En 2023, où en est la responsabilité de l’industrie de la mode face aux Ouïghours ?

Entre les manifestations en Chine contre la persécution du peuple musulman et les nouvelles révélations sur la marque SHEIN, faisons le point.

En 2021, la créatrice sino-suédoise Louise Xin consacre son premier défilé de mode numérique à la communauté ouïghoure – Crédit photo : Emma Grann

Cela fera bientôt trois ans que l’ASPI (l’Institut australien de stratégie politique) a publié un rapport dénonçant de nombreuses entreprises internationales, qui profitaient de l’exploitation de la main-d’œuvre ouïghoure. En collaborant avec des usines où des ressortissants de ce peuple devaient travailler de force, ces entreprises sont accusées de s’être rendues complices de leur persécution. Cette exploitation fait partie de la politique génocidaire (menée par le gouvernement chinois depuis les années 2010) que subissent les Ouïghours dans la région du Xinjiang. La liste de l’ASPI, reprise en France sous le nom de liste de la honte, mentionnait de nombreuses marques de mode et s’est allongée depuis. Beaucoup ont nié ces accusations, d’autres sont restées silencieuses.

En 2022, la répression continue, comme l’a rappelé un drame le 24 novembre dans la capitale du Xinjiang : 10 personnes ouïghoures sont mortes dans un incendie. Elles n’ont pas pu quitter leurs appartements à cause de la politique “Zéro Covid” du gouvernement, particulièrement stricte pour les Ouïghours. Depuis, des manifestants Ouïghours, chinois et à l’international communiquent leur indignation, et les entreprises accusées de profiter de l’exploitation de ce peuple sont à nouveau sous les projecteurs. Où en est la mode sur cet enjeu ?

Chez les marques

En 2021, la Human Rights Foundation (HRF) lance « Uyghur Forced Labor Checker », une extension Google Chrome qui permet aux consommateurs de savoir si les marques de vêtements qu’ils achètent ont recours au travail forcé ouïghour

Le sujet a aussi été relancé dans l’industrie fin novembre, lorsque le média Bloomberg a sorti une enquête prouvant que SHEIN, géant de l’ultra fast fashion, utilisait du coton produit dans la région du Xinjiang et donc lié à l’exploitation des Oïughours. Une nouvelle polémique pour cette marque basée en Chine réputée pour son impact écologique et environnemental catastrophique. Mais SHEIN est-il l’arbre qui cache la forêt ? C’est ce qu’explique le compte Paye Ton Influence, qui réitère que 20% du coton mondial provient du Xinjiang et de très nombreuses marques listées par l’ASPI en 2020* n’ont jamais répondu aux accusations, ou affirmé ne pas/plus collaborer avec des fournisseurs du Xinjiang sans apporter de preuves suffisantes. D’après Fashion Network, c’était encore le cas de Authentic Brands, Fila, Dangerfield, CostCo, Cerruti 1881, Skechers, Caterpillar, Zegan, Li-Ning, L.L. Bean, Jeanswest (Harbour Guidance), Jack&Jones (Bestseller) ou Major, début 2022.

Puma, adidas et Hugo Boss avaient déclaré la fin de toute collaboration avec des fournisseurs du Xinjiang mais étaient à nouveau suspectés en mai dernier. Le groupe espagnol Inditex (qui possède Zara, Bershka, Stradivarius, Pull&Bear, Massimo Dutti, Oysho, Zara Home et Uterqüe), le japonais Uniqlo et le français SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot et De Fursac) sont sous le coup d’une plainte pour recel de crime contre l’humanité, déposée en juin 2021 à la justice française par le collectif Éthique sur l’étiquette, l’association Sherpa et l’Institut ouïghour d’Europe et une rescapée ouïghoure. En mai dernier, le hashtag #FreeUyghurs innondait un post de Nike, indiquant que le public n’est pas convaincu par les déclarations de la marque qui dès mars 2021 assurait avoir revu ses chaines de productions en Chine.

« Nike ne s’approvisionne pas en produits provenant de la région XUAR et nous avons confirmé à nos fournisseurs contractuels qu’ils n’utilisent pas de textiles ou de fils filés provenant de cette région. … Nous avons mené une enquête permanente auprès de nos fournisseurs en Chine afin d’identifier et d’évaluer les risques potentiels de travail forcé liés à l’emploi de Ouïghours, ou d’autres minorités ethniques de la région autonome du Xinjiang, dans d’autres parties de la Chine », expliquait la virgule dans un communiqué.

Que dit l’industrie ?

Louise Xin fait partie des rares créatrices à susciter quelques parutions presse mode pour son combat
Crédit photo : Emma Grann

Depuis le début du scandale en 2020, des médias mode ont traité le sujet, surtout dans la presse dite généraliste et féminine (Elle ou Marie Claire) mais très peu dans les médias uniquement axés sur la mode. Condé Nast, l’un des plus grands groupes de l’industrie, en a parlé dans Teen Vogue, mais peu dans son titre phare, le Vogue US ou même l’édition française. Finalement, les médias indépendants (comme Antidote ou ANCRÉ) et la presse professionnelle (Vogue Business, Fashion Network ou Business of Fashion) ont évoqué le plus le sujet sur leurs plateformes. Et si quelques personnalités de l’industrie se sont vivement exprimées, de nombreux influenceurs et influenceuses continuent de collaborer avec des marques incriminées par « la liste de la honte ».

Il faut des lois

Crédit photo : Associated Press

Difficile de savoir si les marques incriminées ont réellement changé leurs pratiques, même quand elles l’affirment, à cause leur manque de transparence et de l’absence de législation pour les forcer à faire mieux. Mais la situation change : les États-Unis ont lancé début juin un “Import Ban”, qui consiste à saisir les productions chinoises dont les composants viennent du Xinjiang.

La Commission européenne débat actuellement d’une mesure similaire (qui interdirait en Europe les produits issus de l’exploitation des Ouïghours), poussée par des députés engagés et des activistes pour les droits de l’Homme. En juin, le Parlement Européen a adopté une résolution condamnant les crimes contre l’humanité envers les Ouïghours et préconisant à Bruxelles de mettre en place « un nouveau dispositif commercial afin d’interdire les produits issus du travail forcé dans l’Union européenne ». Reste maintenant à concrétiser. Du côté de la France, si le gouvernement reconnaît le génocide Ouïghour depuis janvier 2022, la chercheuse Dilnur Reyhan affirme sur Instagram : “Le combat continue, car le gouvernement français n’a encore rien fait de concret, l’Europe fait des yeux doux au régime génocidaire chinois dans le contexte de guerre en Ukraine, et le génocide continue de plus belle contre le peuple ouïghour.

Pour suivre les actualités du combat Ouïghour, ANCRÉ vous conseille de suivre Ouïghours NewsDilnur Reyhanl’Institut Ouïghour d’Europe et Paye Ton Influence.

*Notamment : Adidas, H&M, COS, Weekday, Monki, H&M HOME, &Other Stories, ARKET, AFound, Lacoste, Nike, Zara, Bershka, Massimo Dutti, Oysho, Pull & Bear, Uterqüe, Stradivarius, Alexander McQueen, Balenciaga, Bottega Veneta, Brioni, Gucci, Yves Saint Laurent, Tommy Hilfiger, Calvin Klein, Amazon, Puma, Ikea, Uniqlo, Muji, GAP, C&A, Patagonia, Cotton on, Carter’s, Badger Sport, Esprit, Abercrombie & Fitch, Polo Ralph Lauren, Target Australia, Victoria’s Secret, Woolworths, Maje, Claudie Pierlot, Sandro, De Fursac, Hart Schaffner Marx, Fila, Dangerfield, Costco, Cerruti 1881, Skechers, Summit Resource International, Zegna, Hugo Boss, Asics, Li-Ning, L.L.Bean, Jeanswest, Jack & Jones, Major, Marks & Spencer

Previous Article

Daily Paper rend hommage au Maroc dans sa dernière collection

Next Article

Changer la couleur de ses yeux : l'opération de tous les dangers ?

Related Posts