Les micro-influenceurs bientôt dans le viseur du gouvernement ?

On s’est entretenues avec Arthur Delaporte, le député qui a co-rédigé le projet de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs.

Depuis quelques mois c’est le branle-bas de combat pour encadrer le travail des influenceurs sur le net. Si les dérives sont dénoncées depuis bien longtemps par de nombreux lanceurs d’alerte, il aura fallu (en partie) l’acharnement du rappeur Booba pour faire déborder le vase déjà bien rempli. L’artiste s’est donné pour mission de lutter contre les arnaques perdurées par ceux qu’il a renommé les « influvoleurs ». Après avoir mis son avocat au service des présumées victimes, Booba s’en est largement pris à une figure majeure de l’influence : Magali Berdah. Celle qui dénonce depuis une vague de harcèlement, est visée elle et son agence Shauna Events par une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses » et « escroqueries en bande organisée ». Tandis qu’une enquête a été ouverte contre Booba pour « menace, harcèlement et provocation à commettre une atteinte à l’intégrité de la personne en raison de sa religion ou de son sexe ». Mais si ces deux protagonistes pourraient bien être englués dans des procédures judiciaires, ils n’en restent pas moins des personnages clés pour les politiques.

Magali Berdah qui a annoncé lancer sa propre fédération pour réguler le milieu de l’influence, échange avec ceux qui souhaitent encadrer les pratiques jugées dangereuses des influenceurs. Parmi lesquels Arthur Delaporte, député SOC de la 2ème circonscription du Calvados et avec qui nous nous sommes entretenues. Il porte avec le député Stéphane Vojetta, le projet de loi le plus abouti à date visant « à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale d’ici la fin mars il va devoir passer les différentes étapes avant d’être adopté. Le coup de pied dans la fourmilière sera-t-il suffisant pour enfin encadrer une pratique qui a fait de nombreuses victimes ? Le député est confiant, tant le gouvernement semble avoir fait de la régulation de l’influence un de ses cheval de bataille. En témoigne encore la dernière annonce du ministre de l’Économie Bruno Lemaire, qui souhaite que les influenceurs soient soumis aux mêmes règles que les médias en matière de transparence publicitaire.

ANCRÉ : Quand pouvons-nous espérer que cette loi soit promulguée ?

Arthur Delaporte, député SOC de la 2ème circonscription du Calvados : Cette proposition de loi va en intégrer une autre plus large. Elle va faire l’objet de ce qu’on appelle la navette, ce sont des allers-retours entre l’Assemblée Nationale et le Sénat jusqu’à ce qu’on arrive à un accord sur un texte qui pourrait rentrer en vigueur avant la fin de l’année 2023. Pour cela le texte va devoir être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale avant la fin mars.

Quelles sont les domaines et pratiques que vous voulez interdire ou légiférer ?

Cette première brique contient déjà une définition du statut de l’influence. Aujourd’hui il n’existe pas de définition légale, juridique, législative d’un statut de l’influenceur. Aussi, cette proposition de loi n’encadre pas seulement les rémunérations, elle inclut aussi les avantages en nature comme les cadeaux. Elle va englober des problématiques de santé publique et de protection des consommateurs en interdisant un certain nombre de choses : sur le volet médical comme la chirurgie esthétique, l’interdiction de la publicité sur les paris sportifs, ainsi que l’alcool. Il faudra également définir d’autres objectifs relatifs à la formation professionnelle, ainsi qu’à l’alimentation. On va également insister sur des obligations de transparence sur la publicité : comme par exemple avec un message annonçant un partenariat sponsorisé sur l’intégralité de la vidéo et non seulement au début. Les placements de produits lorsqu’il s’agit d’envois gratuits sans rémunération directe numéraire devront également être précisés. On va également lutter contre le dropshipping avec une obligation pour l’influenceur de préciser qu’il ne ‘s’agit pas d’un produit fictif. Tout cela sera débattu.

Mais comment arriverez-vous à toucher les influenceurs qui sont par exemple à Dubaï ?

La question de la contractualisation, c’est à dire l’obligation d’avoir des contrats clairs avec un certains nombres de dispositions va être rajoutée à notre texte. Ces influenceurs devront avoir un représentant légal en France.

La micro-influence va-t-elle aussi être régulée par cette loi ?

Après discussion on s’est rendus compte que la nano et la micro-influence méritent d’être intégrées dans la proposition de loi. Car elles sont devenues les manières les plus efficaces aujourd’hui de toucher des consommateurs et d’avoir un taux de conversions de spectateurs en consommateurs important. Donc la définition de l’influence ne se fait plus au regard seulement des chiffres d’audience mais du fait de recevoir des avantages, soit en nature, soit d’être payés pour faire de la promotion. Cela s’appliquerait alors à tout le monde, quel que soit son nombre d’abonnés.

Les plateformes ont souvent été pointées du doigts pour leur non collaboration en matière de signalisation des fraudes. Comment comptez-vous vous y prendre pour réellement faire appliquer la loi ?

La question des moyens se posera. Mais cela revient à la DGCCRF (organisme qui contrôle le respect des règles de protection économique des consommateurs et des règles relatives à la concurrence ainsi qu’à la sécurité et la conformité des produits et des services, ndlr). Ça sera au gouvernement de ventiler son budget et de mettre en place des agents supplémentaires pour cette régulation.

Votre loi sera-t-elle assez agile ? Quand on voit que certains influenceurs qui se sont faits bannir de Snapchat se créent un compte sur Telegram dans la foulée par exemple.

On a déjà modifié le texte dans ce sens. Au début nous parlions de réseaux sociaux maintenant nous avons inscrit « par tous moyens de communication ». Mais la question de la capacité à réguler des groupes Telegram se posera.

Pourquoi s’emparer du sujet que maintenant ?

À l’échelle des réseaux sociaux cela peut paraitre longtemps, ils existent depuis plusieurs années maintenant. Mais l’influence en revanche c’est un phénomène qui se développe vraiment depuis 2018/2019 à ce niveau là de volume financier, d’institutionnalisation (agences, ndlr), et du nombre d’acteurs. Les premiers véritables lanceurs d’alerte c’était il y a environ trois ans mais la constitution de collectifs de consommateurs mécontents, date d’il y a moins d’un an. Les parlementaires ont commencé à se sentir concernés et à rédiger des lois suite à une médiatisation grandissante. Je pense notamment à la Une de Libération en juillet 2022, au documentaire de Complément d’enquête en septembre 2022. Finalement il se sera passé un an entre la prise de conscience, la proposition d’un texte et la possible promulgation d’un loi. Ce qui est assez rapide à l’échelle du temps parlementaire.

Peut-on affirmer que Booba a joué un véritable rôle dans l’avancement de ce sujet ?

Booba est un acteur de l’économie médiatique des réseaux sociaux et on peut considérer que par la puissance de sa communauté et de son audience, il a été en capacité de faire converger un certain nombre de signalements. Qu’il a agit comme un lanceur d’alerte sur le sujet, en diffusant et en collectant des informations relatives aux dérives de l’influence.

Avez-vous déjà échangé avec les plateformes comme Instagram, Facebook, Snapchat… ?

Ça sera l’enjeu du mois de mars.

Et avec des agences d’influenceurs ?

Oui avec des représentants d’agences, des collectifs, Magali Berdah également. Le tout avec mon collègue Stéphane Vojetta. Ils seront ré-auditionnés une fois le texte examiné.

Enfin pensez-vous que les influenceurs respecteront cette loi ?

Cette loi suscite beaucoup d’intérêts car c’est une loi pionnière, le cadre juridique est encore assez flou. Notre but est d’apporter de la clarté pour restaurer la confiance entre les citoyens et ceux qui font de la publicité et donc les influenceurs. Ils sont prêts de 300 000 et en termes de consommateurs c’est plusieurs dizaines de millions de personnes qui sont touchées par l’influence. Il faut donc donner un cadre de référence aux influenceurs pour leur expliquer ce qu’ils ont le droit et pas le droit de faire. Ça passera aussi par un régime de sanction et c’est le rôle du gouvernement de rendre cette loi effective.

Dans le texte à date, qui passera en commission le 22 mars prochain avant de rejoindre l’hémicycle de l’Assemblée Nationale la semaine du 27 mars, les peines annoncées pour le non respect du texte sont de 375 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement. Elles devraient être cependant allégées pour « s’aligner sur les peines prévues dans le code de la consommation », nous détaille le conseiller du député Delaporte.

13 mars 2023

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