À chaque semaine sa trend TikTok. La dernière en date ? S’appuyer sur les conseils beauté de ChatGPT pour glow up.
Engagée dans une quête à la perfection sans fin, la Gen Z s’est trouvé un nouvel allié de taille : l’intelligence artificielle. En demandant au chatbot des conseils beauté, celle-ci s’offre un traitement sur mesure, et n’hésite pas à partager ses prompts (mots clés donnés à l’IA, ndlr) en ligne. En quelques mois, les vidéos sous les hashtags #GlowUpWithAI se multiplient. Skincare, makeup, coiffure…Il suffit de télécharger une photo de soi sur l’application, de lui demander comment être la plus belle et de se laisser guider. Une recette de cuisine bien précise, qui s’appuie sur des critères de beauté algorithmiques, avec tous les biais que cela comporte.
Parfaite, quoi qu’il en coûte
Car même si certains s’attachent, ChatGPT ne reste qu’un outil alimenté par les tonnes de stéréotypes que l’on trouve en ligne. “Ces tendances reflètent souvent les discours culturels dominants sur la beauté,” résume Aditya Gulati, doctorant étudiant l’intersection entre l’IA et le comportement humain à Dazed Digital. Des études ont par exemple prouvé que lorsque l’on demande à la plateforme de nous montrer une belle femme ou un bel homme, ces derniers ont systématiquement la peau blanche ou des corps minces. “De nombreuses recherches montrent déjà que ces outils tendent à promouvoir une version homogénéisée de l’attractivité, alignée sur des standards de beauté occidentaux souvent irréalistes, comme des lèvres pulpeuses, un petit nez et des pommettes saillantes, poursuit le chercheur, Cela a été associé à une augmentation du recours à la chirurgie esthétique et à des problèmes de santé mentale croissants, en particulier chez les jeunes filles.”
Et oui : même si le chatbot se veut notre ami avec ses phrases d’accroche flatteuses, ses plans pour notre amélioration, eux, ne prennent pas de pincettes. Dans certains cas, ChatGPT est allé jusqu’à recommander des injections de Botox, du microneedling, du bronzage artificiel, des blanchiments dentaires ou encore des injections, notamment à la jawlines ou aux lèvres. C’est par exemple ce qu’a conseillé l’IA à la créatrice de contenu Anya Weitz, qui a partagé la (longue) liste d’améliorations proposées par ChatGPT sur ses réseaux sociaux, manifestement enthousiaste à l’idée de la suivre, quoi qu’il en coûte. Car pour correspondre aux critères de l’IA, certains TikTokeurs avouent avoir dépensé des milliers de dollars. ChatGPT a par exemple conseillé à la créatrice de contenus Michaela is not funny de se faire réhausser les paupières. Coût de l’opération ? 2200 dollars.
Male gaze et capitalisme
Si beaucoup de gens se tournent vers l’appli plutôt que vers des amis, voire vers des professionnels, c’est qu’ils ont tendance à la penser impartiale. Voir délicieusement brutale. “Les utilisateurs considèrent ChatGPT comme une mesure plus objective de la beauté car, contrairement aux amis et à la famille, il ne prend pas en compte des qualités comme la gentillesse ou l’humour, explique Jessica DeFino, critique beauté et rédactrice de la newsletter Review of Beauty au Washington Post, Les standards de beauté de l’ère Internet transforment le soi en objet. Et quel meilleur moyen d’évaluer un objet que de le demander à un autre objet (alimenté par l’IA) ?” Comme nous l’avons déjà souligné, l’intelligence artificielle est nourrie aux datas, qui peuvent être aussi racistes que sexistes. “Il y a de fortes chances que le modèle ait été entraîné avec des contenus où l’on note l’apparence des gens, comme r/RateMe (notez-moi) ou HotOrNot (sexy ou pas), des sites où des hommes jugent les femmes sur dix,” rappelle Alex Hanna, directrice de recherche au Distributed AI Research Institute. Alors que l’on pense s’adresser à un robot sans genre, nous restons soumises au male gaze lorsque l’on entame ce genre de démarche. Pour Emily Bender, linguiste informatique spécialisée dans l’IA générative, avec ces outils, “nous automatisons le regard masculin”. Et souvent, sans même s’en rendre compte.
D’autres dénoncent ChatGPT pour son aspect capitaliste. En effet, récemment, OpenAI a annoncé la mise à jour de son chatbot pour afficher les produits (images, détails et liens) lorsque les utilisateurs semblent avoir besoin de recommandations. Une autre plateforme, Perplexity AI, a déjà intégré une fonctionnalité shopping à l’interface de son chatbot, et la beauté est la troisième catégorie la plus recherchée. En novembre dernier, la compagnie Estée Lauder s’associait avec ChatGPT, lui permettant d’accéder plus rapidement à son propre coffre-fort de données. Cette collaboration a permis le développement de 240 GPT personnalisés qui façonnent et accélèrent directement la création et la commercialisation de nouveaux produits. Peut-on imaginer un futur où les marques payent pour être citées par ChatGPT lors de diagnostics beauté ? “Avec le déploiement des fonctionnalités d’achat, les consommateurs pourraient commencer à voir des recommandations de produits sans savoir pourquoi le robot les choisit,” explique Pfeiffer de Forrester, toujours au WP. Pour le moment, OpenAI ne prévoit pas d’intégrer des recommandations sponsorisées ou des publicités dans les fonctionnalités de recherche de ChatGPT.
Une question de santé
Le problème, c’est que ce nouvel usage ne se limite pas simplement qu’au maquillage, mais s’étend à la santé de la peau, dans une ère où la skincare règne en grande maîtresse sur les réseaux sociaux. En effet, les diagnostics dermatologiques se font de plus en plus nombreux sur la plateforme, pour être ensuite documentés sur TikTok. Bien que l’IA précise systématiquement que son avis ne remplace pas celui d’un médecin, ses conseils sont immédiats et, surtout, gratuits. Et donc, se substituent pour ses utilisateurs à ceux d’un professionnel de santé. “Le risque probable est d’utiliser un produit inapproprié, susceptible d’irriter la peau, mais une préoccupation plus importante est d’utiliser l’IA pour diagnostiquer des affections cutanées qui devraient être évaluées médicalement, met en garde la dermatologue Dre Katie Beleznay pour Vogue Business, Pour Simone Shoffman, responsable de la formation chez Healthxchange, fournisseur de solutions médicales, l’IA a ses limites et “ne peut tout simplement pas faire certaines choses, comme évaluer l’intégrité de la peau ou réaliser des tests épicutanés”. Et donc remplacer un médecin.
Pourtant, son utilisation massive à des fins dermatologiques doit questionner le corps médical, et notamment son inaccessibilité. Le délai moyen pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue en France serait de 95 jours, d’après Le Guide Santé. Aux Etats-Unis, une consultation coûte en moyenne 400 $. Comment en vouloir à la jeune génération de préférer l’IA, qui, d’après une étude récente de l’International Journal of Environmental Research and Public Health, serait précise à 93 % pour établir des diagnostics différentiels ? Pour le Docteur Beleznay, il ne faut pas lutter contre, mais plutôt s’appuyer sur ce nouvel outil qui crée de l’intérêt pour sa discipline : “J’ai constaté récemment que de plus en plus de patients me parlent de l’IA, et ils me demandent généralement d’évaluer ce qui leur a été recommandé, explique-t-elle, toujours à Vogue, Je pense que l’IA peut être utile aux côtés des dermatologues pour aider les patients en matière d’information générale, en particulier ceux qui ont un accès limité à un dermatologue.” Elle tient tout de même à alerter la nouvelle génération : “Cela ne remplace pas un avis médical et toute personne ayant des problèmes médicaux potentiels liés à la santé de sa peau doit consulter un professionnel de la santé approprié.”
2 septembre 2025