Depuis son élection, Donald Trump s’en prend aux détaillants mettant l’accent sur les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion. De quoi questionner alors que les États-Unis célèbrent leur Black History Month.
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Le 20 février dernier Trump évoquait depuis la Maison Blanche, toutes les statues de héros noirs américains qu’il prévoyait d’installer dans un futur jardin de sculptures célébrant l’histoire des États-Unis. Le tout pour célébrer le Black History Month. Une initiative de façade qui va à l’encontre des récentes sorties du président américain, qui prône un recul de l’égalité des chances. “J’entamerai immédiatement la révision de notre système commercial afin de protéger les familles et les travailleurs américains.”, lançait-il lors de son investiture, une phrase choc qui visait directement les initiatives DEI.
Diversity, equity, inclusion
Trois petites lettres qui veulent pourtant dire beaucoup : “Diversity, equity, inclusion” (diversité, équité, inclusion en français, ndlr). Héritées du mouvement des droits civiques dans les années 1960, ces politiques utilisées pour parler des programmes visant à réduire les discriminations fondées sur les origines ethniques, le sexe, l’orientation sexuelle, la religion et le handicap ont été plus largement investis par les entreprises depuis la mort de George Floyd en 2020 et le mouvement Black Lives Matter qui s’en est suivi.
Racisme anti-blanc et méritocratie
L’histoire débute en 2023, alors que la Cour Suprême statue contre les programmes d’admission tenant compte de la couleur de peau et/ou de l’origine ethnique dans les collèges et universités. De quoi donner du grain à moudre aux conservateurs, désormais unis sous la bannière de l’ancienne vedette de télé-réalité, aujourd’hui devenu 67ème président des États-Unis.
Pour résumer : les DEI, dans la bouche des partisans républicains, sont la cause de tous les maux du pays. On les accuse d’avoir encouragé la chute de la Silicon Valley Bank, d’être à l’origine des problèmes de sécurité dans les avions, et même de faire effondrer des ponts. Mais surtout, on leur reproche, sous couvert d’incarner l’inclusion, de discriminer les hommes blancs. “DEI n’est qu’un autre mot pour désigner le racisme. Honte à quiconque l’utilise,” a ainsi déclaré Elon Musk sur X, quand Donald Trump lui-même a osé, durant sa campagne présidentielle, affirmer qu’il existait selon lui “un sentiment clairement anti-blanc dans [son] pays”. Devenu le premier homme des États-Unis depuis, l’époux de Melania Trump invoque la “promesse constitutionnelle d’une égalité indifférente à la race” pour promouvoir la notion de “mérite”. De quoi refroidir les entreprises qui avaient jusqu’alors recours à ces programmes inclusifs…
DEI is just another word for racism. Shame on anyone who uses it. https://t.co/HM94ZZmfhU
— Elon Musk (@elonmusk) January 3, 2024
Profiter du « Black dollar » mais ne pas investir dedans
Le 24 janvier dernier – soit 4 jours après l’investiture de Trump -, Target (l’équivalent américain de Monoprix, ndlr) lâche la bombe : l’entreprise compte mettre un terme à ses initiatives DEI, et notamment à ses programmes visant à promouvoir les entreprises appartenant à des Noirs dans ses magasins. Une décision qui survient après que Trump ait signé deux décrets ciblant les mesures encourageant la diversité au sein du gouvernement fédéral et qui a été particulièrement critiquée, Target ayant basé toute sa réputation sur l’inclusivité. En plus de supprimer ses programmes DEI, Target a également interrompu son initiative REACH (Racial Equity Action and Change), “dans le cadre de laquelle elle s’était engagée à investir plus de 2 milliards de dollars dans des entreprises appartenant à des personnes de couleur noire d’ici à la fin de l’année 2025”, comme le rappelle un article de Fashion Network. Pour le membre du congrès texan Sylvester Turner, “Target commet une erreur en mettant fin à ses objectifs en matière de diversité des fournisseurs alors que sa clientèle est très diversifiée” .
Désormais visage du déclin des politiques inclusives sur le territoire américain, Target est devenue la cible (sans mauvais jeu de mot) de nombreux appels au boycott, notamment de la part du conseiller municipal de Minneapolis et représentant de Strike for All, Jason Chavez qui a exhorté “chacun à envisager de soutenir plutôt les petites entreprises et les épiceries familiales de notre communauté,” sur les réseaux sociaux. Le détaillant se fait d’ailleurs reprendre dans un récent post Instagram dans lequel il fait la promotion du « Black History Month ». « Vous voulez donc PROFITER de la culture noire, mais pas y investir », écrit un internaute.
Via Instagram
Une position qui, au sein des communautés visées par ces politiques, divise. “Retirer les “black dollars” de ces détaillants ne nuit pas autant aux entreprises qu’aux marques que vous aimez. Cela alimente également le faux récit selon lequel nous ne sommes là qu’à cause des initiatives DEI – et non à cause des innombrables sacrifices et de la créativité que nous avons déployés,” a ainsi expliqué Maya Smith, fondatrice de la marque de cheveux texturés Doux. Une position que partage également Melissa Butler, fondatrice de Lip Bar – des cosmétiques également vendus chez Target : “Il faut être conscients qu’en ne faisant pas nos achats dans ces magasins, vous avez également un impact sur les centaines d’entreprises détenues par des Noirs et des femmes”.
Un peu plus tôt, c’est Walmart, premier employeur du pays (1,6 million d’associés travaillant dans près de 5 000 sites aux États-Unis), qui annonçait réduire ses programmes de diversité, provoquant une onde de choc dans toute l’Amérique du nord. Rappelons notamment qu’en 2020, le directeur général avait promis des mesures contre le racisme systémique en créant un Centre pour l’équité raciale chargé de distribuer 100 millions de dollars de subventions sur cinq ans. Dans un communiqué, l’enseigne a également expliqué qu’elle ne “tiendrait plus compte de la race et du sexe pour favoriser la diversité”, et qu’elle comptait réduire le temps de formation sur l’équité raciale, désirant plutôt favoriser un “sentiment d’appartenance”.
Une décision qualifiée de “la plus grande victoire à ce jour pour notre mouvement visant à mettre fin au wokisme dans les entreprises américaines,” par Robby Starbuck, figure de proue de cette “croisade anti-woke” mais qui n’est ni au goût d’une partie des consommateurs, ni des investisseurs. En effet, des dizaines d’actionnaires représentant 266 milliards de dollars d’actifs se disent “préoccupés de voir [leur] entreprise céder au harcèlement et à la pression des groupes anti-DEI”. “Voir l’entreprise s’éloigner de ses valeurs déclarées et des opportunités commerciales associées à une main-d’œuvre diversifiée et inclusive est très décourageant. De plus, Walmart n’a pas présenté d’argument financier ou commercial pour ce changement de politique” ont ainsi soulevé les investisseurs dans une lettre ouverte.
MASSIVE news: Walmart is ending their woke policies. I can now exclusively tell you what’s changing and how it happened.
— Robby Starbuck (@robbystarbuck) November 25, 2024
Last week I told execs at @Walmart that I was doing a story on wokeness there. Instead we had productive conversations to find solutions.
Below are the… pic.twitter.com/BD02xJQ0X2
La résistance des marques
Car oui : à part s’attirer les faveurs de lobbying anti-woke, financièrement, ce positionnement n’a pas grand intérêt. C’est en tout cas ce qu’avance Jeff Raikes, membre du conseil d’administration de Costco, qui indiqué sur ses réseaux sociaux que “les attaques contre la diversité, l’équité et l’inclusion ne sont pas seulement mauvaises pour les affaires, elles nuisent à notre économie. Une main-d’œuvre diversifiée stimule l’innovation, élargit les marchés et alimente la croissance.” Allan Schweyer, responsable des études sur le capital humain pour The Conference Board soulève également cette notion de bénéfice, monétaire mais également humain : “Les dirigeants devraient se concentrer sur ce qui compte vraiment pour leurs employés […], ces initiatives étant cruciales pour attirer et garder des talents actuels et futurs”.
Heureusement, toutes les grandes entreprises américaines n’ont pas tourné le dos à ces initiatives, malgré les pressions. Elf Cosmetics, la National Football League (NFL) ou encore Apple ont publiquement réaffirmé leur engagement en faveur des politiques de DEI. Amber Cabral, auteure et consultante – anciennement dédiée à la diversité chez Walmart, le rappelle : “La DEI ne s’adresse pas uniquement aux personnes noires, brunes et pauvres. Elle s’adresse à tout le monde, que vous soyez noir, pauvre, handicapé ou originaire d’un autre pays, quelle que soit votre situation… vous avez ici une opportunité.” De quoi permettre à des initiatives déjà en place de poursuivre leurs élans inclusifs. Alors que Glossier maintient son programme de subventions pour les fondatrices de marques de beauté noires, le 15 Percent Pledge, une organisation à but non lucratif encourageant les détaillants à promettre au moins 15 % de leur espace de vente aux entreprises appartenant à des Noirs, a maintenu son gala annuel de collecte de fonds, levant 3 millions de dollars.
”Il se passe actuellement beaucoup de choses extrêmes aux États-Unis, et nous devons résister à l’envie de les normaliser,” explique Aurora James, fondatrice de cette association pour Vogue Business, “Ce serait une erreur de croire que ce sentiment anti-DEI représente le nouveau statu quo. Je comprends que les personnes qui soutiennent les efforts de DEI éprouvent beaucoup de craintes, mais nous ne pouvons pas nous laisser guider par la peur.” Jamie Gill, fondateur de The Outsiders Perspective, un programme d’incubation à but non lucratif pour les personnes de couleur, conclue, dans un entretien accordé à The Buisness of Fashion : “Que cela s’appelle DEI, que cela s’appelle personnes et culture… La mode n’a pas le droit de soutenir Trump et doit mener une activité créative et innovante [au service] d’un consommateur mondial”.
Pas de doute : la résistance politique de demain passera bien par nos manières de consommer, et la mode sera engagée… ou ne sera pas.
26 février 2025