De Samuel Umiti, en passant par Tony Yoka ou encore le frère de Kylian Mbappé. Les hommes dans le sport lâchent le mot « dépression ». Une libération de la parole salvatrice.

Crédit photo : « Tête plongeante : faire équipe pour la santé mentale ».
Grande cause nationale en 2025, la santé mentale reste pourtant un grand tabou, uniquement évoqué à demi-mot. Un constat qui se confirme particulièrement dans certains milieux. Encore très (trop) stéréotypé, le sport – notamment masculin -, ne fait, à ce titre, pas exception. “Ce sujet-là, on n’en parle pas. On n’en parle que tardivement, et parfois trop tard,” se désolait d’ailleurs Yannick Noah dans le documentaire “Santé mentale, briser le tabou”, diffusé sur M6 en mai dernier. Et pourtant, la brèche s’ouvre petit à petit. Entre l’ouverture du tout premier espace dédié à la santé mentale des athlètes sur le village olympique des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, documentaires et prises de parole spontanées, les sportifs d’aujourd’hui sont-ils en train de former des athlètes de demain plus sains ?
Poser des mots
Diffusé le mardi 2 décembre sur les chaînes du groupe TF1, YouTube, L’Équipe et Society+, le documentaire “Têtes plongeantes : faire équipe pour la santé mentale” a justement laissé la parole à de grands noms du football qui, entre pressions, isolement et quête de performance, sont revenu sur des moments difficiles, souvent vécu seuls et rarement exprimé. “Côté professionnel, c’était 10 sur 10, mais personnellement je me sentais hyper seul,” exprime le défenseur central Raphaël Varane, face caméra. Car le risque, en parlant, c’est de fissurer l’armure : celle de l’homme fort, de celui qui a tout ce que tant d’autres désirent, et qui ne saurait pas capable de s’en réjouir. C’est de faire culpabiliser, et culpabiliser à son tour.
“Il y a ce truc chez les sportifs où on est vu comme meilleurs que tout le monde. Alors, admettre que l’on est moins bons, c’est compliqué,” analyse le nageur Florent Manaudou, dans le documentaire “Santé mentale, briser le tabou”. Pour Guy Stéphan, entraîneur adjoint de l’équipe de France depuis 2012, “on a coutume de parler de l’aspect économique quand on parle des footballeurs, notamment ceux de l’équipe de France qui sont au premier plan, et leur santé mentale passe souvent au second plan.” De quoi décourager les athlètes à poser des mots sur un mal pourtant bien réel. Et quand ils osent le faire, à l’image du sprinteur américain Noah Lyles, leur état est minimisé, comme lorsqu’un journaliste de RMC avait tenté une blague particulièrement déplacée, « pour une fois il est pas en dépression ! », alors qu’il venait de décroché la première place d’une course.
Au fil des témoignages, le documentaire révèle la dépression vécue, en secret, par Samuel Umtiti, après la Coupe du monde de 2018. “Tout le monde pensait que j’étais heureux parce que : “Ah Sam, tu gagnes bien ta vie. Ah Sam, tu as un cadre de vie.” Mais c’était pas ça qui me rendait heureux”. Face à trois jeunes sportifs, il poursuit : “J’étais totalement dans une dépression, sans même le savoir. Je n’ai même pas pu mettre les mots à ce moment-là. Personne ne le savait. (…) Ma santé mentale a été tellement touchée par ce que les autres pouvaient dire que je suis rentrée dans une solitude qui m’a bousillée. Je ne sortais pas de mon lit, à part pour aller aux entraînements. Mais dès que je rentrais, je restais dans mon lit toute la journée ».
Une expérience qui fait écho à celle de Thierry Henry qui, en décembre 2023, avait révélé avoir lui aussi souffert d’une dépression, seul et en silence. “J’ai menti pendant très longtemps parce que la société n’était pas prête à entendre ce que j’avais à dire. Tout au long de ma carrière, et depuis ma naissance, j’ai dû être en dépression. Est-ce que je le savais ? Non. Est-ce que j’ai fait quelque chose pour y remédier ? Non. Mais je me suis adapté à un certain mode de vie, explique celui qui a raccroché les crampons en 2014 dans le podcast “The Diary of a CEO”, Les larmes venaient toutes seules. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais peut-être qu’elles étaient là depuis très longtemps. Techniquement, ce n’était pas moi, c’était le jeune moi. Pleurant pour tout ce qu’il n’a pas eu, l’approbation.”

Une pression constante
Car être sportif, ce n’est pas uniquement courir après la balle, mais aussi après le succès, la performance, et les résultats. Et ce, au détriment de sa santé, mentale ou physique. Pour le psychologue du sport Clément le Coz, interrogé par Radio France, “une pression de l’entourage, l’environnement social du sportif, la pression économique et de l’image qu’il renvoie : cela explique en partie les dépressions chez les sportifs de haut niveau.” Si l’Inserm estime à 20 % la part de la population française ayant souffert au moins une fois dans sa vie de dépression, le cadre si particulier dans lequel les athlètes évoluent n’encourage ni la prise de parole, pourtant premier pas vers la guérison, ni le repos. “Le haut niveau est comme une machine à laver […] Nous avons des emplois du temps surchargés et nous jouons non-stop. J’ai l’impression d’étouffer et que le footballeur avale l’homme”, avouait déjà Raphaël Varane au micro de Canal+ en octobre 2024.
Et il n’est pas le seul : selon la FIFPRO, 40% des joueurs déclarent que leur santé mentale était affectée par le calendrier surchargé qui leur était imposé. Et cela ne touche pas uniquement le football. Champion de F1, le pilote anglais Lewis Hamilton a lui aussi avoué avoir vécu une longue période de dépression : “J’ai eu des problèmes avec ma santé mentale tout au long de ma vie, notamment la dépression, très jeune. Je devais avoir environ 13 ans. Je pense que c’est lié à la pression du sport auto,” a-t-il exprimé dans un article du Times. Peu importe le sport, les chiffres sont unanimes : 1 jeune sportif de 5 exprime ressentir un mal-être quand 17% présentent des symptômes de dépression modérée à sévères. Et pourtant, ils sont encore trop peu à en parler.

Car si le parcours pour arriver à un vrai haut niveau est déjà compliqué, la crainte de ne pas atteindre la plus haute marche du podium (et la déception lorsque cela arrive), rend les choses d’autant plus compliquées. J’ai été athlète de haut niveau pendant dix ans. 2010 : champion d’Europe. 2011 : champion du monde. Et en 2012, je fais quatrième aux Jeux Olympiques. Ce n’est pas pour ça que je venais. Et là, tout s’écroule, » rappelle Camille Lacourt, Pourquoi s’entraîner sept heures par jour, avoir une philosophie de vie tournée vers le haut niveau, pour un tel échec ?” . Mais attention : penser que la baisse de moral n’irait qu’avec une défaite est une conception un peu simpliste. Dans un article de VIDAL, on apprend que, même lorsqu’un sportif atteint son objectif, il subit une chute importante des hormones du stress. En effet, un état dépressif peut survenir après l’atteinte d’un objectif, comme les JO, la phase de redescente émotionnelle est comparable à un sevrage d’adrénaline.
« Le surf, c’est tellement d’extase et d’adrénaline, tu vas tellement haut, c’est comme une drogue, explique le surfeur Jérémy Florès dans le documentaire »Strong », On est constamment en recherche de ce shoot d’adrénaline. Mais il y a aussi du très bas. Et ça, il faut savoir le gérer. Et quand nous sommes en fin de carrière, et qu’il n’y a plus ces shoots d’adrénaline, le manque peut vite se faire sentir. » L’accompagnement devient alors primordial, pour gérer son rapport à la performance, mais aussi le sentiment de toute puissance qui peut accompagner une victoire. « Cet engouement et cette intensité qui entourent un olympien s’estompent très rapidement, observe la psychologue en chef au Comité olympique des États-Unis Karen Cogan pour Slate, Le problème, c’est qu’on pensait que les athlètes étaient forts, durs à cuire, qu’ils réglaient leurs problèmes eux-mêmes. Tout le monde les imaginait parfaits. Mais ils sont comme nous: ils ont aussi des difficultés personnelles. »
Briser le tabou
À la vue des derniers chiffres, enquêtes et témoigages, le Comité Olympique et l’INSEP ont dévoilé un plan d’actions sur la santé mentale dans le sport en octobre dernier, afin de briser le tabou autour des souffrances psychiques rencontrées par les athlètes et de les accompagner, notamment grâce à la mise en place d’aides financières pour les consultations. Et espérer, enfin, mettre un terme aux stéréotypes. “L’idée que la dépression, ça n’arrive qu’aux faibles, il faut arrêter ça,” s’agace Camille Lacourt “Santé mentale, briser le tabou”. Pour Marion Leboyer, directrice générale de la Fondation FondaMental, le travail de son organisme « révèle l’intérêt croissant des sportifs pour une meilleure prise en charge de leur santé mentale.” Et permet à des athlètes bien connus du grand public de se positionner en porte-paroles : “En brisant le tabou autour des maladies mentales, les athlètes jouent un rôle de modèles, encourageant la société entière à reconnaître l’importance de la santé mentale et à aborder ces questions avec la même importance que la santé physique,” poursuit Marion Leboyer.
I have Asthma, allergies, dyslexia, ADD, anxiety, and Depression.
— Noah Lyles, OLY (@LylesNoah) August 4, 2024
But I will tell you that what you have does not define what you can become.
Why Not You!
C’était d’ailleurs tout l’objectif du documentaire “Têtes plongeantes : faire équipe pour la santé mentale” : “Je pense que ce film fait du bien, parce qu’il va donner du courage pour aller en parler, notamment avec des spécialistes,” explique Lenny Grosman, le réalisateur, à L’Équipe. Samuel Utimti, lui, de son côté, est très clair : « Quand on reste seul et qu’on n’en parle à personne, je pense qu’on a du mal, vraiment, à mettre les mots dessus. Et c’est pour ça que j’incite les gens vraiment à en parler, à prendre ce temps-là. Et c’est bien pour ça qu’on a fait ce documentaire. La chose principale était de faire comprendre aux jeunes : « Allez, parlez ». Vous pouvez le faire. Et vous n’allez pas passer pour une personne folle, une personne qui est différente. Tout le monde passe par là. Donc : « Allez-y et lancez-vous ». »
9 décembre 2025