Où sont les campagnes colorées avant la pride ? Les vitrines toutes d’arc-en-ciel vêtues ? Ou sont les ambassadeurs queers ? Les prises d’initiatives ? Habituellement inscrit au calendrier des marques et grandes enseignes, le mois des fiertés s’est déroulé cette année dans un silence assourdissant.
Le mois des fiertés LGBTQIA+ en Amérique du Nord, est une célébration mondiale organisée chaque année en juin pour commémorer la lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+. Et comme chaque année, l’organe Gravity Research a publié son rapport sur la participation des entreprises à cette période de célébration des droits des personnes LGBTQIA+. Une étude annuelle qui a confirmé ce qu’il se profilait déjà : en 2025, 39% des entreprises annonçaient réduire leur engagement quant à la Pride à venir. Et aucune ne prévoyait d’améliorer sa participation. Un retrait assumé qui survient dans un contexte américain de guerre culturelle “anti-woke” menée par Trump, lui-même cité comme l’une des raisons principales de ce désengagement par 61% des décideurs interrogés par Gravity Research. Rappelons notamment que le président des Etats-Unis a rendu illégale les initiatives de DEI (pour “diversité, équité, inclusion”) et a menacé de publier une liste des “entreprises woke”.
Si cette étude porte sur des données prévisionnelles, elle a été complétée le 27 juin par l’institut d’études des médias Onclusive, basée sur 7,8 millions de mentions sur les réseaux sociaux et 104.000 dans les médias traditionnels publiées entre le 1er mai et le 20 juin 2025. Le résultat est sans appel : baisse du nombre de campagnes visibles, fin des pages Pride dédiées sur les sites web, faible sponsoring des parades, et quasi-disparition des posts officiels sur les réseaux sociaux. Plus de doute, la société de consommation boude le mois des Fiertés. Ou en a-t-elle peur ?
Clean girl aesthetic et conservatisme
“Tout est très masqué, tout est fait de manière très discrète. Clairement, je n’ai vu que Carrefour mettre son logo aux couleurs du drapeau LGBT. Qu’est ce qu’il se passe cette année ?,” questionne le journaliste mode Matthieu Bobard Deliere sur ses réseaux sociaux, Les marques ont peur. Nous sommes dans une société qui devient de plus en plus conservatrice, nous sommes dans le monde de Trump, et nous sommes en train d’assister à une montée de l’homophobie et de la transphobie assez alarmante, que ce soit en France, ou ailleurs dans le monde. En 2023, lorsqu’adidas et Nike avaient dévoilés leurs collections pride, ces marques là avaient subi des campagnes de haine, de boycott, de menaces, ce qui les a poussé à arrêter leurs collections pride.” Alors pour continuer d’afficher son soutien (et de ne pas se priver d’une partie de cette potentielle clientèle) tout en étant sûr de ne pas froisser, se faire épingler par les communautés les plus conservatrices, les marques de prêt-à-porter abandonnent les couleurs vives au profit de modèles beiges, plus en accord avec la tendance “clean”, qu’ils agrémentent de tous petits détails aux nuances du drapeau LGBTQIA+, parfois seulement sur les étiquettes de taille à l’intérieur des vêtements. “Cette année, le thème des initiatives pride des entreprises pourrait être « dans le placard »,” ironise l’influenceur Connor Clary sur son compte TikTok.
Célèbre pour décrypter les collections pride de toutes les marques sur ses réseaux, le créateur de contenus a notamment remarqué que chez Abercrombie and Fitch, la capsule mensuelle ne diffère pas vraiment d’une collection classique, outre peut être le fait qu’elle propose des modèles unisexes (ce qui, soyons honnêtes, tend à devenir la norme), et qu’elle reprend de manière très pudique les couleurs du drapeau gay ou transgenre. Du côté de Puma, Van’s ou Levi’s, les références queer se déclinent discrètement sur des casquettes neutres ou des tot-bag beiges. Cependant, Levi’s a tout de même annoncé qu’elle réalisera un don de 100.000 dollars américains à l’association Outright International, comme chaque année. La marque d’un changement de stratégie plus positif qu’il n’y paraît ? Pour l’institut d’études des médias Onclusive, “le Pride Month 2025 semble marquer la fin d’une ère de marketing essentiellement symbolique, au profit d’un engagement plus discret, mais potentiellement plus sincère et durable”.
À bas le pinkwashing ?
Car ces dernières années, si le Mois des Fiertés s’était exprimé de manière bien plus flamboyante dans les vitrines, il avait aussi le don d’agacer les principaux concernés, qui se sentaient utilisés à des fins commerciales. “De nombreuses marques avaient été accusées de pinkwashing, donc de se servir de la cause LGBTQIA+ pour servir ses propres intérêts, faire genre on soutient la communauté alors qu’en fait on veut juste vendre des t-shirts en polyester, rappelle Matthieu Bobard Deliere, Cette instrumentalisation, elle se voyait par des bénéfices soit inexistants, soit vraiment ridicules. 10% reversés à une association sur de t-shirts à 250 euros, ce n’est pas possible. En 2025, ce n’est plus possible de faire ça.” Il faut dire que depuis quelques années, les personnes queer s’agacent de l’aspect marketing de ce type d’initiative. Mais une fois qu’elles n’existent plus, qu’en penser vraiment ? “Ça me fait vraiment regretter le temps où je critiquais les marques pour le pinkwashing, se désole Matthieu Bobard Deliere, parce que mine de rien, on était visibles grâce à ces collections. Là, on nous invisibilise, et c’est la chose la plus dangereuse.”
Personne :
— Mister Rod (@RodneyPER) February 11, 2025
Google, Facebook, Target et les autres quand l'extrême-droite Trumpiste est au pouvoir :#DEI #Pinkwashing #Google #LGBTQIA #Diversity #LGBT #diversite
pic.twitter.com/6j9phmMGmE https://t.co/X6mnyXiTlt
Et même au niveau marketing, finalement, délaisser les couleurs de l’arc-en-ciel peut également s’avérer dangereux. “Les ventes de Target sont en baisse par rapport à l’année dernière, en partie à cause de son retrait public de ses efforts en matière de diversité,” a reconnu le directeur général Brian Cornell lors d’une conférence téléphonique sur les résultats financiers en mai. Pour Brent Ridge, fondateur de la marque de soins de la peau Beekman 1802, le potentiel backlash “dépend de votre degré de visibilité passé et de votre degré d’invisibilité actuel. C’est une question de contraste entre les deux,” explique-t-il à Business of Fashion. Car oui, malgré ce qu’on l’air de penser les grandes entreprises, l’opportunisme, ça se voit. Et dans un climat politique comme celui dans lequel nous évoluons actuellement, une prise de position discrète ressemble à un aveu de capitulation. “Beaucoup d’entreprises semblent désormais adopter l’attitude suivante : “Nous le faisons depuis si longtemps, et ce serait un gros problème si nous ne le faisions pas, alors voici juste quelque chose qui n’est pas offensant et silencieux,” résume Conor Clary. Un retour dans le placard alarmant.
4 juillet 2025