Pourquoi Beyoncé ne sera-t-elle jamais assez noire ?

Il aura suffit d’un cliché pour déclencher une nouvelle polémique sur la couleur de peau de Queen Bey. De quoi s’interroger sur le fait d’être suffisamment noir pour les autres.

Photo tirée d’un shooting de L’Officiel Paris – 2011

La culture majoritaire américaine a tendance à présenter la couleur de la peau comme un phénomène binaire : Soit elle est claire, soit elle est foncée. En réalité, la couleur de la peau est un spectre. C’est ce que semble avoir oublié les récents détracteurs (mais aussi fans) de Beyoncé lorsqu’ils ont accusé la star de s’être blanchie la peau suite à un cliché posté sur le compte Instagram de Vogue le 25 novembre dernier. Sur celui-ci Queen Bey apparait dans une robe argenté à sequins, accompagnée de cheveux blond platine. La photo prise à l’occasion de l’avant-première de son film « Renaissance » diffusé à Los Angeles, a déclenché une vague de commentaires sur le physique de la chanteuse. Beyoncé serait trop blanche. Ou en tout cas plus blanche que d’habitude.

Trop noire, pas assez noire, jamais soi même

Mais alors pourquoi la couleur de celle qui chantait « Brown Skin Girl », véritable hymne aux femmes noires et à leurs différentes nuances, se retrouve accusée de faire l’apologie du colorisme ? Peut-être parce qu’il semble exister cette injonction qui dit que les musiciens afro-américains doivent représenter plus qu’eux-mêmes ; ils doivent représenter leur culture et leur histoire. Peut-être aussi parce que dans une certaine mesure, Beyoncé a bénéficié du privilège de la peau claire, bien qu’elle soit d’origine africaine dans une société majoritairement blanche.

En 2011, Beyoncé est photographiée par L’Officiel Paris. Son visage est volontairement maquillé de manière plus foncé pour rendre hommage à ses racines africaines. Le photoshoot fera polémique et la star sera accusée de blackface

Son père Mathew Knowles, ancien manager des Destiny’s Child, l’avouera lui même dans une émission de radio : si Beyoncé a eu du succès c’est aussi grâce à sa couleur de peau plus clair. Contrairement à son acolyte Kelly Rowland qui expliquait avoir souffert d’être considérée comme “la plus foncée” des Destiny’s Child. « Il y a une perception partout dans le monde à propos de la couleur – même chez les Noirs, il y a une perception.« , poursuivait Knowles en 2019. De quoi se demander si, comme Barack Obama, Beyoncé sera un jour considérée comme suffisamment noir, ou noir comme il faut être noir, pour représenter le black power.

Si en France une personne née d’un parent blanc se présenterait comme métisse, Slate rappelle qu’historiquement « la société esclavagiste et ségrégationniste américaine avait imposé (…) la règle d’une seule goutte de sang («one-drop rule»), selon laquelle toute personne ayant un ancêtre noir était considérée comme noire« . Si les deux parents de Beyoncé sont noirs, son arrière grand-père serait un propriétaire d’esclaves.

Le cliché qui a déclenché la polémique
Crédit photo : Mason Poole

On décrypte la polémique avec l’autrice Christelle Bakima Poundza, dont le livre « Corps Noirs » est disponible depuis le 30 août 2023.

ANCRÉ : Pourquoi cette photo a-t-elle fait autant polémique ?

Cette photo a étonné et fait beaucoup parler car Beyoncé avait un teint plus clair qu’à l’accoutumé. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans le cadre de photos postées par Beyoncé elle-même ou dans des campagnes. Etant donné que c’est une des femmes les plus visibles au monde, également l’une des femmes noires les plus populaires au monde, il existe toujours un soupçon. Ce n’est pas la première fois qu’elle est accusée de s’être blanchie la peau. Il est bon de rappeler également que la couleur de la peau en photos peut varier selon la lumière, la retouche photo et les habits. En l’occurrence ici Beyoncé portait une robe argenté et des cheveux tirant sur le blanc.

Beyoncé ne sera jamais assez noire pour une partie de son public ?

C’est une femme noire à la peau claire, aux cheveux lisses, souvent blonds et aux traits plutôt occidentaux. Donc pour une partie de son public et de la société, elle n’est pas assez noire. Et pourtant ces dernières années, elle se retrouve beaucoup dans un discours plus affirmatif sur la libération noire, sur la défense des droits des personnes noires. C’est utilisé dans ses médiums de communications, dans sa musique. Même si cela a toujours été le cas, avant ses positions se noyaient dans des références de pop-culture américaine globale.

Pourquoi la couleur de peau des personnes noires est-elle autant un sujet ?

C’est un sujet car en fonction de la couleur de peau qu’on a quand on est une personne noire, on va avoir accès à certains privilèges ou non. À savoir plus on est clair, plus on a les traits qui tirent vers la blanchité avec un nez fin, des cheveux lisses, plus on est désirable. Et la désidérabilité ouvre des opportunités. Ce n’est pas un hasard que la femme noire la plus puissante du monde dans l’industrie de la musique, soit une femme dont tous les attributs quasiment de beauté tendent vers la désidérabilité noire. Et donc vers la blanchité. Et je dis ceci sans remettre en cause tout le travail et le talent de Beyoncé. Ce sujet de la couleur de peau il participe à opposer les femmes noires entre elles. Et à questionner la légitimité du succès de Beyoncé. Malheureusement.

Qu’est-ce que cela dit de notre époque ?

Cela dit qu’on vit toujours dans des sociétés, en Europe ou aux Etats-Unis, qui sont organisées racialement. Qui compartimentent et assignent les gens qu’on le veuille ou non. Les gens qui ont crié au blanchiment de la peau de Beyoncé n’ont pas seulement « dénoncé » sa couleur, ils l’ont aussi attaquée sur ses combats et prises de position. « Elle vous parle de la cause des noirs, mais elle continue de se blanchir la peau ». C’est un peu comme s’ils exigeaient d’elle qu’elle se taise sur la cause des noirs parce qu’elle même ne serait pas noir pour parler de ces sujets là. C’est un exemple de toutes les crispations qui existent autour des questions raciales à l’intérieur même des communautés. Car beaucoup des remarques venait de personnes noires elles-même.

Les artistes noirs doivent représenter plus qu’eux-mêmes, ils doivent représenter leur culture et leur histoire. Pourquoi portent-ils cette responsabilité ? 

Certains artistes rentrent dans les arts en voulant créer une représentation qu’ils n’ont pas eu. Et donc ils en ont conscience. Pour d’autres ce n’est pas le cas. Beyoncé selon moi, est une artiste qui au départ voulait faire de la musique, souhaitait être une superstar sans nécessairement se dire « je veux devenir la femme noire que j’aurai voulu voir quand j’étais plus jeune ». On ne peut pas exiger qu’une seule personne porte toute la responsabilité d’une culture.

La question du blanchiment de la peau semble être exclusive aux femmes, pourtant des hommes se blanchissent également la peau. Pourquoi ce double standard ? 

Beaucoup d’enquêtes montrent qu’un homme riche préfère être avec une femme pauvre et sans diplôme mais belle. Là où, une femme si elle préfère être avec un homme riche, elle ne met pas forcément la beauté de l’homme dans ses critères. Ça prouve le double standard, il y a une pression qui est beaucoup plus forte sur les épaules des femmes, toutes communautés confondues d’ailleurs. Mais encore plus dans les communautés non blanches car la femme noire est toujours en bas de l’échelle de la désidérabilité. C’est elle que l’on va attaquer en premier. Si on cite Michael Jackson par exemple, il n’a pas du tout subi le même harcèlement qu’une Lil Kim qui a elle aussi blanchi sa peau, affiné son nez. Et pourtant on est dans des transformations très proches. Ça montre que le corps des femmes ne leur appartient pas.

L’essai “Corps Noirs” de Christelle Bakima Poundza est disponible ici

4 décembre 2023

Previous Article

Le dernier EP commun de Lazuli et Angie c'est de la potion magique

Next Article

Le nouvelle collection d'Isisdünya est une ode à la mode arabe et à l'upcycling

Related Posts
Lire la suite

Ça veut dire quoi avoir les cheveux hrach ?

Entre défrisages et acceptation de soi, sept jeunes femmes racontent leurs relations avec ce terme et ce que signifie avoir les cheveux texturés quand on est d’origine nord-africaine.