Dans le rap français, les mères restent rares. La nouvelle saison de Nouvelle École sur Netflix change la donne avec Eve La Marka et Ziena.

Crédit photo : Netflix France
Dans le rap français, les mères restent une exception. Si les femmes y trouvent peu à peu leur place, rares sont celles qui affichent ouvertement leur maternité dans un milieu encore marqué par des codes virils et une exigence de disponibilité totale. Entre studios, tournées et réseaux sociaux, concilier carrière artistique et vie de famille relève souvent du parcours du combattant. Pourtant, ces artistes mères, encore peu visibles, redéfinissent peu à peu les contours d’un rap plus authentique.La nouvelle saison de Nouvelle École sur Netflix en est la preuve : deux candidatesn Ziena et Eve La Marka, y assument fièrement leur rôle de mères tout en défendant leur talent sur scène. Une visibilité rare, qui ouvre la voie à une représentation plus complète et plus authentique des femmes dans le rap, entre ambition artistique et vie personnelle.
Le faire pour eux, mais aussi pour soi
Soyons honnêtes : être une femme et candidater à Nouvelle Ecole, c’est risqué. Nayra s’en souvient encore, Soumeya aussi. Peu nombreuses parmi les sélectionnées, elles n’arrivent jamais bien loin (à l’exception de Leys, qui a atteint la finale en saison 1). Pour Eve La Marka, tout, dans le rap, cherche à leur mettre la pression : “On en attend encore plus de nous. En tant que femme dans le rap, on doit être un « produit fini » : avoir un style, un physique, en plus d’un talent musical. Ce qui, selon moi, est moins exigé des hommes, pour qui le public et l’industrie se montrent souvent plus indulgents, analyse-t-elle. Voilà pourquoi d’ailleurs son profil et celui d’une autre participante, Virtualgie, a étonné, puisque ce sont déjà des rappeuses connues du milieu parisien et avec une carrière entamée.
En tant que femme, on est particulièrement exposées aux attaques et aux jugements de valeur, qu’on ait un enfant ou pas. Quitte à déranger certains, j’ai fait le choix de montrer mon quotidien tel qu’il est, dans sa réalité ». Maman d’un petit Issa, Eve La Marka annonce la couleur dès son portrait, en montrant sa vie avec son fils. Si elle avoue face caméra vouloir aller le plus loin possible dans la musique pour lui offrir le futur le plus brillant possible, elle est revenue pour nous sur son ambition, liée à sa famille, certes, mais pas uniquement. “J’essaie de me rappeler que je fais aussi tout ça pour lui, pour lui offrir un avenir meilleur. Même si c’est avant tout pour moi. Je pense qu’une mère qui s’accomplit ne peut qu’être que plus épanouie et transmettre à son enfant une présence plus solide et un amour encore plus fort ». Un message qui résonne particulièrement dans un monde où l’on imagine qu’une mère se coupe de son individualité à la naissance de son enfant.
Alors évidemment, on assumant être à la fois mère et artiste, elle le sait : Eve s’expose aux retours négatifs. “Je suis consciente des critiques que je peux recevoir en mettant mon fils en avant dans ce genre de programme, admet-elle, Souvent, les gens sont surpris, parce qu’il y a encore peu de jeunes mamans dans l’industrie et encore moins dans le rap. C’est justement pour ça que c’est important pour moi de le mettre en avant.” Et elle n’est pas la seule. Dans une récente interview Aya Nakamura avouait d’ailleurs, que ses premiers producteurs lui avaient demandé de faire un choix entre sa carrière ou sa première grossesse lors de sa vingtaine.
Dans Nouvelle École, elles sont deux à endosser le rôle de mère. Chose rare dans un programme de rap français. Dans l’épisode 4 de cette dernière saison, c’est son adversaire de la Team SDM, Ziena, qui confie être elle aussi maman, d’une petite fille. Filmée chez elle, elle promet à son enfant : “Je t’ai toujours dit : ma fille, je vais changer ma vie”. Pour Netflix, elle confie : “Quand t’es une maman célibataire, et que tu dois tout gérer toute seule, c’est beaucoup de pression, on ne se rend pas compte. Mais c’est vraiment la plus belle des bénédictions. Je veux lui apprendre que tout se mérite dans la vie, qu’il faut travailler, toutes ces valeurs importantes… Et juste améliorer sa qualité de vie. Je le fais pour elle, pour qu’elle soit fière de moi, et puis pour que des ambitions que j’ai depuis petite aboutissent, comme mettre ma famille à l’abri.Mais j’ai besoin déjà de me prouver à moi que je suis capable de me dépasser.”
Une pression de plus
Si la présence de leurs enfants ne les quitte jamais, la culpabilité non plus. Poursuivre ses rêves, n’est-ce pas un peu égoïste après tout ? Une question que les hommes se posent rarement, mais qui tourne en boucle dans la tête des jeunes mamans. “Être loin de mon fils est toujours une vraie épreuve, parce que je dois gérer à la fois le manque et la culpabilité de le laisser,” confie Eve La Marka. À cette culpabilité maternelle s’ajoute un double-standard, appliqué à de nombreux domaines de la vie d’artiste émergente, à la fois mère, femme, et rappeuse.
“En tant que maman, c’est encore plus délicat : si on correspond toujours aux standards de beauté après une grossesse, ça crée parfois une forme d’admiration. Mais si on garde des marques de maternité, on peut très vite être pointée du doigt avec des remarques misogynes », explique l’interprète de “Bayonetta”. « Je suis tombée enceinte à un moment où je n’avais plus de maison de disque, plus de producteur, plus de manager. Je sortais d’un contrat difficile, au point où je pensais arrêter la musique. Mais une fois mon bébé dans les bras, j’ai très vite retrouvé l’envie de créer et la force de me remettre au travail. Ça a été compliqué de trouver des collaborateurs à cette période : mon téléphone ne sonnait plus, j’enchaînais les « ghostings ». Personne ne me l’a dit clairement, mais je suis convaincue qu’une femme devient moins « bankable » dans l’industrie après avoir eu un enfant.”
Continuer de se battre en tant qu’artiste, subvenir aux besoins de son enfant, assumer son corps et son image après une grossesse… Tant de facteurs qui, il y a encore quelques années, n’étaient jamais ne serait-ce qu’évoqués. Heureusement, quelques gros noms de l’entertainement on dit “stop” au tabou de la maternité, encourageant toute une nouvelle génération d’artistes à revendiquer, elles aussi, leurs grossesses et enfants. “Comme beaucoup de femmes, j’ai été inspirée par la façon dont Rihanna a mis en avant ses grossesses. Cette « glamourisation » de la maternité m’a parfois aidée à me sentir belle enceinte, détaille la candidate de SCH.
« Je pense aussi à Adèle Exarchopoulos, qui est tombée enceinte très jeune sans que ça ne freine sa carrière au cinéma.” Dès lors, quand on lui demande si elle a hésité avant de dévoiler l’existence de son fils à la production de Nouvelle École, c’est particulièrement confiante qu’Eve La Marka nous répond : “Je n’hésite jamais à dire que je suis maman, car mon fils est ma plus grande fierté. Ça peut paraître un peu « cheesy » comme réponse, mais c’est la vérité ! Je serais vraiment fière si ce choix de parler de mon enfant dans Nouvelle École pouvait donner envie à d’autres jeunes mamans, et à toutes les femmes d’ailleurs, d’assumer qui elles sont, d’aller au bout de leurs ambitions, peu importe les limites que la société essaie de nous mettre dans la tête.”
Deux fois plus de taf
Pourtant, les deux mamans le savent : elles devront non seulement faire leurs preuves en tant que femme dans un milieu peu acquis à leur cause, mais aussi, malgré tout, concilier leurs ambitions avec leur rôle de mère. Dans sa story, Ziena (que nous avons tenté de contacter) met d’ailleurs les choses : “Je bosse entre les cours et les examens qui arrivent à grands pas, je suis maman donc je n’ai pas le même train de vie, mais peu importe, je suis IN et je compte bien le rester ». Difficile de ne se consacrer qu’à la musique lorsqu’on cumule les responsabilités. “Ce serait mentir de dire qu’être maman et artiste est facile. Comme toutes les mamans qui travaillent, ça demande beaucoup d’organisation et pas mal d’heures de sommeil en moins, rappelle Eve La Marka, Mais la force et la discipline que mon fils m’apporte chaque jour sont inestimables.”
Heureusement, dans leur parcours dans Nouvelle École comme dans la vie, les mamans se serrent les coudes. Si Eve nous rappelle que “le concept du versus SDM/SCH n’a pas vraiment aidé à ce que les deux équipes se mélangent au début”, elle a été heureuse d’apprendre que Ziena était aussi maman. “C’est vrai que la maternité crée une forme de sororité, en général, entre mamans, mais aussi avec des femmes qui n’ont pas d’enfants. C’est une vraie force, un lien qui rapproche ». Si elle a su faire de sa vie de mère un moteur dans son travail, quand on lui parle plus largement de la (encore trop) faible présence des femmes dans son milieu, Eve La Marka décide, une nouvelle fois, de faire de cette rareté un atout : “Le fait qu’il y ait encore peu de femmes dans le rap attire forcément l’attention : on interpelle plus facilement le public, et on a plus de chances de se démarquer dans un milieu saturé d’hommes ». N’en déplaise à Zedié.
13 novembre 2025