C’est quand les lumières de la salle de cinéma se rallument, qu’on jette un rapide coup d’oeil aux femmes qui se lèvent, qu’on réalise. Le coeur se serre. Là devant nous, plusieurs femmes qui portent le voile quittent la salle dans laquelle le documentaire « Salam » de Diam’s vient d’être projeté. Pendant 48h, le film dans lequel l’ancienne rappeuse se raconte, va rejoindre les salles obscures. Pendant deux jours seulement une femme voilée va tendre un miroir à toutes celles à qui on n’a jamais donné de reflets.
Celles à qui Marine Le Pen voulait mettre des amendes il y a encore quelques mois, viennent de voir sur grand écran, dans l’antre du 7ème art, quelqu’un qui leur ressemble. Pas qu’elles manquent de modèle dans leurs vies de tous les jours, leurs mères, leurs cousines, leurs amies portent peut-être le voile. Mais là sur le velours rouge des strapontins, elles ont eu le droit d’exister, d’être vraies, d’être humaines. D’être légitimes dans ce qu’on considère une institution : le cinéma. D’être elles. Le coeur se serre encore. Parce que moi, femme franco-algérienne, mon seul repère durant ma jeunesse a été Jasmine dans le dessin-animé Aladin. Au cinéma grand public plus tard, plus rien. Ma construction de femme métissée je la ferai à travers des films américains. « Love and Baskeball », « Save The Last Dance », même « Une nounou d’enfer ». Ce n’était pas moi, mais c’était déjà un peu plus moi que rien.
Dans la salle plusieurs petits groupes sont restés pour discuter après la fin du film. L’employé de Pathé vient chasser amicalement ces squatteurs du jour. Je me penche vers celui qui m’accompagne ce soir là. Mon homme est musulman. Moi je ne le suis pas. Enfin je le suis de naissance mais pas pratiquante, je n’ai pas baigné dans la religion. « Ce qu’elle vient de faire là, de raconter le moment où elle a eu le déclic, où elle a rencontré sa foi c’est ultra intime. Ce qu’elle vient de faire personne ne le fait. C’est ultra généreux et en même temps pourquoi a-t-elle eu besoin de le faire ? ». Pendant plus d’une heure Diam’s raconte sa dépression, ses allers-retours dans ses méandres intérieurs, ces va et vient qui finiront pas l’essouffler, jusqu’à la pousser à vouloir mettre fin à sa vie. Puis un jour, l’envie d’aller prier quand une amie de Vitaa s’éclipse pour aller se recueillir. « Moi j’en connaissais des musulmans, mais ils faisaient seulement le ramadan, personne ne priait ! », lance Diam’s. Explosion de rires dans la salle.
Certains reprocheront surement cette légèreté à Diam’s. Cette façon presque candide de raconter sa relation à Dieu. D’autres accusent déjà le documentaire de ne laisser voir aucun cheveux. La mère de Diam’s, Vitaa mais aussi l’écrivaine Faïza Guène qui sont interrogées dans « Salam », ont simplement le visage éclairé de lumière. Un subtil et artistique clin d’oeil au voile, plutôt qu’une interdiction de montrer les cheveux des femmes à l’écran. Cette mise en scène cinématographique interroge plutôt le spectateur. Une femme dont on ne voit pas les cheveux n’est-elle pas libre ici de s’exprimer ? Vitaa, Faïza sont elles différentes quand on ne voit plus leurs cheveux ? « J’adorais Charlotte (prénom véritable de Vitaa, ndlr). Parce qu’elle était toujours dans des histoires. Les histoires de Charlotte, pff c’était quelque chose », se rappelle toute guillerette Diam’s. Une confession à la fois anecdotique et salvatrice. Parce qu’elle témoigne d’une humanité. D’un quotidien banale, celui dont on voudrait dépourvoir toute femme voilée. Comme si le foulard elles le portaient sur la bouche et sur le coeur. Comme s’il était une porte fermée à l’existence d’une quelconque personnalité. Il faut dire que les clefs de la serrure semblent avoir été dérobées par les politiques. Pour mieux garder ces musulmanes pratiquantes dans un autre monde, plus sombre, plus silencieux. Où elles ne sont plus femmes mais créatures. Stranger things.
Dans le film « Salam » on avait le droit que au visage des personnes qui venait témoigner (Vitaa, la mère de Mélanie…) sans jamais apercevoir leurs cheveux.
— Yassine 🐊🇲🇦 (@Yass_Aouar) July 3, 2022
Clin d’oeil a Diam’s qui a fait le choix de se voiler. J’ai aimé ce petit détail. pic.twitter.com/qOnVIQEF5H
Avec « Salam » Diam’s fait exister celles qui ont choisi de se couvrir, simplement comme ce qu’elles sont : des femmes. Elle humanise celles qu’on veut civiliser au nom de la bonne laïcité. Celles qu’on imagine comme soumises. Les infréquentables, les sauvages, les manipulées, les sans droit, les bâillonnées. Celle à qui on n’oserait même pas demander l’heure, parce que leurs maris pourraient sortir de leurs propres ombres. Alors « Pourquoi a-t-elle eu besoin de le faire ? ». Pour qu’on arrête de vouloir « dévoiler » les femmes comme le disait Marine Le Pen à quelques jours du scrutin présidentiel, injectant dans cette formule une certaine violence du geste. Parce que Diam’s apparait ici comme presque la parfaite voilée. Ironie de la formule. Parce qu’elle a touché suffisamment de Français, de ceux qui n’ont jamais côtoyé de musulmans, à ceux qui se cherchent encore sur le chemin de leur foi. Qu’ils lui font confiance et que même les racistes connaissent La Boulette.
Demandez l’heure la prochaine fois à une femme voilée, vous verrez, vous ne serez plus en retard à votre rendez-vous avec l’humanité.
« Salam » sera diffusé sur la plateforme de streaming BrutX en septembre.
7 juillet 2022