Vogue vs Mia Frye : à qui appartient la Macarena ?

Le célèbre magazine de mode a lancé un challenge en reprenant la chorégraphie du mythique tube des années 90 enfreignant ainsi le droit d’auteur.

Dans une vidéo postée à l’origine sur le site de Vogue Magazine, et depuis publiée sur les différents canaux où est présent le média ainsi que sur sa chaine Youtube, des mannequins reprennent la chorégraphie de la célèbre Macarena. Sortie en 1993 par le groupe Los del Rio, la chanson avait connu un large succès notamment grâce à sa chorégraphie. Une routine simple avec des mouvements facilement exécutables que l’on doit à la chorégraphe américaine Mia Frye. Loin d’y voir un hommage à ses pas emblématiques de la part de Vogue qui souhaite lancer un #VogueMacarena Challenge sur les réseaux sociaux, Mia Frye dénonce un vol. Sur le site de Vogue son nom n’apparait nul part dans la longue liste de crédits, sur Youtube la mention « Cette vidéo rend hommage à la danse originale créée par Mia Frye » a été ajoutée à postériori. Mais alors à qui appartient vraiment la danse de la Macarena ?

Une chorégraphie appartient-elle à son auteur ?

« Pour rappel, je suis l’auteure et chorégraphe de la danse MACARENA. Toute utilisation de la MACARENA sans mon accord préalable est constitutive de contrefaçon et constitue un vol. Pire encore, VOGUE ne m’a pas crédité et a crédité Ebony Williams en tant que chorégraphe. C’est insensé ! Mon avocat est sur l’affaire. VOGUE devrait résoudre ce problème dès que possible ! J’attends au moins au plus vite des excuses et mon crédit. », écrit la chorégraphe furieuse sur son compte Instagram. Si depuis sa prise de parole, Vogue Magazine a ajouté son nom sous certaines publications Instagram repostant la vidéo, Mia Frye ne décolère pas et attend que chaque pays dans lequel Vogue est présent fasse de même. Jointe par nos soins, elle nous explique que « ce dossier est actuellement entre les mains de mon avocat. Je ne peux donc pas communiquer dessus pour l’instant ».

Si pour certains la colère de Mia Frye pourrait paraître anecdotique tant la célèbre chorégraphie a voyagé dans le monde entier, elle soulève un questionnement qui a déjà fait l’objet d’articles de presse récemment. Avec un engouement grandissant pour la pratique de la danse suite à la naissance de réseaux comme TikTok, qu’en est-il des droits d’auteur d’une chorégraphie ? En juin dernier, de nombreux créateurs noirs du réseau social se mettaient en grève après avoir vu leur pas de danse devenus viraux et être reproduits à la télévision américaine par des stars sans être mentionnés. « Le droit des chorégraphes n’est pas différent de celui des autres auteurs. », nous explique Philippe Gentilhomme, fondateur du cabinet d’avocats VIDOK spécialisé notamment dans le droit d’auteur. Vous ne pouvez donc pas reproduire une chorégraphie sans l’autorisation du chorégraphe, au même titre que vous ne pouvez copier une peinture, une photo, une oeuvre littéraire sans l’accord de son propriétaire. Si dans les pays anglo-saxons c’est le producteur qui détient les droits d’auteur, parce qu’on considère que sans moyen l’oeuvre ne peut exister, en France le droit octroie ces derniers au créateur de l’oeuvre. Et pas besoin d’être un auteur connu pour qu’une création bénéficie d’une protection par le droit, comme par exemple une chorégraphie, soit considérée comme telle, ajoute Philippe Gentilhomme. “Le droit d’auteur est indépendant du mérite ou de la renommée », nous rappelle l’avocat.

Qu’en est-il à l’heure des réseaux sociaux ?

L’ambiguïté sur les réseaux sociaux est d’autant plus forte qu’un utilisateur lambda peut devenir ou être considéré comme un influenceur. S’il reprend une chorégraphie appartenant à un chorégraphe on passe alors de l’amusement à une perspective plus commerciale. On ne rentre plus dans l’hommage mais dans la contrefaçon. Enfreignez-vous la loi si vous vous lancez dans une Macarena lors d’une soirée entre amis ? La réponse est non car au sens pratique vous n’en faites pas commerce ni n’en retirez de plus value monétaire ou de notoriété. “Si la chorégraphie est utilisée au-delà de la sphère privée pour en tirer un profit personnel, alors il y a un soucis. », rappelle en revanche l’avocat. La Macarena n’est-elle pas tombée dans le domaine public vous demandez-vous certainement. « Non », nous répond Me Gentilhomme. Une oeuvre datant de plus de 70 ans oui en revanche, même si les ayants droits peuvent toujours venir demander réparation s’ils estiment que vous avez trahit l’oeuvre initiale en la dégradant ou en la détériorant. La marche à suivre correcte serait donc de demander la permission, ou au moins de créditer l’auteur, pour « respecter le droit moral », conseille Me Gentilhomme. Il en est de même si vous décidez de modifier l’oeuvre initiale :« Il est conseillé de toujours solliciter l’autorisation d’un auteur ou de ses ayants droits, même si l’œuvre est tombée dans le domaine public ».

« Les prérogatives patrimoniales sont reconnues à l’auteur durant toute sa vie, ainsi qu’à ses ayant droits durant 70 ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant le décès de l’auteur. À l’expiration de ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public et il n’est plus nécessaire d’obtenir d’autorisation pour l’exploiter. Les droits moraux doivent néanmoins continuer d’être respectés »

Me Gentilhomme

Les conséquences

« Le créateur d’une chorégraphie est titulaire de droits d’auteur sur cette œuvre du seul fait de sa création sans qu’il ne lui soit nécessaire d’effectuer des formalités administratives. Dès la création de l’œuvre, l’auteur peut donc autoriser toute personne de son choix à en faire usage (représentations publiques, reproduction sur tous supports, diffusion internet,…) contre rémunération ou à titre gratuit. Raison de plus pour toujours veiller à solliciter les auteurs « , continue Gentilhomme. Il faut en revanche être en mesure de prouver que vous être l’inventeur de l’œuvre originale. Pour cela le créateur peut avoir recours à divers procédés comme par exemple l’enveloppe e soleau, le recours à un huissier de justice, le cachet de la poste ou tout autre moyen susceptible de constituer.

Deux types de sanction existent dans le droit français si une oeuvre a été utilisée sans l’accord de son propriétaire. La contrefaçon peut être poursuivie civilement et pénalement, détaille Philippe Gentilhomme et l’auteur  peut demander « réparation du préjudice moral et financier, ainsi que la cessation immédiate de toute utilisation, quelles que soient les modalités ». Si par exemple un spectacle utilise la dite chorégraphie, son auteur peut demander l’arrêt de la représentation. Il peut aussi obtenir réparation via des dommages et intérêts en fonction du préjudice concrètement subi. 

Face à la viralisation des danses, les chorégraphes et danseurs devront donc apprendre à se protéger. Une Fédération des artistes de la danse (la FDAD) vient d’ailleurs de naître au mois de septembre pour accompagner les artistes face à ces nouvelles menaces.

L’avocat de Mia Frye réagit

L’avocat de Mia Frye, Me Lautier, que nous avons contacté suite à notre article, nous explique qu’une lettre de mise en demeure a été adressée à Condenast US, jugeant le manque de crédit de la part de Vogue comme une « atteinte très grave » au droit d’auteur. « Non seulement elle est grave mais elle est aggravée par un mauvais crédit », commente t-il. Celui d’Ebony Williams, la chorégraphe qui a revisité la danse pour les plateformes de Vogue. « Les droits d’auteur de Mia sont mondialement reconnus, les plus gros studios respectent ces droits », nous assure Me Lautier tout en citant Sony Entertainement, Epic Games ou encore Fox et Disney qui se sont déjà rapprochés de l’artiste pour utiliser sa chorégraphie. 

« Il aurait été opportun de l’associer au projet pour qu’elle participe à cette remise à jour de la chorégraphie d’origine », conclut Me Lautier qui assure que Mia Frye n’a reçu aucune excuse de la part de Vogue. Le rédacteur en chef du site Vogue US a bien tenté de joindre Mme Frye par texto. Ce dernier a été renvoyé vers Me Lautier.

9 décembre 2021
Updaté à 19h06

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