Case Study : Comment réellement monter une marque inclusive ?

Pour aligner votre marque avec les enjeux de 2023, ANCRÉ s’est entretenu avec une experte de l’inclusion et de la diversité.

Crédit photo : Gorka Postigo Breedveld pour Ester Manas

L’inclusivité est un enjeu de plus en plus discuté dans la mode. Mais beaucoup associent ce terme au fait de simplement mettre une modèle taille 40 sur un shooting. C’est bien plus. Car créer une marque qui s’adresse à toutes et tous, peu importe leur morphologie, leur couleur de peau, leur situation financière, leur âge, leur genre ou leur culture, c’est complexe. Du recrutement au marketing en passant par le design, ANCRÉ a demandé à Adjoa Tudor, spécialiste inclusion et diversité (et directrice du marketing digital chez Gaze magazine), comment poser les bases d’une marque inclusive. Voici notre nouveau Case Study.

Conseil N°1 : Avoir une équipe diversifiée

Crédit photo : Hanna Moon pour Vivienne Westwood

Une base essentielle, souvent négligée quand on pense à l’inclusivité d’une marque : ses équipes. Adjoa est catégorique : « Pour moi c’est comme si tu avais envie de commercialiser des produits (je vais exagérer) pour un public aveugle, mais que par des personnes qui ne connaissent pas ça. Même quand on souhaite s’adresser à un public large, si notre panel n’est pas représenté, c’est très compliqué. Les marques qui jouent la carte de l’inclusivité avec les équipes qui suivent, elles marchent très bien parce qu’il y a un vrai vécu des problématiques.

Cette authenticité permet d’avoir une communication de meilleure qualité pour atteindre sa clientèle, tout en apportant de la richesse à une marque : “Au delà de représenter ta cible, avoir une équipe multiculturelle, en termes d’échanges, de créativité, c’est génial. Pour le développement des idées, les brainstorming, c’est hyper enrichissant pour une marque, pour son ADN. C’est vraiment la base d’avoir une équipe représentative de la société d’aujourd’hui.

Enfin, notamment si on vise et atteint une minorité, collaborer avec ses membres est une façon sincère de soutenir concrètement cette communauté. “C’est le principe de l’économie circulaire aussi, c’est un juste retour. Je cible telle clientèle, et elle est aussi dans mon équipe, ça a du sens, c’est pas juste aller chercher l’argent, ça n’est pas une relation à sens unique.

Conseil N°2 : Concevoir des vêtements pour tous les corps

Les vêtements extensibles d’Ester Manas
Crédit photo : Ester Manas

C’est l’un des aspects auquel on pense le plus quand on parle de mode inclusive : produire des vêtements pour tous les corps. Ce qui n’a jamais été le point fort de la mode qui promeut la minceur extrême depuis des décennies, même si la situation évolue peu à peu. Pour rappel, d’après une étude ClicknDress de 2016, 6,4 % des Françaises font une taille 36, 14,6 % du 38, 19,5 % du 40, 18,5 % du 42, 14,5 % du 44 et 9,8 % du 46. Donc 40% des françaises font une taille 44 ou plus. Logiquement, une marque inclusive s’alignerait sur cette réalité, mais c’est très rarement le cas.

Pour une jeune marque, ça peut être compliqué financièrement de proposer une large gamme de tailles. Adjoa suggère une solution : “C’est compliqué car ça a un coût, mais personnellement, je préfère une marque qui va faire moins de quantités et produire toutes les tailles, plutôt que l’inverse, quand on fabrique plein de modèles en 36 mais qu’on propose une gamme de tailles moins larges. Il faut aussi sizer correctement. Pour ça, on peut passer par un mannequin cabine qui a le physique d’une femme de tous les jours, même une femme de notre entourage, qui fait un 42/44. Là ça sera fiable. D’ailleurs, le terme “curvy” est à bannir. “Gros” n’est pas une insulte, ça ne veut pas dire laid.” Niveau inclusivité, Ester Manas et Make My Lemonade sont des exemples inspirants pour des jeunes designers.

Une marque peut aussi penser en terme de genre, homme, femme, mais aussi non binaire. Par exemple en concevant des coupes identiques sur deux mannequins cabine de genres différents, ou en enlevant complètement le genre des considérations de design comme le fait la créatrice Jeanne Friot, à retrouver dans notre sélection de marques genderfluid.

Le cas de l’adaptative wear :

Mais l’aspect inclusif le plus négligé par la mode, notamment française, est le design de vêtements pour personnes handicapées. Par manque d’intérêt, d’information, de formations et de moyens, l’industrie manque cruellement d’adaptative wear, alors que la France compte 12 millions de personnes touchées par un handicap. Si vous souhaitez monter une marque qui s’intéresse à cette problématique, deux choses à prendre en compte : il existe de multiples formes de handicaps et les personnes concernées sont les mieux placées pour indiquer les solutions adaptées. Notamment si votre entreprise a peu de moyens, prenez le temps de vous focaliser sur un handicap particulier et les solutions qui lui correspondent (boutons aimantés, vêtements simples à enfiler, Velcro adhésif, poche pour guide audio…) et de collaborer avec une personne ou une association spécialisée. Et si ce vêtement est vendu en boutique, assurez-vous qu’elle est accessible aux gens concernés. Sur ce point, à part quelques collections capsules comme chez Kiabi, Tommy Hilfiger et des marques comme Selfia et Constant & Zoé, tout est à faire.

Conseil N°3 : Pratiquer des prix justifiés

De nombreuses personnes sont exclues du shopping à cause des prix élevés, notamment dans le luxe. Une marque inclusive va donc fixer des prix justifiés, c’est-à-dire qui respectent la valeur d’un vêtement (notamment si les personnes qui l’ont fabriqué sont correctement payées et non exploitées, il est normal qu’il ait un certain coût) mais sans réaliser une marge démesurée. Le tout est de trouver un équilibre entre rentabilité minimale et accessibilité.

Adjoa propose des solutions éthiques pour limiter ses prix. En premier, des petites chaînes de production : “Je suis pour les circuits courts, il y a moins d’intermédiaires et donc de coûts. D’ailleurs je déconseille les collaborations avec les grands magasins de retail, qui multiplient les marges par trois ou quatre. Et les délais de paiement n’aident pas la trésorerie, avec des risques de remboursement selon les deals. Alors qu’en vente directe, ça fait un échange hyper enrichissant avec ta cible, une autonomie et une flexibilité de production.”

Aussi, des méthodes de production raisonnées : “La production à la demande ou en pré-commande est intéressante, parce qu’on n’a pas de trésorerie à avancer, ce qui est bien pour une jeune marque. Ça permet de réduire les coûts, donc d’être plus attractif sur le marché. Mais il faut expliquer à la clientèle pourquoi elle doit un peu patienter. On peut faire moitié-moitié : lancer une première production pour ne pas générer trop de frustration, puis proposer des pré-commandes pour les clients supplémentaires. Et au fur et à mesure, on acquiert une trésorerie qui permet d’avoir un stock tampon.”

Pour expliquer leurs prix, plusieurs marques éthiques utilisent la méthode du ticket de caisse qui détaille l’ensemble des charges, le coût des tissus et le pourcentage de marge. Comme ça, la clientèle comprend mieux et ne se sent pas exclue sans raison. On peut aussi proposer des solutions comme un paiement fractionné ou des ventes d’archives invendues pour les porte-monnaies plus modestes, ou carrément organiser des concours pour offrir, de temps à autre, à des personnes qui ne peuvent pas se payer la marque.

Conseil N°4 : Avoir une communication inclusive

Crédit photo : Thomas Lachambre pour Jeanne Friot

La plupart des marques qui se réclament “inclusives” se concentrent uniquement sur la communication. Une fois les conseils précédents pris en compte, on peut passer à ce domaine. Ça passe par les campagnes : en castant des mannequins au corps, genres, âges et couleurs de peaux diversifiées, mais aussi en collaborant avec une équipe freelance hétéroclite (styliste, photographe, MUA…) qui sait valoriser ces modèles. Comme avec une équipe fixe, la diversité sur un shooting ne fera que renforcer sa richesse et son impact. L’inclusivité, c’est aussi reconnaître si une erreur de communication peut exclure certaines personnes. La plupart des marques en ont déjà fait : l’important est de savoir écouter le retour des personnes concernées. On vous donnait un exemple commenté sur un cas d’appropriation culturelle.

Enfin, une communication inclusive passe par la transparence, notamment en racontant à son audience ce qu’on aimerait améliorer, ses objectifs, ses processus… Car il est quasiment impossible, surtout pour une jeune marque, de mettre en place tous les conseils donnés dans l’article en un claquement de doigts. Mais partager sa vision au public, ses succès comme ses défis, c’est l’inclure dans le processus créatif. Adjoa approuve : “Il ne faut pas hésiter à dire ces choses, c’est ok. Et d’un point de vue marketing, ça crée du lien et une clientèle qui a de l’affect. C’est un excellent moyen de personnifier la marque, qu’on voit un peu comme un être humain. Et un être humain, ça a ses qualités et ses défauts. Au niveau des valeurs, c’est ce qui va rendre le discours hyper sincère et créer un lien avec sa communauté.

9 février 2023

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