Du coup si on porte un turban on fait comment ?
Dans cette campagne de l’entre-deux tours, Marine Le Pen a fait plusieurs fois volte-face à propos du port du voile. Sur BFMTV d’abord, en date du 15 avril, elle expliquait qu’elle mettrait en place des amendes aux femmes portant le voile dans l’espace public. Sans vraiment expliquer comment auraient lieu ces sanctions pécuniaires. Interrogée sur la faisabilité de la chose quelques heures plus tard, elle choisira de rester évasive “On n’est pas arrêté dans la rue, on aura une contravention de la même manière qu’il est interdit de ne pas mettre sa ceinture de sécurité. Et il me semble que la police arrive très bien à faire appliquer cette mesure”, détaillera la candidate d’extrême droite sur RTL. Les femmes voilées bientôt flashées ? Là encore on a du mal à imaginer la mise en place de ces contrôles. Une autre question nous taraude, comment la police arrivera t-elle à faire la distinction entre le voile islamique et le turban, accessoire de beauté qui vient également recouvrir l’ensemble des cheveux quand on décide de camoufler entièrement son crâne ? Parfois par pur esthétisme, parfois parce qu’on a les cheveux sales, parfois parce qu’on est malade d’un cancer ou d’autres fois, souvent chez la communauté afro, parce qu’on n’a pas eu le temps de changer ses extensions ou perruques. (Entrez ici toute autre raison qui fait qu’on se couvre les cheveux parce qu’on en a envie).
On n’a rien compris
On s’interroge encore, sur les contrôles au faciès. Une femme arabe portant un turban sera t-elle plus facilement controlée qu’une femme noire, qu’une caucasienne portant elle aussi un foulard ou un fichu sur ses tiffs ? Même si elle n’est pas musulmane ? D’ailleurs comment vérifiera t-on qu’elle est musulmane ? En lui demandant si elle peut réciter des versets du Coran ? En lui demandant d’appeler son père pour qu’il explique si il l’a forcé et en comptant sur son honnêteté ? En convoquant plusieurs témoins au commissariat qui pourront stipuler qu’ils ont vu cette même femme faire la prière ? Un SMS sera envoyé aux cas contact de la femme portant le voile ou le turban, comme sur Tous Anti-Covid ? Il y aura un hashtag #BalanceTonVoile sur Twitter et la police pourra répondre en direct ? Et les touristes alors ? On mettra une amende simplement aux femmes de nationalité française ou les femmes voilées de passage dans la capitale devront elles-aussi s’acquitter d’un dû ? Et si on n’a pas nos papiers au moment du contrôle ? On retourne de nous même plus tard au commissariat ?
Si peu d’études permettent de quantifier les contrôles aux faciès en France, en 2017 une enquête publiée par le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, prouvait qu’ils étaient bien réels. Cette étude menée auprès d’un échantillon représentatif de 5 000 personnes, s’intéressait à la relation entre la police et la population. Parmi les personnes interrogées âgées de 18 à 24 ans, 40 % disaient avoir été contrôlés au moins une fois lors des cinq dernières années. Un chiffre qui monte à 80 % pour “les jeunes hommes du même âge perçus comme noirs ou arabes”, relatait France Info.
.@louis_aliot sur le port du voile : “Il y aura une politique volontariste (…) qui commencera par l’interdire dans les services publics, et qui par voie de conséquence limitera dans la rue sa visibilité.” #le79inter pic.twitter.com/js8rrPtMCM
— France Inter (@franceinter) April 18, 2022
Sur France Inter, Louis Alliot, porte-parole de Marine Le Pen parle désormais de volontarisme. L’homme politique semble vouloir faire comprendre qu’on attendra des femmes voilées qu’elles le retirent quasi bénévolement finalement. “Il y aura une politique volontariste (…) qui commencera par l’interdire dans les services publics, et qui par voie de conséquence limitera dans la rue sa visibilité.”. En réalité, cette proposition de Marine Le Pen semble inapplicable, parce qu’elle est tout d’abord extrêmement floue et difficilement adaptable à la réalité pour toutes les raisons, assez simples, que nous venons de citer. Mais également parce qu’une telle loi est contraire à la constitution de la Vème République. “Une telle proposition se heurterait, a priori, à plusieurs principes constitutionnels tels que l’égalité des citoyens devant la loi, la liberté religieuse ou encore le principe de laïcité, fondement de la Ve République”, rappelle le site Public Sénat.
Sébastien Chenu, député RN, est venu rajouter à la cacophonie ambiante autour de ce projet de loi contre le port du voile. Sur BFMTV il affirme que des “réponses pratiques” seront discutées au Parlement “pour que la grand-mère qui a 70 ans, et qui porte son petit voile depuis des années, ne soit pas évidemment concernée”. Là encore on essaie d’imaginer la scène d’une petite fille marchant avec sa grand mère ou sa mère. L’une serait potentiellement avertie, on ne sait pas bien encore comment, et la seconde devrait s’acquitter d’une amende. Et à partir de quel âge est-on considéré âgée ? En se basant sur le programme Senior de la SNCF ? Sur l’âge de la retraite ?
“À partir de quel âge, on va considérer que les femmes sont âgées ? Et pourquoi cibler les femmes dans la lutte contre l’islamisme alors que statistiquement, les hommes commettent plus d’attentats que les femmes. Cette proposition ne tient pas la route”, lançait Didier Leschi, préfet et ancien chef du bureau central des cultes, désormais directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Mic drop.
20 avril 2022