La marque britannique, véritable emblème du style « old money » s’installe chez Citadium ou se paie une collaboration avec Ganni. Sa veste emblème de la grande noblesse européenne, veut se démocratiser.
Sa copie est dans les rayons Zara de cet automne, deux mannequins au premier étage du Citadium du boulevard Haussman sont habillés avec la veste emblématique Barbour. Du streetwear à la fast-fashion, pas de doute le style « very rich », « very chasse et pêche » de Barbour fait toujours rêver. Il permet en quelque sorte de revêtir une classe sociale à laquelle on n’appartient pas. Et pour cause, sa veste phare est adoptée par la royauté britannique depuis des générations – et dont la marque est l’un des fournisseurs officiels. Son emblématique veste “Beaufort”, imaginée en 1972 par Margaret Barbour, est passée du vestiaire d’Elizabeth II à celui de Lady Di ou de Kate Middleton.
L’entreprise de textile, créée en 1894 par l’Écossais John Barbour dans la ville portuaire de South Shields (non loin de Newcastle) a d’ailleurs bénéficié de trois mandats royaux au cours de son histoire, en 1974, 1982 et 1987. Si à l’origine, les Barbour habillaient les dockers, ils étendent rapidement leur clientèle, des motards – incarnés par Steve McQueen – à la haute bourgeoisie et noblesse britannique.
Symbole de fortune héritée
Élégante, robuste et traditionnelle, la veste devient peu à peu l’emblème d’une marque qui ne quittera jamais les dressings des puissants de ce monde, à l’image de l’ancien Premier ministre britannique Rishi Sunak qui a offert à l’ex-président Biden une version personnalisée en 2023. Au même titre que Burberry, la marque est un symbole de fortune, mais pas de n’importe laquelle : celle qui provient de vieilles familles bourgeoises et qui se transmet sans ostentation de génération en génération. Elle devient la pièce maîtresse du “Sloane Ranger Style” – expression qui désigne le look des jeunes femmes de la bourgeoisie britannique, Diana Spencer en tête de file, traînant leurs mocassins près du Sloane Square du quartier de Chelsea de Londres dans les années 1980.
La veste Beaufort est avant tout un marqueur social. “La veste Barbour était associée à une catégorie de personnes plutôt aisées, vivant à la campagne, conduisant un certain type de voitures et votant Margaret Thatcher… Il y avait un aspect élitiste, incarné par Lady Diana.”, détaille Helen Barbour, héritière et vice-présidente de Barbour aux Echos.
Outre-Manche, elle est portée par François Fillon, qui en fait son uniforme durant la campagne présidentielle de 2017 quand, de l’autre côté de l’Atlantique, c’est le patriarche de la série Succession, Logan Roy, qui ne se sépare jamais de son blouson “waxé”. Une question s’impose alors : la veste Barbour serait-elle de droite ? Devenu l’icône d’un vestiaire d’ultra-riches, le vêtement détourné n’incarne pas vraiment les valeurs initiales de la marque, “À l’origine, en plus des pêcheurs, nos vêtements étaient surtout destinés aux personnes qui vivaient à la campagne et travaillaient dehors : fermiers, chasseurs… (…) [Cet aspect élitiste] ne correspondait ni à notre famille ni à nos racines ! Nos origines sont modestes et nous ne voulons pas les renier. Heureusement, cette image a fini par changer”, rappelle Helen Barbour, toujours dans les colonnes des Échos.
De Buckingham Palace à Glastonbury
Heureusement, désireuse de se reconnecter avec ses racines, la marque a pu compter sur une autre clientèle, un peu par hasard : les stars du rock british et leurs copines, tout aussi “filles de” que les héritières de la famille royale, mais dans une version beaucoup moins guindée. Indissociable de la grande époque du festival britannique de Glastonbury dans les années 2000, la veste Barbour a ainsi été portée par les Arctic Monkeys, Kate Moss, Daisy Lowe Alexa Chung ou encore Lily Allen lors du célèbre évènement. Associée à une robe de soirée et des bottes de pluie, la veste se balance négligemment sur les épaules et ses coudes rapés par le temps deviennent le symbole ultime du cool.
Le constat reste pourtant le même : ne porte pas du Barbour qui veut, et il faut bien avoir un papa riche à qui la piquer pour s’afficher avec en concert. Ça tombe bien ! Lily Allen est la fille de l’acteur Keith Allen et de la productrice de films Alison Owen quand Daisy Lowe est celle du mannequin Pearl Lowe et du rockeur Gavin Rossdale (ainsi que l’ex-belle-fille de Gwen Stefanie). On assiste alors à la naissance du style aristo-rock, dont les exemples illustrent en permanence les pages de magazines du début du millénaire. “Lily a eu une influence très importante sur de nombreuses jeunes femmes, car elle était très connue à cette époque. Ensuite Alexa Chung a été vue en train d’en porter une aussi”, résume Shelly Vella, directrice de la mode et du style chez Cosmopolitan à la BBC. Surfant sur cette nouvelle hype, la marque commence à développer de nouvelles collections et s’associe avec une équipe de stylistes et de designers pour proposer des gammes de prêt-à-porter.
La nouvelle vie de Barbour
Moins élitiste, plus mode, Barbour entame alors une nouvelle ère : celle de la collaboration. “Ils ont eu de la chance car des célébrités ont rendu ces articles fonctionnels à la mode”, poursuit Shelly Vella, “C’est un vêtement pratique qui a été relooké, comme les bottes Hunter.” Si les modèles classiques continuent de squatter les placards des grandes fortunes au style BCBG, la jeunesse s’approprie simultanément ces pièces qui se déclinent en léopard ou dans des coloris plus audacieux, selon les codes des marques les plus branchées.
De Maison Kitsuné à Supreme en passant par Ganni, qui a dévoilé le 30 octobre dernier une capsule de huit pièces aux prix compris entre 145 et 625 euros, Barbour multiplie les collaborations pointues, comme un hommage subtil à cette réappropriation de ses vestes par la jeunesse dorée britannique. Dans les pages de Vogue France, Ditte Reffstrupla, fondatrice de la griffe danoise le confie d’ailleurs : l’un de ses premiers souvenirs de mode en lien avec Barbour concerne ses “stars de Britpop préférées”.
L’anti fast-fashion
En plus d’un siècle d’existence, la marque n’a jamais faibli, bien au contraire. Et le fait de la voir aujourd’hui sur le dos de Dua Lipa sur Instagram prouve que Barbour n’est pas prête de tirer sa révérence. “Les vestes Barbour durent longtemps”, note Ian Bergin, directeur des vêtements pour hommes et des accessoires de Barbour, dans un entretien accordé à Elle, “Plus la veste vieillit, plus elle devient votre veste. Elle porte tous les endroits où vous êtes allés, les personnes que vous avez rencontrées et les choses que vous avez faites ensemble. Elle devient très précieuse pour vous, familière et fait partie de votre vie. Elle est beaucoup plus personnelle. Ce n’est pas juste un objet que vous avez. Par conséquent, vous avez tendance à la garder longtemps.”
À l’heure où des entreprises comme Shein ou Temu tiennent le haut du pavé avec la sortie de nouveaux produits quotidiens sur leurs plateformes, la veste Barbour devient un symbole de durabilité. Très engagé dans la cause écologique, le roi Charles arbore ainsi la même veste depuis des années. Sa mère, la reine Elizabeth, avait elle-même refusé que la marque lui envoie un nouveau modèle pour célébrer son dernier jubiler, préférant faire réparer celle qu’elle portait depuis plus de vingt ans. “Ce ne sont pas des vestes tape-à-l’œil. Parce qu’elles sont intrinsèquement conçues dans un but précis, elles ont tendance à durer longtemps en termes de tendance.”, conclut Ian Bergin.
En effet, même dans sa version la plus originale, la veste Barbour s’adapte à toutes les époques, toujours dans un souci de transmission et de durabilité. “Les collaborations doivent associer deux esprits créatifs pour produire quelque chose d’unique”, précise Ditte Reffstrup, toujours pour Vogue France, “Il ne s’agit pas seulement de créer de belles pièces, mais aussi de partager des connaissances et des ressources pour faire avancer la durabilité et l’innovation. (…) La mode s’adapte rapidement aux tendances, mais en ce qui concerne la durabilité, nous sommes encore en difficulté.”
Un discours ancré dans l’ADN de Barbour qui réussit, sans effort, un pari pourtant osé : celui de passer d’un vestiaire traditionnel à celui des nouvelles générations, devenant un véritable basique que l’on se passe de génération en génération.
18 novembre 2024