Dans ses derniers défilés, le créateur semble viser une clientèle américaine, avec une mode à la française façon Emily in Jacquemus.
Le story telling autour de Marseille, du pastis et des champs de lavande aurait-il pris fin ? C’est ce que semble laisser penser les deux derniers défilés de Jacquemus, qui peu à peu, modifie son vestiaire pour lui insuffler un chic français, décorrélé de ce qui avait fait son succès à ses débuts : la Marseille touch. S’il mise toujours sur des lieux d’exception pour présenter ses collections, Capri en Italie pour le dernier en date, la pnl-isation de ses défilés, font moins mouche. Le créateur donne l’impression de vouloir séduire une cible plus américaine, qui recherche une mode à la française, sans connaissance du savoir-faire. Tout comme AMI, qui s’est exportée outre atlantique avec un style neutre, sans branding, Jacquemus mute vers une femme BCBG parisienne, donnant à la fille du sud dans sa dernière collection quelques espadrilles revisitées pour la faire revivre.
Si sur son eshop le créateur cultive toujours son ADN sudiste, avec des noms en clin d’oeil à son sud natal, dans ses deux derniers défilés, on se sent plus au café de Flore que dans un bar près du vieux port. C’est d’ailleurs dans les jardins de Versailles, avec la plus américaine des égéries, Kendall Jenner, qu’il présentera sa collection Automne-Hiver 2023-2024. Surfant sur le charme français, à grand renfort de vidéos où chaque célébrité invitée se lance dans un cours de duo-lingo à base de bisous- baguette face caméra, Jacquemus tend à proposer une mode à la française pour une clientèle étrangère. Le glamour français version Kylie Jenner et Timothée Chalamet. Une sorte de nouvelle bourgeoisie. “Quand j’ai débuté, j’essayais de faire du neuf. Depuis quelques mois, je me préoccupe plutôt de longévité. J’essaie de définir l’essence de Jacquemus“, confiait d’ailleurs Jacquemus au journal Le Monde juste avant son défilé en Italie.
Et pour durer, il faut vendre à toutes les cibles. C’est ainsi que les égéries défilent, de Jennie star de la K-pop et en cloture du défilé anniversaire du créateur, aux soeurs Hadid. Adulé par les américains, Jacquemus affiche en front row, pléthore de célébrités du Pays de l’Oncle Sam. De Julia Roberts à Kylie Jenner en passant par Gwyneth Paltrow, considérée comme la représentante d’une bourgeoisie déconnectée aux États-Unis . Sans oublier l’actrice Kristin Davis, connue pour son rôle de Charlotte York Goldenblatt dans la série Sex and the City, qui fait l’annonce du défilé “Les Sculptures” de janvier dernier.
Réussissant le tour de force de séduire différentes générations et venant de différents milieux sociaux. Aucune cible ne semble manquer à l’appel, en témoigne sa dernière collaboration avec Nike et dans laquelle la sprinteuse américaine Sha’Carri Richardson a été choisie comme égérie de campagne.Connue pour son style flamboyant et extravagant sur les pistes, elle est l’anti bourgeoisie américaine. Née à Dallas, élevée par sa tante et sa grand-mère, la sprinteuse aura passé une jeunesse difficile, liée à l’absence de sa mère biologique.
Cette stratégie très usa tombe à pic puisque Jacquemus devrait bientôt inaugurer un premier magasin dans le très prisé quartier de Soho à New York. “Cette initiative marque également le premier magasin autonome de la marque aux États-Unis et l’espoir d’exploiter la plus grande capitale de la mode du pays”, écrivait d’ailleurs L’Officiel USA dans ses pages. Une annonce faite juste avant que le créateur ne reçoive le prix 2024 du Couture Council Award for Artistry of Fashion décerné par le Conseil du Musée du Fashion Institute of Technology (MFIT). Le tout à l’occasion d’une cérémonie à New York.
Avec une presse américaine absolument dithyrambique à chaque nouvelle collection du J, Simon Porte Jacquemus semble avoir réussi à installer le charme français à l’international, tout en le rendant moins charmant dans l’hexagone. De quoi aller à l’encontre (un peu) de ce qu’il confiait dans les colonnes de Bof en 2016 : “Ma stratégie, pour être clair, est d’avoir une marque forte avec une image forte et un prix contemporain (…) Mais je ne veux pas être à côté des marques contemporaines (…) La réponse n’est pas d’être une énorme marque dans 10 ans. Cela ne signifie rien pour ma vie”.
L’american dream très vins, moins pastis.
21 juin 2024