Londres en passe de devenir la capitale de la Fast Fashion Week ?

De H&M à Topshop en passant par Boohoo ou Pretty Little Thing, les acteurs de la fast-fashion se donnent régulièrement rendez-vous à Londres pour fouler le podium, alors même que l’Europe prône une mode plus durable. 

Le défilé de Topshop le 16 août dernier, à Londres. Crédit photo : Topshop via Facebook

Le 16 août dernier, des milliers de férus de monde se sont rassemblés sur Trafalgar Square pour un défilé particulièrement attendu par les Britanniques : celui de la marque Topshop, qui signe officiellement son grand retour. Un événement qui coincide avec les récentes déclarations du British Fashion Council, qui promet d’imposer de nouvelles normes en matière de développement durable lors des prochaines Fashion Weeks, et ce dès janvier 2026. “C’est une étape importante et cela témoigne de notre volonté à ce que le développement durable fasse partie intégrante de l’avenir de la mode, expliquent les organisateurs dans un communiqué, Ensemble, nous créons un cadre qui permet aux entreprises émergentes de montrer la voie et de contribuer concrètement à rendre l’industrie plus durable et plus responsable”. Pourtant, si la Fashion Week de Londres est la première du Big Four à prendre une position aussi claire en faveur de l’écologie, elle est aussi celle qui s’appuie le plus sur des marques de fast-fashion pour faire vivre son calendrier.

Le retour des grands d’antan

Quelques semaines avant Topshop, c’était H&M qui faisait défiler ses mannequins dans un événement inscrit au calendrier officiel. Une présence tout sauf nouvelle pour le groupe suédois qui avait fait appel, l’année précédente, à la star britannique Charli XCX pour promouvoir son show. Les podiums deviendraient-ils le nouveau terrain de jeu des marques de fast-fashion ? S’appuyant sur un système de “see-now-buy-now” permettant un achat immédiat des pièces présentées lors du défilé, Topshop et H&M nous renvoient à un temps où elles régnaient sur la mode, alors peu concernée par les problématiques environnementales et éthiques. 

La nostalgie peut-elle seulement suffire à replonger dans un système que l’on sait aujourd’hui défaillant ? Racheté à 75% en 2024 par le milliardaire danois Anders Holch Povlsen, propriétaire de Bestseller, et détenu à 25% par Asos, Topshop assure vouloir s’éloigner de cette étiquette fast-fashion, en s’inscrivant dans la stratégie intègre d’Asos, qui contrôle les normes des usines et les chaînes d’approvisionnement. Résultat ? Des prix plus élevés (comptez environ 50 £ pour un jean et jusqu’à 100 £ pour une robe) et une direction artistique plus haut-de-gamme. Mais pour quel public ? “Je pense que le dilemme pour le nouveau rebranding de Topshop est le suivant : faut-il séduire la génération Y, pour qui cette marque était un véritable rite de passage, ou faut-il plutôt cibler la version actuelle de cette génération ?, questionne Laura Antonia Jordan, collaboratrice de Elle, dans les colonnes du Guardian, Je ne sais pas si la marque pourra les séduire de la même manière, car ils ont désormais l’embarras du choix.”

Une solution par défaut pour Londres dont la Fashion Week est en déclin ?

Pour s’en rendre compte, il suffit simplement de se plonger dans les éditions précédentes de la Fashion Week de la capitale anglaise. En février dernier par exemple, c’était Pull & Bear le sponsor de l’événement, étant le principal partenaire de l’initiative NewGen du British Fashion Council. Marque du groupe Inditex (Zara, Mango, Bershka), cet acteur de la fast-fashion accompagne donc des designers émergents prônant principalement des pratiques de mode durables et éthiques. Comment expliquer une telle anomalie ? Et bien tout simplement parce que la Fashion Week, ça coûte cher. 

En février, la programmation était d’ailleurs particulièrement allégée, les créateurs délaissant les défilés traditionnels au profit d’expériences plus intimes, et, surtout, moins onéreuses. “Les shows coûtent très cher, rappelle le designer Patrick McDowell à Glossy, On peut organiser un défilé avec un budget serré de 30 000 £, mais même avec ce budget, on fait appel à de nombreux avantages. Les grandes marques peuvent dépenser des millions. Et aujourd’hui, les sponsorings sont tout simplement plus rares qu’avant. De nombreux budgets marketing ont été réaffectés, ce qui rend la justification des coûts plus difficile pour les petites marques.” Un budget que les marques de fast-fashion, elles, ont. Un win-win se dessine alors pour les différentes parties impliquées : l’enseigne grand public s’inscrit dans un secteur plus haut-de-gamme tout en redorant son blason en aidant de jeunes créateurs, quand ces derniers peuvent figurer au calendrier officiel, dont ils n’auraient jamais pu rêver sans le soutien de grands groupes. 

@venetialamanna

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♬ original sound – Venetia La Manna 🍉

Greenwashing et visibilité

Une opportunité de se créer une meilleure image dont les marques de fast-fashion, particulièrement pointées du doigt ces dernières années, ne veulent pas se passer. Mais leur présence lors des évènements mode de Londres est loin de faire l’unanimité. En 2023, Boohoo était invitée par Source Fashion pour parler de mode éthique, déclenchant la colère du public. Accusée de verser de bas salaires et d’imposer de mauvaises conditions de travail dans ses usines ou au sein de sa chaîne d’approvisionnement, la marque s’était retrouvée au cœur d’un scandale en 2020.

Dès lors, au début de la table ronde, plusieurs femmes s’étaient levées une à une dans le public pour exprimer leur colère, avant d’être escortées à l’extérieur par le service de sécurité. “Comment Boohoo ose-t-il utiliser cette tribune pour parler d’éthique et de collaboration dans l’industrie ?,” avait lancé une des accusatrices. Une autre manifestante avait dénoncé l’écart entre le salaire des ouvriers du textile et la rémunération du directeur général de Boohoo, John Lyttle, qui toucherait un bonus équivalent à 200 % de son salaire. Une autre avait rappelé les accusations d’esclavagisme moderne qui pèsent sur la marque. Rapidement, l’entreprise basée à Manchester avait recentré la discussion sur l’achat plus éthique, sur sa volonté de travailler étroitement avec ses fournisseurs et de former ses employés de son usine sur l’approvisionnement responsable.

Table ronde avec les dirigeants de Boohoo à Source Fashion 2023 (Crédit : Source Fashion)

Rappelons cependant que Boohoo fait partie de des trois marques visées par une enquête de l’Autorité britannique de la concurrence et des marchés concernant la promotion de ses engagements environnementaux. Lianne Pemberton, responsable de la durabilité chez Boohoo, l’a d’ailleurs avoué : “Nous n’avons jamais prétendu être une entreprise durable. Je ne pense pas qu’aucune marque de mode puisse dire qu’elle est véritablement durable.” Alors comment expliquer leur présence lors de ce panel ? 

Un greenwashing également effectué par Primark, devenu cette année le nouveau mécène du British Fashion Council, aux côtés de H&M, Asos, Mark & Spencer ou encore Amazon Fashion. Pour fêter ce nouveau partenariat, la marque irlandaise organisera une série d’événements lors de la prochaine Fashion Week de Londres, du 13 au 17 septembre, dans ses magasins britanniques. Parmi eux ? Des ateliers de réparation de vêtements. Pourtant, si l’on peut saluer le changement de direction opéré par la marque, Primark reste un modèle de la surconsommation grâce à des prix toujours plus bas appliqués à des collections, elles, toujours plus nombreuses. “La logique des prix cassés fait qu’on est souvent amené à dépenser plus que ce qu’on avait prévu. C’est le piège des petits prix que Primark illustre bien, explique Flore Berlingen, coordinatrice du plaidoyer pour En mode climat à Reporterre, Leur communication autour de l’environnement, c’est aussi une manière de rassurer l’acheteur, en envoyant le message qu’on peut continuer à consommer de la même manière. Mais cela masque totalement le problème principal : celui des quantités.” 

Si le fait de pratiquer des tarifs toujours plus bas est un bon indicateur des conditions de fabrication d’un vêtement, il n’est pas le seul. En effet, cette année, nous avons pu assister au rebranding (et à la hausse des prix) de Pretty Little Thing, une autre marque de fast-fashion détendue par Boohoo. Dévoilée lors de la Fashion Week de Londres, leur nouvelle identité empreinte aux codes du luxe pour mieux faire passer la pilule. Nouveaux logo, nouveau compte Insta, nouvelle identité graphique, nouveau site et surtout nouvelles silhouettes… Pretty Little Thing ne veut plus être considérée comme une marque du jetable, mais bien s’imposer comme la petite soeur des créateurs prisés par les amateurs de quiet luxury et autres vestiaires old money.

Crédit photo : Pretty Little Thing

“Avant, nous nous efforcions de trouver le produit sur place au prix le plus bas possible. Désormais, nous ne nous concentrons plus sur la vente d’une robe sur place à 4 £, mais sur une robe plus épaisse, non transparente et mieux ajustée,” a avancé le co-fondateur de la marque Umar Kamani, à Drapers. Malgré cela, rien n’indique que PLT ait opéré quelconque changement éthique (et même qualitatif) qui justifierait la monté de ses prix. Une très large majorité de pièces contient du plastique, et les informations sur la provenance des produits sont difficilement accessibles. L’indice de mode éthique GoodOnYou a d’ailleurs souligné que lorsqu’on tente de percer les mystères de PLT, “les choses deviennent un peu floues à mesure que l’on descend dans la chaîne d’approvisionnement,” comme nous l’avions déjà fait remarqué dans l’un de nos précédents articles

London, out ?

Et si Londres était finalement dépassée par ses ambitions ? Il faut dire que sa dernière Fashion Week était loin d’être un succès, écourtée à quatre jours et éclipsée par le traitement médiatique accordé à Milan et Paris notamment. Un rapport récent de Lefty, qui suit l’impact de la couverture médiatique des influenceurs sur les marques, a ainsi indiqué que la valeur médiatique acquise de la Fashion Week de Londres de septembre dernier s’élevait à 20,9 millions de dollars, contre 132 millions de dollars pour New York, 250 millions de dollars pour Milan et 437 millions de dollars pour Paris. “Le calendrier londonien est un peu morose, il y a un sentiment de vide en ce moment, a admis Steven Stokey-Daley, fondateur de SS Daley, pour le Guardian, Les données montrent que Londres ne bénéficie pas de la même attention que d’autres villes, ce qui a donné l’impression que les créateurs eux-mêmes ont un peu déserté. Mais Londres a toujours été une ville clé pour notre marque, et nous avons pensé qu’il serait bien de faire quelque chose pour contribuer à créer le buzz. J’adore Londres, et nous sommes très attachés à la culture britannique. Mais beaucoup de nos acheteurs les plus importants ne viennent pas à Londres,” s’est-il ensuite désolé. 

De plus, cette année, on a vu la Fashion Week de Copenhague tout raffler, interrogeant ainsi l’ordre établi : le fameux Big Four (dont Londres fait parti) doit-il être remis en question ? À quelques kilomètres de la capitale anglaise, Manchester semble flairer la future délocalisation de la mode britannique, et relance, près de 10 ans après son arrêt, sa propre Fashion Week. Avec des ambitions claires : présenter une mode en phase avec son temps, tant sur le plan esthétique que sur le plan éthique. “La mode, en l’état actuel, n’est pas durable — et nous n’esquivons pas cette réalité. La Manchester Fashion Week affrontera de front les défis du secteur, en mettant en lumière les moyens pour les marques d’assumer davantage leurs responsabilités. L’éducation sera au cœur de notre mission, car nous voulons bousculer le système actuel et déclencher des discussions essentielles autour des changements culturels et systémiques nécessaires, tant dans l’industrie que dans la société,” a déclaré Gemma Gratton, productrice exécutive de la Manchester Fashion Week à WWD. Et surtout, l’évènement ne tente pas de masquer son lien avec les acteurs de la fast-fashion, sans jamais les nommer comme tel : “Même si nous ne cautionnons pas les pratiques de l’ultra-fast fashion, nous invitons ces acteurs à rejoindre la conversation, sans jugement. Notre objectif est de créer un espace d’apprentissage, de dialogue et de progrès en leur permettant d’écouter des voix pionnières de la mode et de la durabilité”; précise Gemma Gratton.

Le créateur Mariusz Malon présentera ses créations réalisées à partir de deadstocks à la Fashion Week de Manchester
Crédit photo : Mariusz Malon

Autofinancé et porté par “une équipe engagée qui croit en la nécessité d’une fashion week ancrée dans l’identité de Manchester,” la Fashion Week de Manchester a pour objectif d’offrir un nouveau départ à la ville industrielle, devenue le pôle des géants de l’ultra-fast fashion comme Boohoo, Misguided et l’expérience premium récente de SHEIN, baptisée Musera. Désireux de rompre avec cette image, l’évènement promet de “remettre en question le statu quo”. “Avec un accent fort sur la circularité, la production responsable, les tissus du futur et la fashion-tech, la Manchester Fashion Week sera une plateforme où tradition et transformation se rencontrent,” assure sa productrice exécutive. Décidément comme au foot, les britanniques devront choisir leur équipe.

1 septembre 2025

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