L’affaire DaBaby/Dani Leigh nous rappelle que derrière ce terme trendy se cache des mères célibataires vivant pour beaucoup en dessous du seuil de pauvreté.
Récemment le rappeur américain DaBaby exposait sur les réseaux sociaux l’artiste Dani Leigh, mère de son nouvel enfant. Sur Instagram, il s’en prenait à l’occasion d’un live Instagram, à celle qui, tout en allaitant sa fille de trois mois, lui demande d’arrêter de filmer. Une scène qui brise les barrières de l’intime et qui met mal à l’aise. En plus de l’intrusion non consentie dans l’intimité de la chanteuse, DaBaby qualifie Dani Leigh de “baby mama”. Un terme utilisé pour désigner la mère de ses enfants lorsque les parents ne sont pas ou plus en couple. Largement utilisé dans la culture américaine, notamment afro-américaine, le terme viendrait en réalité du créole jamaïcain “bebi mada” et aurait été popularisé dans les années 1960.
Point définition
Il est utilisé dans des cas bien précis. “Il implique certainement qu’il n’y a pas de mariage, pas même un mariage de fait, mais plutôt que l’enfant est un enfant extérieur.”, explique le professeur Peter L. Patrick, professeur de linguistique, qui a étudié le créole jamaïcain dans un article de The Citizen. Dans ce même écrit, l’auteur s’interroge sur la “hype” créée autour de ce terme, jusqu’à devenir une menace pour l’architecture de la famille dite classique. “Un certain nombre d’hommes africains n’ont pas complètement abandonné la polygamie. Ils gardaient des « épouses » ou des baby mamas secrètes à côté. Autrefois mal vu, il semble maintenant être glorifié et perpétué comme un mode de vie enviable de notre époque, alimenté par des célébrités de haut vol, des politiciens et aussi des gens ordinaires dont les histoires ne sont jamais racontées en raison de leur statut“.
Dans un livre publié en 2014 et intitulé “The Baby Mama Syndrome”, le juge américain Robert Doyel (à tendance démocrate) met en lumière les répercussions de ce qui peut s’apparenter à un mode de vie. “Les femmes se harcèlent et se battent entre elles pour un homme. Parents, amis, voisins, voire employeurs sont pris dans les conflits. L’homme terrorise la femme.”, écrit t-il. “Les mères ne terminent pas leurs études secondaires, ne trouvent pas d’emploi, souffrent médicalement et psychologiquement, emménagent chez leurs propres parents ou ex-fiancé.”. Ce que révèle le cas Dani Leigh qui explique avoir emménagé chez DaBaby et ne plus avoir où se loger. Les gué-guerres entre “baby mamas” font également les choux gras des tabloïds américains. De quoi alimenter ce qui cache en réalité une détresse parfois sociale.
Un terme raciste ?
En 2008, Fox News qualifiait Michelle Obama de “Baby Mama d’Obama” ; la chaîne s’excusera quelques jours plus tard avouant un “manque de jugement”. Si le terme semble être utilisé avec prédominance dans la culture afro-américaine, la plupart des articles US sur le sujet s’étendent à dire qu’il ne détient aucune connotation raciste. Mais on s’interroge sur les motivations de la chaîne pro-trump. Dans un long témoignage, la professeure américaine Abby Kindelsperger, explique avoir abordé le sujet avec ses élèves. Ils seront nombreux à qualifier cette dénomination de raciste suite à l’extrait de Fox News. Mais il est aussi utilisé dans les hautes catégories socioprofessionnelles blanches. “Billionaire Estee Lauder heir William Lauder in legal battle with baby mama“, écrivait par exemple le média News.com au sujet d’une bataille juridique entre le milliardaire américain et président exécutif de The Estée Lauder Companies et son ancienne compagne. Plus que raciste, il semble avant tout sexiste. Son pendant “baby daddy”, n’est que très rarement utilisé.
Force est de constater en revanche que l’utilisation du double mots est utilisé davantage dans la culture hip-hop et afro-américaine aux États-Unis. En 2000, dans le célèbre titre “Ms Jackson”, Andre 3000 du groupe Outkast en fera d’ailleurs l’usage. “Yeah this one right here goes out to all the baby’s mamas, mamas Mamas, mamas, baby mamas, mamas”, lancera t-il en début de morceau tout en s’adressant à la vraie Ms Jackson, Kolleen Maria Gipson, la mère d’Erykah Badu. Le couple formé par Andre 3000 et Erykah Badu s’était séparé alors que leur petit garçon n’avait que trois ans. Sur le moteur de recherches lyrics.com 32 751 chansons référencent le terme “Baby Mama”. On y retrouve d’ailleurs les artistes francophones Hamza ou encore Gradur. Une présence presque anecdotique tant les textes référencés sont en grande partie issus du catalogue musical américain.
THE BM RANGERS 🦹🏼♀️🦸🏽👩🏿🎤🧑🏾🎤🧝🏾♀️ pic.twitter.com/A5m02NQ1vR
— 4EVA (@GIMMEYOOCOOCHIE) November 15, 2021
La baby mama une hussleuse ou une gold diggeuse ?
Le mouvement prônant l’égalité des sexe, qui arrive dans le sillage de #MeToo, aura semble t-il aidé à donner de la voix à ces “baby mamas”, mais pas assez. La rappeuse Summer Walker en est l’exemple. Après sa relation avortée avec le producteur américain London On The Track (proche de DaBaby) elle sortira le titre “4th Baby Mama”, en référence à sa position dans la lignée des “baby mamas” du producteur. Dans ce morceau elle s’en prend directement à la mère de son ancien compagnon. “I wanna start with yo mama, she should’ve whooped yo ass , Know you ain’t shit, but she don’t care ’cause you lit, Paying for trips cars, bags and bought the crib”. Des paroles accusatrices, (on sait ô combien il est plus facile de blâmer une femme qu’un homme), qui met également en lumière la différence de traitement par les rappeurs américains entre leur mère et leur compagne. Une contradiction que l’auteur français Sylvain Bertot relevait d’ailleurs dans un de nos récents papiers. Le rap américain “c’est le milieu des mères célibataires, les rappeurs rendent tous hommage à leur maman qui portait la culotte et gérait le foyer”. Mère célibataire respectée par leur fils donc, pas par leur compagnon.
Dans une chanson datant de 2004 l’artiste américaine Fantasia chantait elle, à la gloire des baby mamas. Elle y exposait les sacrifices souvent de ses mères célibataires. “Je vous vois payer les factures, je vous vois bosser, je vous vois aller à l’école”. De quoi rappeler qu’au travers des années, la définition de “Baby Mama” reste accrochée à une certaine réalité, celle de mamans seules souvent obligées de cumuler plusieurs jobs pour élever leur enfant. Si les baby mama sont parfois taxées de “profiteuses” elles sont pour beaucoup confrontées à l’absence du père au sein de l’éducation de leur enfant. D’un point de vue financier mais aussi présentiel. Dans une série intitulée “Baby Mama Club” et diffusée sur la télévision néo-zélandaise, cinq femmes qui ont été en couple avec le même homme s’unissent pour demander des comptes au père de leurs enfants. Entre réalité et fiction, la baby mama est devenue un outil marketing mais aussi l’illustration même des nombreuses étapes qui restent à franchir pour une société totalement égalitaire.
D’autant que les reproches sont souvent dans ces situations, adressés aux femmes. Pour Dani Leigh, les tweets arguant qu’elle devait s’y attendre sont légions. Très peu en revanche note le manque de responsabilités de DaBaby. Selon un récent rapport 80% des familles monoparentales aux États-Unis sont dirigées par des mères célibataires – près d’un tiers vit dans la pauvreté. Mais on voudrait nous faire croire “qu’elle a fait un bébé toute seule”.
This goes out to all my baby mamas
Fantasia – Baby Mama
I got love for all my baby mamas.
It’s about time we had our own song
Don’t know what took so long
Cause nowadays it’s like a badge of honor
To be a baby mama
I see ya payin’ your bills
I see ya workin’ your job
I see ya goin’ to school
And girl I know it’s hard
Even though ya fed up
With makin’ beds up
Girl keep ya head up.
17 novembre 2021