Suite à un nouveau scandale d’appropriation culturelle, touchant cette fois la marque éthique et française MaisonCléo, ANCRÉ fait le point avec un.e expert.e du sujet.
L’appropriation culturelle est vivement débattue dans la mode. Elle désigne l’utilisation inappropriée ou sans reconnaissance de vêtements, rituels etc… d’une société (ou d’un peuple), par une autre société, particulièrement quand les membres d’une culture “dominante” utilisent une culture “minoritaire”. La marque française MaisonCléo en est l’exemple le plus récent, avec une qipao chinoise, robe traditionnelle en soie, qui a provoqué la colère des internautes. La créatrice a présenté sa version en tissu rouge, s’attirant les foudres de nombreuses internautes. Lui était reprochée : la sexualisation d’une robe traditionnelle entre autres. Des dizaines de labels, de luxe et de fast-fashion, se font épingler régulièrement : les créateurs polémiques de Dolce & Gabanna, Max Mara, Zara, SHEIN, Comme des Garçons, H&M, Sézane… Face à cet enjeu global, ANCRÉ propose des pistes d’exploration pour gérer la situation et a échangé avec Âme Assitan, auteurice (version non-binaire des noms auteur/autrice) et coach en mode éthique, intersectionnelle et décoloniale.
Conseil N°1 : Être à l’écoute
La première étape pour apaiser les tensions et comprendre son erreur est d’être attentif aux retours des personnes concernées, souvent immédiats via les réseaux sociaux. “Parfois on le prend mal si on le perçoit comme quelque chose d’agressif, et on se braque. Il peut aussi y avoir différents sons de cloches, parce que des gens sont en désaccord. Pour gérer ça, on peut prendre les retours, les condenser, et faire un résumé. Puis on se penche sur la pièce ou la collection qui pose question, et on essaie de retracer d’où ça vient, quelles inspirations on a prises, si on a respecté la culture d’origine…”, détaille Âme.
Conseil N°2 : Ne pas étouffer la discussion
Pour le cas de MaisonCléo, le post sur Instagram d’une nouvelle robe de la marque, très inspirée du modèle d’une qipao chinoise, a provoqué des dizaines de commentaires, depuis bloqués. Des clientes d’origines asiatiques ont fait part de leur désarroi, de leur colère ou de leur déception. Beaucoup souhaitaient expliquer le problème à la marque. Un désir de pédagogie peu étonnant pour les fans de MaisonCléo, la marque étant très engagée sur d’autres aspects comme la production éthique, la transparence et l’écologie. Elle produit ses pièces en France, en petite quantité, avec des tissus de stocks dormants.
Pour apaiser la situation, mieux vaut rester dans le dialogue, même si la gestion d’un flot de commentaires peut être complexe émotionnellement comme l’explique la créatrice de MaisonCléo qui gère elle-même les réseaux de sa marque. Car si des dizaines de personnes concernées (en l’occurence chinoises et asiatiques ici) partagent un même avis, c’est le signe qu’une marque a sûrement commis une erreur. Pour éviter de la reproduire, ne pas fermer la discussion est essentiel. “Ce sont des critiques valides auxquelles j’aimerais que vous répondiez de façon plus ouverte. Je soutiens votre marque depuis de nombreuses années, et ce n’est pas la première fois que vous recevez un feedback sur l’appropriation de la Qipao chinoise. En tant que l’une de mes marques préférées, je suis découragée que vous ne soyez pas ouverts aux critiques sur cette facette cruciale de la mode éthique.” déplore une cliente. MaisonCléo a choisi de désactiver les commentaires du post.
Cette décision est justifiée en description par la marque : “Nous avons désactivé les commentaires car ils sont devenus racistes avec le mot «racisme» employé + certains ont insulté la modèle. Discussion = ok / insultes = non.” S’il est compréhensible de vouloir garder un espace d’échange respectueux, des clientes ont été outrées que MaisonCléo retourne ces accusations de racisme contre les personnes qui essayaient justement de lui expliquer en quoi sa création relevait de l’appropriation culturelle. Pour certaines internautes, la marque a bloqué la voix de personnes racisées, ne faisant qu’agacer davantage les fans de la marques. Et comme c’est souvent le cas dans ce genre de situations, ces mêmes internautes sont allées commenter d’autres publications. Refuser le dialogue alimente donc le problème. Pour Âme, “Il faut éviter d’être condescendant. Et effectivement, il faut se décentrer. Comme à chaque fois qu’on veut déconstruire quelque chose, on sort de son égo, on réfléchit, et après on revient pour communiquer avec un esprit plus clair”.
Conseil N°3 : Assumer et communiquer sur son erreur
L’idéal est de prendre ses responsabilités, par exemple avec un communiqué de presse : “Pendant quelques jours, on fait son travail de recherche, on réfléchit sur la collection. On voit si c’est fétichisant, exotisant etc. Puis on fait un communiqué : ‘Voilà ce qui s’est passé, voilà comment nous avons réagi au début, puis nous nous sommes remis en question, renseigné. Nous nous excusons et voilà la décision prise par la marque.’ Il ne faut pas ramener le communiqué à soi, essayer de se justifier… Ça peut être facile de tout centrer sur soi et de se trouver des excuses, mais ça n’est pas le sujet.“, affirme Âme.
Ne pas se dédouaner semble être la meilleure façon de gérer la situation. La marque Sézane avait par exemple provoqué un scandale d’appropriation culturelle au Mexique, ce que sa fondatrice avait justifié en disant notamment “avoir fait les choses avec son coeur”, une explication jugée insuffisante. Elle avait fini par présenter ses excuses.
Conseil N°4 : Retirer les produits de la vente, verser des compensations, collaborer avec des artistes concerné·es
Plusieurs actions peuvent être mises en place rétroactivement pour montrer sa compréhension du problème. “Si ça ne coule pas la marque, retirer les produits de la vente est une solution.”, approuve Âme. Il est aussi possible de verser des compensations financières si on a plagié une ethnie spécifique, ou de reverser les bénéfices des ventes à des associations défendant la culture dont on a bénéficié.
Si une marque est vraiment passionnée par une culture, “elle peut solliciter des designers qui sont issus de la diaspora ou directement dans le pays d’origine de cette culture.”, propose Âme. Ces partenariats peuvent aider à éviter un manque de respect qui touche à l’appropriation. Car c’est l’un des problèmes : “Dans le cas de MaisonCléo, ils ont pris la qipao. Mais pas exactement, parce que les vraies, les traditionnelles, sont beaucoup plus longues. Là c’est très raccourci donc ça peut être exotisant et fétichisant, ce dont la femme asiatique n’a pas forcément besoin (pareil pour les marques qui reprennent le kimono et qui en font de la lingerie : c’est aux antipodes de ce que c’est à la base, c’est à dire un vêtement de fêtes traditionnelles). Raccourci, ça ne respecte pas l’usage de la culture de base.”
.@gucci @Nordstrom The Sikh turban is not just a fashion accessory, but it’s also a sacred religious article of faith. We hope more can be done to recognize this critical context. #appropriation https://t.co/p1z3CYq0NT
— Sikh Coalition (@sikh_coalition) May 15, 2019
Conseil N°5 : Se renseigner globalement
L’idéal reste de s’informer en amont pour éviter l’appropriation. Dans un épisode du podcast Couture Apparente, la designer et activiste Linda Mai Phung développe : “Il faut se renseigner, collaborer et être très proche de la source. Et créer des vêtements en connaissance de cause. La mode est justement hyper importante pour les échanges culturels, donc il faut en parler.” Elle évoque aussi la méthode des 3C, créée par la Cultural Intellectual Property. Elle se base sur le Consentement, quand on demande à une ethnie ou un artisan si on peut utiliser son art (dans le cas de la qipao, difficile de demander son consentement à la “culture chinoise”, mais on peut s’assurer qu’on respecte l’esprit originel du vêtement), le Crédit (quand on reconnaît publiquement sa source d’inspiration) et la Compensation (quand on décide au préalable d’un accord financier ou autre qui encadrera la collaboration).
Se renseigner sur l’appropriation culturelle au-delà de la mode et oser lancer des conversations sur ce sujet permet à tout le monde d’avancer dans sa créativité plus sereinement.
Pour poursuivre le débat :
Pour celles et ceux qui souhaiteraient poursuivre le sujet, on vous recommande l’épisode du podcast Kiffe Ta Race “Appropriation culturelle, racisme l’air de rien”, et le livre Appropriation Culturelle de Rodney William. Et pour échanger en live avec un·e expert·e du sujet, Âme a une plateforme qui propose des masterclass sur le sujet.
3 décembre 2022