La mauvaise fortune de l’upcycling

En France, de nombreux petits créateurs adeptes du recyclage mettent la clé sous la porte ou retransforment leur modèle économique. Loin de la tendance, la réalité financière les rattrapent.

La créatrice Océane Nelien vend ses pièces upcyclées sur Reiner

Si l’upcycling a connu un pic de popularité, le vent semble avoir tourné. Salut Beauté et Resap Paris, deux têtes fortes de l’upcycling en France, ont annoncé successivement mettre la clé sous la porte en mars 2024. Un choc mais aussi le début d’une réalité. Car si l’upcycling est une véritable tendance, répondant à l’envie de produire éco-responsable, elle n’est pas forcément rentable. Parmi les raisons de leur fermeture, Salut Beauté et Resap Paris pourtant vendue pour cette dernière aux Galeries Lafayette, Printemps et Citadium, citent le climat économique et la concurrence. Cette situation fragile représente un risque pour tous les autres upcycleurs. Alors quelle est la viabilité et la pérennité de l’upcycling en France.

Tentative de réponse avec Freaky Debbie, fondatrice de Rework Paris et Justin Chiron, membre du duo derrière Reiner, marketplace d’upcycling.

Freaky Debbie transforme des sneakers Nike TN en corset
Crédit photo : Adam ZM pour Rework Paris

L’upcycling : le luxe de la seconde-main ?

«Ça m’a beaucoup fait réfléchir.», concède Freaky Debbie au sujet de la fin de Salut Beauté et Resap Paris. Celle qui a lancé Rework Paris en plein confinement, n’en était pas à son premier coup dans l’upcycling. Depuis 2007, la créatrice recycle et réinvente les invendus des marques et chine sur Vinted pour recréer de nouvelles pièces. «Ce qui pêche dans l’upcycling, c’est que la production est très peu rentable parce que c’est du travail à la pièce.», poursuit celle qui a su très vite attirer les marques dans son aventure entrepreneuriale. Et si ses pièces sont portées par de nombreux artistes, elle avoue elle aussi avoir frôlé le point de rupture. Face à des charges importantes, il a fallu faire le choix de revenir en arrière, notamment en renonçant à son atelier à Paris pourtant inauguré en 2023. «Pour faire durer l’upcycling plus longtemps, je crois qu’il faut le garder de manière plus artisanale», avoue Freaky Debbie qui désormais, crée ses pièces depuis chez elle, ce qui l’allège financièrement.

La créatrice connue sous le nom de Freakie Debby sur Instagram, peaufine une de ses pièces
Crédit photo : Freaky Debbie

La hausse des prix que connait le pays affecterait aussi les créateurs. «L’inflation n’a pas aidé l’upcycling, parce que ça baisse la rentabilité de la chose. Ça peut paraître bête, mais le prix des épingles a augmenté de 30%. Tous ces petits coûts te tuent et diminuent ta marge». Pour faire face à l’augmentation des coûts, Justin Chiron derrière la marketplace Reiner, estime que les upcycleurs se doivent d’avoir une stratégie de pricing.

«Nous, on a vu l’upcycling comme le luxe de la mode responsable. C’est d’ailleurs une des erreurs faites par certaines marques d’upcycling. Si tu ne rentres pas dans le côté luxe à forte valeur ajoutée avec des prix élevés, parce qu’il y a du savoir-faire et une rareté du produit, tu commences à faire dans le modèle de production de la fast-fashion dans le milieu de la mode éco-responsable. Et ça, ce n’est pas possible.», commente-t-il.

Quitte à perdre de nombreux acheteurs, et à rendre l’éco-responsabilité inaccessible pour une partie de leur cible ?

Seconde-main pour tous, upcycling pour les riches ?

Selon une récente étude de Vestiaire Collective, il est «plus économique d’acheter de la seconde main de luxe que de la fast-fashion». Seconde main peut-être, mais de l’upcycling, moins sûr. «Ça ne se vend pas à tout le monde mais il y a toujours des commandes. C’est vrai que c’est cher et que même moi, il y a des pièces que je ne pourrais pas m’offrir.», avoue Freakky Debbie dont certains de ses bombers upcyclés atteignent les 650 euros sur son eshop. Mais il faut rester réaliste : aujourd’hui, consommer responsable n’est pas compatible avec tous les portefeuilles. «L’upcycling est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir. Ça s’adresse à une clientèle pointue qui a un peu plus les moyens.», avoue la créatrice.

«Si tu décides de faire (de l’upcycling) ton argument de vente, ça ne marchera pas.»

Justin Chiron – Co-fondateur de Reiner

Justin Chiron justifie les prix élevés de l’upcycling par la qualité du produit : «Dès le début, on s’est dit “Reiner, les gens diront que ça coûte cher“. On le sait, mais en réalité, c’est qu’on a été mal habitués pendant des décennies à consommer des produits qui n’étaient pas chers parce qu’ils ne venaient pas d’ici, et n’étaient pas fabriqués dans de bonnes conditions. Les vêtements que l’on vend durent dans le temps.»

«L’upcycling, aujourd’hui, je le vois un peu comme une utopie de penser et de créer.», explique la fondatrice de Rework Paris qui continuera à s’exprimer à travers le recyclage, tout en ayant conscience de la difficulté de la mode circulaire à s’implanter dans la société d’aujourd’hui. «Toutes les valeurs que ça défend sont hyper belles mais un peu utopiques dans un monde aussi pourri. Il y a la tentation de la fast-fashion et les ados qui sont complètement dingues de Shein. Comment veux-tu les éduquer à acheter quelque chose de plus responsable ? Les gens ont envie de bien consommer, mais ça coûte si cher. Ce n’est pas toujours facile, entre la volonté et ce que tu peux te permettre avec l’inflation.», ajoute-t-elle.

Salut Beauté avait fait le buzz après avoir été porté par la chanteuse Angèle en 2021

Alors comment démocratiser l’upcycling s’il n’est plus financièrement accessible à tous ? Dgena Mouclier, fashion designer, et créatrice d’une marque éponyme, estime qu’il est important d’essayer d’impacter le plus grand nombre. «J’ai fait plusieurs gammes de prix dans ma marque. Une qui s’étend entre 50€ et 300€, dans une boutique dans le Marais, Addicted. Je vends aussi des produits entre 300 et 1000€, dans d’autres boutiques beaucoup plus luxueuses. Ça permet d’éduquer tout le monde.»

Le co-fondateur de Reiner lui, estime que le temps fera son travail : «L’upcycling sera toujours plus cher qu’un H&M, c’est sûr. Mais les prix finiront par diminuer, et il y aura du ready-to-wear (prêt-à-porter, NDLR). Il y a quand même plein de jeunes marques d’upcycling abordables parce qu’elles ne font pas de marge.»

«Ce n’est pas la fin. L’upcycling est en transition.»

Freaky Debbie – Rework Paris

Une tendance qui s’essouffle ?

Pour survivre aux multiples marques qui mettent l’upcycling au centre de leurs discours marketing, il ne faudrait pas en faire un argument de vente, mais plutôt un argument de fidélisation, d’après Mouclier. Un avis partagé par Justin Chiron : «Si tu décides d’en faire ton argument de vente, ça ne marchera pas. Si par contre, tu mets en avant que le client achète une pièce de designer made in France, créative et dans l’ère du temps, originale et en quantité unique, là, tu peux durer. La mode doit rester au centre de tout.»

En janvier 2023, les deux fondatrices de Resap Paris passent dans l’émission ‘Qui Veut Être Mon Associé’ et décident alors de céder 21% du capital contre un investissement de 100 000 euros. Elles feront finalement machine arrière pour finalement fermer leur entreprise en mars 2024

Un peu comme Virgil Abloh qui annonçait la mort du streetwear alors que le style vestimentaire était à son apogée, doit-on déjà enterrer l’upcycling ? Pas pour Chiron, qui n’y voit pas là une fin définitive, mais plutôt la fin d’un cycle. «L’avenir de l’upcycling est en train de se dessiner, il va se répandre petit à petit et on en parlera plus, et ça sera la plus grande des réussites. Quand il sera intégré, on aura gagné le combat.»

Lui qui intervient dans des écoles de mode, remarque que l’éco-responsabilité qui ne constituait qu’un chapitre du cursus des étudiants auparavant, a désormais ses propres masters de sustainable fashion (mode durable, NDLR). Le changement serait en train de s’opérer à la racine. «Si les jeunes qui sortent d’école sont sensibilisés à l’upcycling et au responsable, on sait que demain ils seront les futurs patrons et designers.».

Pour Freaky Debbie, «l’upcycling fait partie d’une tendance, c’est sûr, mais est-ce qu’il va s’en aller ? Je ne pense pas pour autant. Je pense que ça a quand même changé quelque chose dans la façon de consommer, comme avec Vinted. Ça a éduqué les gens à la seconde main, à réparer leurs vêtements, il y a le bonus réparation textile qui a été mis en place.».

L’upcycling qui traverse en ce moment une mer agitée, a donc plusieurs moyens de lutter contre les vagues féroces de l’inflation. Quitte à se trouver un nouveau public, à devenir élitiste pour faire vivre ses créateurs.

24 mai 2024

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