Autoportraits et peintures malgaches comme moyen de reconnexion

Saïda Augustine apprend l’histoire de son pays d’origine grâce à des mises en scène inspirées de l’art pictural de Madagascar.

ANCRÉ : Pouvez vous vous présenter en quelques mots.

Je m’appelle Saïda Augustine, je suis artiste chercheuse. Pour créer j’utilise plusieurs médiums surtout la photographie ensuite vient l’écriture. J’affectionne d’utiliser mes mains pour créer, sentir une oeuvre grandir sous nos doigts est un sentiment indescriptible.

Vous expliquez avoir quitter votre CDI et vos 35h. De quoi rêvez vous maintenant ?

J’ai effectivement quitté le salariat il y a 3 ans, après une profonde remise en question de mon métier de Visuel Merchandiser. Dans les emplois que j’ai pu faire, on me demandait d’être créative à 10% en suivant un référentiel et de générer du chiffre 90% du temps restant, c’est une équation avec laquelle il m’est difficile d’être alignée. Aujourd’hui j’aspire à conjuguer mon art à une activité qui me permettrait de subvenir à mes besoins sans pour autant étouffer ma soif de créer.

Vous avez fait le choix de retourner vivre au pays, à Madagascar. Expliquez nous votre cheminement.

Pour le moment, je suis basée entre la France et Madagascar, pour ma part le retour sur ma terre natale est une évidence même s’il implique une préparation et donc une phase de transition. Je suis née et ai grandi à Madagascar toute mon enfance, j’ai ensuite vécu 5 ans dans un département d’outre mer avant de venir en France hexagonale en 2007. Mon voyage sur le continent africain en 2018 a été un tournant, j’ai pris conscience de l’éveil des jeunes Ghanéens, Maliens et Burkinabé, ils connaissent leur histoire, leur culture et sont en mesure de la transformer pour en faire un levier de développement économique. Cela a été une révélation, c’est à cela que j’aspire pour ma terre natale, je me dois de retourner.

Pouvez-vous expliquer votre projet autour des autoportraits.

Tous mes projets prennent racine dans ce voyage qu’on appelle la quête de soi, qui nous pousse à savoir qui nous sommes au delà de la définition sociétale et familiale. Lorsque j’ai commencé ce projet de série d’autoportraits intitulés «Ny tsy hita maso» qui se traduirait en français par «L’invisible», j’avais dépassé une étape importante dans ma quête « de soi », je ravivai ma connexion à ma culture. Cette étape cruciale s’est matérialisée par des recherches sur l’histoire de la peinture malgache et tout naturellement à suivi ma re-interprétation de ces tableaux trop méconnus. À travers cette série de photos, je souhaite mettre en lumière des artistes peintres qui ont marqué la peinture malgache.

Pourquoi avoir choisi la peinture comme source de reconnexion à vos origines ?

La peinture est mon premier amour, elle a été le premier médium d’expression que j’ai pratiqué puis la vie et mon histoire m’en ont eloigné. Dans ma quête j’ai renoué au même moment avec mon premier amour et la terre qui m’a vu naitre, c’était une évidence de commencer par cela. La Peinture m’a initié à l’art et m’a fait aimé les images, c’est elle qui m’a mené vers la photographie que je pratique depuis 10 ans maintenant.

Comment choisissez vous les tableaux que vous reproduisez ?

Je savais que je cherchais des portraits, j’aime la simplicité que cela représente tout en développant la complexité des émotions. En photographie, j’ai à mes débuts fait beaucoup de portrait. Après des mois de recherches sur l’art pictural malgache, j’ai appris qu’une école des beaux art a été construite dans la capitale où la plupart des grands noms de la peinture malgache ont été formés. Je suis instinctivement allée vers des portraits de femme Malgache. Pour la petite anecdote, ces peintres sont originaires de la capitale et de ses alentours mais ils ont peint des femmes originaires d’autres régions majoritairement côtières. Ils ne sont jamais partis à la rencontre de ces femmes, c’était une représentation de leur imaginaire ou de photographie de l’époque. J’ai choisi ces femmes, pour l’émotions qu’elles véhiculent, j’ai voulu avec mon visage et mon appareil leur rendre cet hommage.

Madagascar a obtenu son indépendance en 1960, depuis peu finalement. Comment vous considérez-vous dans ce contexte ? Quels liens vous unissent de manière positive comme négative par rapport à la France.

En effectuant des recherches sur l’histoire pré-post-coloniale de Madagascar, j’ai acquis des outils qui m’ont permis de comprendre la situation politique de Madagascar. Jusqu’à ce jour, je me questionne sur la réalité de l’indépendance de L’ile. Avec ma famille, nous avons été contraints de quitter Madagascar en 2002 suite à la crise politique. Atterrir sur le territoire français était donc un soulagement puisque nous ne risquions plus pour nos vies néanmoins lorsque je suis arrivée en France hexagonale, inconsciemment il a fallu que je me détache de mon bagage culturel afin d’en acquérir d’autre pour que l’on me considère comme étant intégrée ce qui m’a égaré dans mon identité. Je me sens finalement liée à ces deux pays chacun à sa façon, en acceptant les parts d’ombres et lumières que chacun offre car chacun m’a apporté et c’est ainsi que j’ai construit mon identité.

Pourquoi lhistoire de la colonisation de Madagascar est moins connue ?

Plusieurs facteurs rentrent en jeu, je n’ai pas pu tous les étudier, mais de mon point de vue nous mêmes, malgaches ne connaissons pas notre propre histoire. Il y a un manque de transmission des parents aux enfants de l’histoire de la colonisation déjà à Madagascar et encore plus en occident. Ajoutons à cela le manque de textes, de livres accessibles au grand public qui traitent le sujet, même dans le programme scolaire en France ce n’est que très rapidement evoqué. Aujourd’hui avec un peu de recherche, on trouve de plus en plus d’ouvrage qui traite du sujet.

Sur votre compte Instagram vous poser cette question : ‘malgaches, est-ce que vous vous identifiez comme noirs, est ce que vous vous identifiez comme africain ?’. Avez-vous trouvé réponses à ces questions ?

J’ai repris cette question du compte afro féministe Angry_afrofem, c’est une question qui a fait écho à mon parcours et à ma quête de soi, j’ai donc décidé d’y répondre sur mon compte instagram. Trouver la réponse est à la fois simple mais aussi un long cheminement. Géographiquement Madagascar fait partie de l’Afrique, à partir de là, il me semble que la réponse est évidente. Cependant, dans mes recherches, j’ai constaté que ce questionnement est valable depuis plusieurs époques. Les peintres malgaches de la capitale que j’ai étudié dans mes travaux de recherches, représentaient systématiquement les personnes vivant en dehors de la capitale avec des teints foncés, des cheveux crépus, des tenues, des coiffures, des bijoux, des habits qui rappellent l’Afrique. Alors qu’ils se représentent eux même avec un teint très clair, des habits européens alors que dans leurs régions ils ont aussi leurs tenues traditionnelles. Par rapport à la carnation, il y a aussi différentes teintes sur toute l’ile, en réalité, les noirs « foncés » ne sont pas que sur les côtes et dans la capitale on ne rencontre pas que des noirs
« clairs ». Malgré le temps écoulé on s’aperçoit que ce constat est toujours là, toutes les personnes ayant une carnation de peau noire n’ont pas la même teinte, et en fonction de cette dernière la manière dont la société nous traite diffère.Nous pouvons pour pousser la question, nous demander quel impact a eu la colonisation sur ces images de nous même. Pour ma part comme dit sur mon compte je suis une femme malgache noire, certes claire et africaine.

31 juillet 2023

Previous Article

Ça veut dire quoi "être belle pour une renoi" au juste ?

Next Article

Aux puces de Saint-Ouen, ce collectif propose de l'upcycling engagé

Related Posts