Le #Metoo de la télé-réalité n’aura donc pas lieu ?

Entre ex-candidats condamnés pour violences conjugales remis sous le feu des projecteurs et accusation de viol niée par une production, la télé-réalité ne favorise définitivement pas la libération de la parole de ses candidates. Et reste un angle mort des luttes féministes.

L’ex-candidate Hilona Gos a accusé son ancien compagnon Julien Bert de violences conjugales et d’abus de biens sociaux. Après avoir été reconnu coupable, il a fait appel. Crédit photo : Capture d’écran YouTube

“Malheureusement, la plainte qu’on a faite, trois autres candidates et moi, a été classée sans suite après quatre années d’attente pendant lesquelles j’ai fait une dépression, et j’ai été hospitalisée.” Sur ses réseaux sociaux, Angèle Salentino, ancienne candidate des Anges de la télé-réalité, apparaît fatiguée, déçue par la justice française en laquelle elle avait porté tous ses espoirs. En avril 2021, Rawell Saiidii, sa sœur Rania, Nathanya Sion et elle-même dénoncent publiquement des violences, une intimidation générale, des humiliations répétées et de la misogynie sur leur lieu de tournage, également lieu de travail des trois jeunes filles. Et attaquent La Grosse Équipe, société de production derrière Les Anges de la télé-réalité sur NRJ12. “MeToo a été mis en avant par Angèle, entre autres, mais cela a été globalement ignoré des médias, rappelle la journaliste Constance Villanova, interrogée par Audrey Chippaux dans son ouvrage “Derrière de filtre” (aux Éditions LeDuc), Les candidates de télé-réalité semblent malheureusement être de mauvaises victimes”

@angelesalentino_ytb Pourquoi j’avais disparu pendant 4 ans ? ⚠️ Contenu sensible #pourtoii #foryou #pourtoi #stopharcelement #thepower ♬ Last Hope – Steve Ralph

Les coupables toutes désignées

Sexy, souvent issue d’un foyer brisé et d’un milieu populaire, la candidate de télé-réalité n’aurait-elle finalement que “ce qu’elle mérite” ? “Les productions aiment se déresponsabiliser en disant que ce n’est jamais de leur faute. Que nous sommes des jeunes qui avons des enfances difficiles, qu’on est déstructurées, ce qui est, pour ma part, faux, rappelle Angèle Salentino sur TikTok, les larmes aux yeux. En s’appuyant sur la narrative de la jeune femme instable, les productions s’accordent un droit de manipulation de leurs héroïnes, prêtes à beaucoup pour percer sur le petit écran et s’éloigner d’un quotidien sans perspective. Et le public, lui, peine à empathir. Se délectant même du sort réservé à ces jeunes femmes sur le petit écran. “Vous avez tous été témoins de ce qu’il s’est passé en 2021. J’ai subi un harcèlement de groupe de la part de 15 personnes qui a été excessivement violent. (…) À la suite de cela, j’ai subi un choc post-traumatique, ce qui m’a provoqué une dépression. La production est totalement responsable de ce qui m’est arrivé : non, je n’avais pas eu une enfance difficile. Ils sont les seuls et uniques responsables. Et c’est pour ça que c’était aussi important pour moi de les amener dans un tribunal. Malheureusement, je n’ai pas eu ça”. Car c’est bien ça le problème : sous couvert de divertissement, les personnalités en charge des programmes de télé-réalité participent à créer des environnements néfastes pour les candidates qui, en s’opposant à la mécaniques, risquent de tout perdre : travail, crédibilité et santé mentale. 

“On nous décourage de parler, raconte à Télérama Alix Desmoineaux, ancienne candidate ayant affirmé avoir vu une vidéo d’une agression sexuelle sur une jeune fille par Illan Castronovo, l’un de ses collègue de télé, On nous dit que ce n’est pas bon pour notre image, pour le placement de produits. Toutes celles qui ont parlé sont sorties du système. Il est difficile de dénoncer quand on est encore à l’intérieur.” Accusé par plusieurs femmes d’agressions sexuelles et de revenge porn, Illan Castronovo a longtemps été protégé de l’intérieur : “J’ai bien alerté deux productions. Sur le tournage, les nounous avaient reçu comme directive d’être plus vigilantes,” poursuit Alix Desmoineaux (qui a d’ailleurs gagné un procès lancé par Illan pour diffamation). Sur les tournages, on demande aux filles de prendre leurs précautions. En dehors, de rester aussi belles que silencieuses. 

L’impunité

Longtemps représenté par Magali Berdah – comme celles qui ont affirmé avoir subi des agressions -, Illan Castronovo a pu bénéficier d’un soutien sans faille de son ex-agente. Alors quand Nathanya Sion raconte sur le plateau de Sam Zirah (YouTuber spécialiste de la télé-réalité) qu’il s’est “masturbé à côté [d’elle]” après qu’elle l’ait repoussé plusieurs fois, Magali Berdah conseille en privée à sa “protégée” de se taire : “Là chérie, tu vois, tu dévoiles des trucs sur les réseaux sociaux, tu parles de branlette, ce n’est pas joli pour nous. Laisse-le dans sa merde, tu n’as pas besoin d’aller employer des propos comme ça sur les réseaux sociaux. […] Ça saoule et ce n’est pas beau pour ton image,” entend-t-on sur un vocal dévoilé par Nathanya. Si, depuis, Illan Castronovo a disparu du petit écran, le jeune homme cartonne sur TikTok et s’apprête à combattre lors du prochain événement Influence Fight Club, un club de MMA ultra-médiatisé rassemblant des personnalités des réseaux sociaux sur un ring. Son adversaire ? Marvin Tillière, condamné en 2021 à six mois de prison avec sursis probatoire pendant deux ans pour harcèlement et menaces de mort à l’encontre de son ex, l’ancienne candidate Maeva Martinez, ainsi qu’au versement de 13 500 euros à la plaignante pour préjudice d’image, préjudice moral et pour ses frais d’avocat. L’un des rares cas médiatiques de justice rendue envers une ancienne candidate de télévision, qui n’a pourtant pas empêché le jeune homme de revenir sur le devant de la scène. 

Également convié à ce fameux combat, Julien Bert, reconnu coupable de violences conjugales et d’abus de biens sociaux envers son ex-compagne, l’ancienne candidate Hilona Gos (il a depuis fait appel, ndlr), a décliné. En effet, il serait « en tournage à Bali », comme l’a révélé Illan Castronovo (encore lui) sur le live de Bastos, un ancien candidat reconverti en streameur. Bali, où un seul tournage se déroule actuellement : celui de La Villa des Coeurs Brisés. Une rumeur démentie par Bastos qui s’est entretenu avec la production : “J’ai eu le boss de la boîte de prod qui produit La Villa des Coeurs Brisés et la productrice. Et ces deux personnes m’ont dit ‘il n’y a absolument aucun moyen pour que Julien Bert soit sur le tournage.’ Est ce que la prod me ment et, à cause de notre live, aurait finalement dit à Julien Bert ‘Non, on peut pas le faire’, mais ils en avaient l’intention ?,” questionne le streameur. Une chose est sûre : ce ne serait pas la première fois que Julien Bert apparaîtrait en télé après des agressions (filmées et diffusées). En 2013, il jette des cailloux sur sa copine de l’époque, Manon Marsault, et l’oblige à dormir dehors alors qu’elle est malade. En 2017, il met son sexe sur le visage de Fred, une candidate non consentante, avant d’être épinglé par le CSA. La même année, il insulte, harcèle, humilie et jette une éponge au visage de Nelly, une candidate des Anges avec qui il partage l’écran, la poussant à quitter l’émission. Tout ça ne l’empêchera pas de tourner plus de 10 aventures entre 2013 et 2022.

Le cas Frenchie Shore (TW)

Récemment, une sombre affaire a rassemblé toutes les problématiques soulevées précédemment et bien plus encore : la candidate de Frenchie Kara affirme avoir subi un viol sur le tournage de l’émission controversée, couvert par la production (Ah! Production, société appartenant à Arthur, ndlr). Sur TikTok, elle raconte : “Arrive le moment où on rentre à la Villa. À ce moment-là, je suis totalement ivre, et encore, c’est un euphémisme. Je ne suis plus là. Tout ce que je vous raconte, c’est ce qu’on m’a rapporté, des témoignages des personnes qui étaient là, moi qui ait mis les choses bout à bout avec les images des épisodes, précise celle qui dit avoir fait un “blackout”, D’après les dires, personne n’a compris pourquoi il était resté seul dans le jacuzzi avec moi, c’était comme si il attendait, qu’il guettait un peu. Au moment où je reprends mes esprits, je suis allongée dans la baignoire en train de me vomir dessus, j’ai des infirmiers autour de moi. Et la première chose qui m’a interpellée, c’est qu’il y a une personne de la chaîne qui était là. La deuxième fois où je me réveille, c’est à cause des douleurs, la plus vive étant celle au bas du ventre. C’est la fin du tournage, je rentre à Paris, une candidate me contacte et m’explique qu’il s’est passé quelque chose quand je suis rentrée à la Villa, qu’il en a profité pour m’agresser sexuellement”. 

Un tweet de Kara, supprimé depuis. Crédit photo : capture d’écran X

Dans ses vidéos, Kara explique également que la production aurait filmé les faits et aurait volontairement monté la scène pour la diffusion, sans l’alerter sur ce qu’elle avait subi alors qu’elle était inconsciente. Et surtout, en la faisant passer pour une femme consentante. “La prod, les personnes de la régie, les candidats, même les mecs du son, ont vu la scène et personne ne s’est dit ‘peut être qu’on devrait la sortir de là’. » Elle affirme également avoir déposé plainte contre l’émission, dont l’épisode est d’ailleurs toujours disponible en ligne. Connue pour montrer la sexualité sans filtre, l’émission Frenchie Shore aurait ainsi romantisé un viol, comme ses ancêtres Les Anges ou Les Marseillais romantisaient des relations abusives. Avec une alliance solide pour faire taire Kara : des plaintes de partout, de Melvin (l’accusé) à Julie (qui serait complice d’une deuxième agression sexuelle sur la même candidate) en passant, bien entendu, par la production. Et une opinion publique peu acquise à la cause d’une femme noire, candidate de télé-réalité et participante à un programme dans lequel elle a eu plusieurs relations sexuelles (consenties). La triple peine quoi. 

23 avril 2025

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