À l’occasion de la sortie de son album « Queen », on a discuté musique, baby blues et égalité des genres avec Maureen.

26 ans, et déjà tout un royaume à ses pieds. En 2019, Maureen, jeune artiste originaire de la Martinique, fait l’effet d’une bombe avec « Flex », puis quelques mois plus tard avec « Tic », deux titres de shatta, un genre qu’elle a popularisé en dehors des Antilles, faisant même marcher Bella Hadid au rythme de ses punchlines lors de la Fashion Week. Nominée aux BET Awards dans la catégorie « meilleur nouvel artiste international » en 2023, lauréate du « meilleur titre caribéen » lors des Flammes la même année, Maureen raffle tout sur son passage. En 2024, elle sort son premier EP, « Bad Queen », qui la propulse directement en haut des charts, comme l’une des artistes martiniquaises les plus écoutées au monde. Devenue maman depuis, elle vient de sortir son tout premier album, sobrement intitulé « Queen », dans lequel elle nous fait autant danser que réflechir, en osant aborder des sujets complexes comme la santé mentale, le consentement ou la maternité. Recontre avec une artiste engagée, aussi solaire que révoltée.

ANCRÉ : Ton précédent projet s’appelait “BAD QUEEN”, et ton premier album, simplement “QUEEN”. Est-ce que ça veut dire que tu t’es assagie ?
Maureen : Je ne dirai pas que je me suis assagie, plutôt qu’aujourd’hui, je me sens un peu plus ancrée. Je dirai que j’ai trouvé mon juste milieu entre la “bad queen” et la “queen”. C’est mon yin et mon yang : l’un n’existe pas sans l’autre.
C’est quoi être une queen pour toi ?
Maureen : Ca signifie beaucoup de choses, c’est un mot vraiment très fort. Chaque femme est une “queen” pour moi, et doit trouver la “queen” qui est en elle. Être une queen, c’est rester vraie quand tout le monde veut te changer. C’est pouvoir se regarder dans la glace et se dire “je suis fière de toi, je suis fière de ce que tu as accompli”. Peu importe les difficultés. C’est transformer sa vulnérabilité en puissance. C’est pouvoir être forte, indépendante. Apaisante, bienveillante aussi. Surtout, c’est être en harmonie avec soi-même, en paix avec qui on est. Pouvoir s’aimer, parce que s’aimer, c’est la clé de tout.
Une “queen”, c’est celle qui garde la tête haute malgré la difficulté. Même quand personne ne voit nos compétences, ne réalise nos batailles. Parce que, au bout du compte, même quand on a des résultats vis-à-vis de notre travail, c’est parce qu’on a travaillé d’arrache-pieds, beaucoup de personnes vont juger ou critiquer sans savoir les nuits blanches, sans connaître les émotions par lesquelles on est passés. Être une queen, c’est faire face à tout ça et garder la tête haute, ne jamais baisser sa tête. Être ancrée avec soi-même, être une femme forte, une femme qui s’aime, une femme pleine de valeurs, de principes. Et qui sait ce qu’elle veut, surtout.

On dit souvent que les mères sont des reines. Tu es récemment devenue maman, est ce que tu confirmes ? Qu’est ce que ta maternité a changé, notamment dans ton rapport à toi même, à ton corps, à ta musique ?
Maureen : Franchement, je pense qu’on peut dire que les mères sont des reines. (rires) Je ne parle pas de moi spécialement, mais dans la globalité. Être une maman, c’est avoir énormément de casquettes. Ce n’est pas facile tous les jours, et pourtant, on doit pouvoir trouver la force de se dire : “Tu vas y arriver, tu peux le faire. Tu es une bonne maman”. On apprend avec le temps, on doit réussir à savoir lâcher prise, et ça c’est un long travail. Pour pouvoir se dire que la perfection, tout simplement, n’existe pas. Surtout quand c’est le premier petit qu’on a. Avec le temps, on évolue, on apprend, on grandit, on devient une meilleure mère.
Je dirai que la maternité m’a beaucoup changée, dans le sens où ça m’a motivée à donner encore plus le meilleur de moi-même, que ce soit sur le plan personnel, au niveau professionnel ou dans mon rôle de mère. Ça m’a aussi motivée à aller soigner mes blessures passées. Parfois, on a des traumatismes qu’on n’ose pas soigner ou qu’on met dans un coin de notre tête, et la vie continue… La maternité m’a encouragée à aller guérir ces petites choses, parce que j’estime qu’un enfant n’a pas à subir les inquiétudes de ses parents. Et je pense que prendre soin de soi aide à devenir la meilleure personne pour ses enfants.

Mon corps, il a changé. Mais je suis OK avec ça. La maternité m’a appris à m’aimer plus que jamais, parce que j’ai donné la vie, et ce n’est pas rien. Par contre, je suis toujours restée moi-même, parce que, pour moi, c’est important. Ça n’a pas vraiment changé quelque chose par rapport à ma musique. Ça m’a juste donné la niaque de continuer à bosser d’arrache-pieds, de donner encore plus. La maternité m’a apporté beaucoup de choses positives et m’a permis de grandir, de prendre des choses avec beaucoup plus de recul. Ça m’a permis d’évoluer en tant que personne, ça m’a permis d’évoluer dans ma spiritualité, dans ma mentalité, dans ma façon de voir les choses et de faire les choses.
Tu as une image très “bad bitch” revendiquée, super assumée. Est-ce que pour toi on peut être maman et bad bitch ?
Maureen : Pour moi l’un n’empêche pas l’autre, parce qu’avant d’être une mère, je suis une femme. Je pense que c’est important d’être en paix avec soi-même, d’être en harmonie avec soi-même. Oui, je suis une femme, j’ai mon côté “bad bitch” assumé et ça ne m’empêche pas d’être une bonne mère. Beaucoup ont tendance à oublier qu’avant d’être des mères, nous sommes des femmes. C’est important de garder ce rapport. Et j’assume mon corps, j’assume mon caractère, j’assume tout ce qui fait de moi la femme que je suis.
Dans ton album, tu évoques de nombreux thèmes liés à l’indépendance féminine, qu’elle soit financière ou par rapport à la thématique du consentement. Tu te considères comme une artiste engagée ? Pourquoi c’était important pour toi de parler de ça ?
Maureen : Cet album, c’était une thérapie. J’avais vraiment besoin d’extérioriser, j’ai vraiment besoin d’hurler. Je pense qu’on peut me considérer comme une artiste engagée, et surtout comme une artiste féministe. Beaucoup de femmes le pensent, mais n’osent pas le dire, ou ne peuvent pas le dire. Moi, je peux. Donc pourquoi ne pas le dire en chantant ? La vie d’une femme, de façon générale, est très compliquée. Dans la musique, encore plus. On fait face à tellement de choses… Si elle a une jupe trop moulante, elle va paraître allumeuse, on va se faire juger selon notre apparence, se faire rabaisser, catégoriser comme moins intelligente que l’homme… Et ça, je refuse. En tant que femme, on doit toujours prouver beaucoup plus. On doit aussi faire face aux gens irrespectueux, qui n’écoutent pas quand on leur dit “non”, qui vont jusqu’à nous insulter, jusqu’à nous agresser. Quand on leur dit “non”, ils se servent quand même.

Je parle aux hommes qui ont un égo surdimensionné, aux hommes qui n’acceptent pas qu’une femme puisse être financièrement stable, parfois même plus stable qu’eux, que ça blesse dans leur égo au point qu’ils feront tout pour la détruire… C’est un sujet dont je pourrai parler de tant de façon ! Il y a tellement de choses que les femmes doivent subir au quotidien, peu importe ce qu’elles font, peu importe à quoi elles ressemblent. On a beaucoup de poids à porter. C’est pour ça que je dis que c’est important de trouver la “queen” qui est en nous, de garder cette tête haute et de se dire : “j’ai ma couronne sur la tête, et peu importe ce que vous dites, peu importe ce que vous faites, je ne vais pas baisser la tête”. Moi, je sais le travail que je fais, et je n’ai pas constamment à me faire approuver, encore moins par un homme. Par contre, il serait temps que les hommes acceptent quand on leur dit “non”. Le consentement doit s’apprendre au plus jeune âge, à nos enfants, et surtout à nos garçons. Il faut qu’on leur apprenne notre réalité. C’est un sujet vraiment très important pour moi.
Tu parles aussi de santé mentale, un thème qu’on ne s’attend pas à entendre sur du shatta, plus festif. Pourquoi as-tu voulu en parler ? Toi même, comment tu dirais que ta santé mentale se porte ?
Maureen : Comme je te disais, cet album, c’est vraiment une thérapie. C’est une nouvelle ère pour moi, dans laquelle je suis OK avec mes émotions. L’acceptation, c’est déjà quelque chose, mais je pense que de ne pas refouler ses émotions, c’est quelque chose de très fort. Aujourd’hui, ma santé mentale, ça va. J’ai trouvé mon juste milieu, je suis en paix avec moi-même. Je m’aime, je suis bien dans ma peau, je suis bien dans mon corps, je suis bien dans ma tête. Je crois que c’est ça le plus important, d’avoir beaucoup de positivité et de se donner beaucoup d’amour.
J’ai fait une dépression prénatale, un baby blues et une dépression post-partum. Ça a vraiment été très long et très compliqué, bien que je ne le montrai pas. C’est vrai que c’est quelque chose qui est assez “caché”, tabou, quand on est une femme. C’est un sujet qui n’est pas suffisamment abordé, parce que je pense que beaucoup de femmes qui se retrouvent à vivre ça auraient aimé savoir, auraient aimé avoir quelqu’un pour leur dire : “ce n’est pas de ta faute si tu te sens dans cet état”. Pendant et après une grossesse, il faut être entouré de personnes vraiment positives, remplies d’amour, capables de nous donner ce soutien, de nous réconforter si on ressent ça. Je pense que dans les conditions de post-partum aussi, c’est bien d’entendre “ne t’inquiète pas, tu apprends avec le temps. Tu es une bonne mère, c’est bien ce que tu fais, ne culpabilise pas ». C’est normal d’être fatiguée, c’est normal d’être à bout, c’est normal d’être à cran. Il y a aussi une descente des hormones. Donc c’est vraiment un mélange de tout. Aujourd’hui, je me sens très bien, et je suis très contente.

Récemment, on a vu que les musiques antillaises étaient un peu la BO du voyage des Miss France. Elles ont fait une soirée en Martinique où elles ont chanté de nombreux morceaux de zouk, mais pas que (on a notamment entendu ton feat avec Kalash, “Laptop”,). Est-ce que tu as l’impression que la musique antillaise devient plus globale ?
Maureen : Aujourd’hui, je pense qu’on peut dire que la musique antillaise prend une ampleur vraiment mondiale. Nous sommes beaucoup à énormément bosser et ça fait du bien de voir que notre travail commence à être reconnu de façon internationale. Les choses avancent petit à petit, un petit pas après l’autre. Mais ça va finir par faire un pas énorme. Je dirais qu’on est sur la bonne voie et beaucoup d’artistes de chez nous sont mis en lumière. Et quand le succès touche l’un d’entre nous, quand on est de plus en plus à briller, ça fait vraiment plaisir.
D’ailleurs, toi, tu continues de chanter en créole. C’est important pour toi de conserver ce lien avec la langue, même en ayant un succès plus global ?
Maureen : Effectivement, je continue à chanter créole et j’ai toujours dit “qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il grêle et il y aura toujours du créole dans ma musique”. Tout simplement parce que le créole c’est une partie de moi, c’est mon ADN, c’est ma culture, c’est là d’où je viens en fait. C’est ma langue natale, en plus du français, ça vient de chez moi. C’est important pour moi de la conserver. Si demain, on me dit : “tu ne peux pas chanter créole”, pour moi c’est rédhibitoire, c’est mort. C’est o-bli-ga-toire en fait, le créole doit être là, et je veux faire la propagande du créole partout dans le monde. Tout le monde doit au moins connaître le créole martiniquais, c’est obligatoire ! (rires)
D’ailleurs ton album multiplie les références, et on t’entend dans des sons plus loin de ton shatta d’origine, parfois plus pop. Est ce que c’était un désir pour toi de t’essayer à d’autres choses ? Ou une volonté de toucher un public plus large ?
Mauren : C’est important pour moi, évidemment, qu’il y ait vraiment du shatta dans mon album, parce que ça reste ce que je fais. Mais j’avais vraiment envie de mettre aussi d’autres choses. J’ai fait du dancehall, un titre bouyon-pop, j’ai mis une petite touche de kompa. Je suis restée sur des sonorités caribéennes, quand même, mais je me suis fait plaisir sur cet album, parce que pour moi, en faisant un album, c’est là où un artiste peut prendre des risques, où il peut tester. Quand j’ai fait cet album, je ne me suis pas dit “je fais ça pour toucher tel public”. On a voulu me convaincre de faire certaines choses pour toucher un public plus large, mais j’étais campée sur mes positions. Parce que ça reste moi, je suis quelqu’un de buté quand j’ai quelque chose en tête ! (rires) Mais je suis très fière de mon album et de m’être écoutée, d’avoir fait ce que j’avais envie de faire, d’être restée moi-même. J’ai évacué, j’ai kiffé mon moment, j’ai partagé beaucoup d’amour, j’ai eu beaucoup de bonnes vibes, de très belles collaborations, donc vraiment, je suis super contente.

C’est important pour toi de créer des projets en collaboration ? Qu’est ce que ça t’a apporté de travailler avec tous ces artistes venus de plein d’horizon différents ?
Maureen : Effectivement, il y a pas mal de feats dans mon album. Il y a aussi des solos, qui sont crédités comme étant en featuring avec les beatmakers. Pour moi, en tant qu’artiste, c’est très important de collaborer, parce que nous apprenons les uns des autres. La musique, c’est un partage, un partage culturel, un partage sonore. Et quand on travaille avec les bonnes personnes, ça nous permet de créer entouré de bonnes énergies. La création des titres collaboratifs dans ce projet, ça a vraiment été ça : beaucoup de partages, beaucoup de cultures différentes, et franchement, c’était top. Il y avait beaucoup d’amour, des good vibes, et ça a rendu le projet magnifique. On a pris beaucoup de plaisir à le faire, on a vraiment tout fait sur mesure, sur place. J’ai kiffé. Alors bien sûr, c’était éprouvant, fatigant et je suis passée par beaucoup d’émotions. Mais s’il y a bien une chose que je ne regrette pas et que je suis très contente, très fière d’avoir fait, c’est de collaborer avec toutes ces personnes.
En bonne “queen” du shatta, ton album s’ouvre sur le titre “Welcome to shattaland”. À quoi ça ressemble, shattaland ? Est-ce que tout le monde y est invité ?
Maureen : Le fameux “Welcome to shattaland” ! Shattaland, c’est un monde où tout est dit sans retenu, peu importe si ça passe. Tout le monde peut être invité, on s’ambiance, on s’amuse. Même s’il y a des petits clashs, même s’il y a des petites punchlines ! (rires) C’est un monde ouvert à tous, qui peut être fun, très fun.
25 novembre 2025