanter du Edith Piaf à l’interprète de “Djadja”, met le pays face à ses démons.

“Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako”. Voici le slogan affiché sur une banderole devant les bords de Seine par le collectif d’extrême droite Les Natifs, dont plusieurs membres sont issus de Génération Identitaire, groupuscule dissous en 2021 par le gouvernement. Et il ne suffit pas de regarder les réactions de l’extrême droite depuis la révélation dans la presse, du souhait d’Emmanuel Macron de voir Aya Nakamura interpréter du Edith Piaf en ouverture des Jeux Olympiques 2024, pour prendre la température du racisme en France. Depuis une semaine on assiste à des débats sur les plateaux télé et sur Twitter qui mettent en exergue la misogynoire décomplexée de nombreux détracteurs. Ainsi que leurs mépris de classe.

Symbole des « meufs comme elle »

Si pour une certaine partie de la France, Aya Nakamura est un phénomène incompréhensible, pour une autre, elle est devenue le symbole “des meufs comme elle”. Maman célibataire de deux enfants, la chanteuse aux dix ans de carrière, n’a jamais cherché à être quelqu’un d’autre pour plaire au star-system. C’est ainsi qu’elle remettra en place sur Twitter le présentateur Nikos qui écorchera son nom lors des NRJ Music Awards de 2018. C’est ainsi aussi qu’on la voit répondre au micro du chroniqueur Loïc Prigent, feintant à peine de savoir à son tour, prononcer correctement le nom de la marque qui l’a invitée à un défilé de la Fashion Week. Et quand le journaliste lui demande son avis sur les sculptures du décor, là encore, Aya Nakamura affiche une moue dubitative. Si certains interpréteront ces réactions comme de l’arrogance, c’est ce comportement -bah-ouais- très “nature-peinture” qui la rapproche de son public.

À GQ elle confiera d’ailleurs : « Aux NRJ Music Awards, j’ai compris à quel point les gens étaient presque dégoûtés par mon langage. Ils se disaient: “Mais qu’est-ce que c’est que cette nana? D’où elle sort?” Ils n’avaient peut-être jamais croisé de meufs comme moi. » Et les meufs comme elle, ce sont toutes ces filles qui ont grandi avec des codes sociaux différents, et qui sont exposées aux préjugées qu’on projette sur elles. Véritable symbole de réussite, elle est devenue le modèle de femme qui s’impose dans une industrie à majorité masculine. Un exemple d’indépendance financière et de confiance en soi qu’elle retranscrit dans ses lyrics : « J’fais mon biff et j’me débrouille toute seule » (Biff, 2020).

« Nous, en grandissant, on avait très peu de modèles de femmes noires en France. C’était beaucoup les stars des États- Unis. La popularité d’Aya est une fierté pour nous. Elle vient des quartiers populaires, elle parle comme nous. La majorité des jeunes aujourd’hui s’expriment en argot au quotidien, pour nous c’est normal. », nous confie Eldie, 18 ans, et qui a grandi dans le quartier populaire de la Goutte d’Or à Paris. Fan d’Aya depuis ses débuts, elle s’identifie à l’artiste : Aya n’est pas Beyoncé, ni Rihanna. Elle n’est pas cet American Dream qui s’essouffle, mais bien le French Dream d’une partie de la jeunesse française.

Pourquoi l’argot ne serait-il pas du français ?

« Pookie », « dead ça » et « y’a R »… Voici les expressions reprochées à Aya Nakamura. Elle écrirait moins bien que Piaf. Les réactionnaires brandissent l’argument de la légèreté de ses textes comme un drapeau rouge, sans le blanc et le bleu qui vont avec. Opposant l’argot à la langue française alors qu’il vient l’enrichir. Oubliant qu’il témoigne de l’époque et d’une émancipation des règles conventionnelles. Qu’il est aussi une revanche de la langue des immigrés. Qu’il est une victoire. Tout comme celles qui seront célébrées aux Jeux Olympiques de Paris.

Mais il suffit de re-jeter un oeil à la banderole des Natifs pour voir qu’on oppose Paris à un marché de Bamako et non à Bamako tout court. Qu’on rapetisse tout ce qui est grand ailleurs.

Aya Nakamura lors de son concert à l’Accor Arena en juin 2023
Crédit photo : GUMAAAAX

Un mépris saupoudré de white-washing

La participation d’Aya à la cérémonie des JO ne vient pas non plus sans condition. Sans un petit coup de white-washing » (effacer ce qui la rapporte à sa noirité, chercher à ajouter un soupçon de blancheur, NDLR). Aya doit chanter Piaf. Pour plaire à une tout autre audience, elle doit « nettoyer » son style : l’habiller en blanc, lui faire un maquillage plus léger ou encore faire tomber ses faux ongles. Comme dans la récente campagne publicitaire Lancôme, et pour laquelle Aya Nakamura est égérie. Retirer des bouts de son identité, comme des pièces manquantes au puzzle Aya Nakamura, c’est ce que l’autrice Douce Dibondo appelle la charge raciale, concept forgé par l’universitaire Maboula Soumahoro.

À cela s’ajoute une dose de misogynoire. Sur Twitter on ne veut pas “d’une fille vulgaire qui twerk“. Faisant le raccourci immédiat entre la femme noire et ses fesses. Sexualisant son corps, l’associant immédiatement au registre du vulgaire. Même si ces mêmes internautes n’ont peut-être jamais vu Aya Nakamura twerker. « (…) les utilisateurs des réseaux sociaux ne cachent même plus leur racisme. Ils n’en ont rien à faire de sa musique, c’est le fait qu’ils ne veulent pas être représentés pas une femme noire qui les dérangent. », nous explique le compte fan @nakasupremacy qui répond à chaque détracteur sur Twitter.

Superstar et super collabs

Artiste française la plus écoutée dans le monde, Aya Nakamura est indéniablement la chanteuse française la plus populaire de sa génération. Sur les réseaux sociaux, Madonna et Neymar, se filment en train de danser sur ses hits. La rappeuse américaine Megan Thee Stallion, ou encore la fille de Kim Kardashian et Kanye West, North West ont elles, été aperçues avec le t-shirt ‘La Nakamurance’ issu de la collab entre la maison de luxe Balenciaga et la chanteuse. En 2022, c’est Alicia Keys qui l’invite à performer Djadja en duo lors de son concert à l’Accor Arena.

Chouchou des stars, «Aya Nakamura est la chanteuse française la plus populaire à l’étranger, exactement comme l’était Édith Piaf à son époque. Et pour un évènement d’envergure internationale comme la cérémonie d’ouverture des JO, il ne me parait pas totalement absurde de faire appel à une artiste qui jouit d’une telle notoriété.», déclare Elisabeth Philippe, journaliste littéraire, au micro de France Culture.

Un rappel qu’Aya Nakamura aux JO, c’est tout autant le Haut Niveau.

10 mars 2024

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