Rihanna fait-elle de la fast-fashion avec Savage x Fenty ?

Derrière des campagnes ultra-inclusives, la marque cacherait visiblement une réalité bien moins glorieuse, entre composition douteuse, manque de transparence et sans protection pour ses travailleurs.

Shooting pour Savage x Fenty. Crédit photo : Savage x Fenty

Ses défilés ultra-inclusifs font passer les Anges de Victoria’s Secret pour des reliques d’un autre monde, quand ses petits-prix promettent une lingerie de qualité pour tous les corps et toutes les bourses : sur le papier, Savage x Fenty a tout de la révolution que la mode attendait. Lancée comme une co-entreprise entre Rihanna et TechStyle Fashion Group en 2018, la marque de sous-vêtements Savage x Fenty a rapidement créé l’événement grâce à un show spectaculaire, en pleine Fashion Week de New York. Mais Rihanna serait-elle exempt de l’impopularité qui cours autour de la fast-fashion ? Car derrière les show inclusifs, se cacherait un système de production proche de SHEIN. C’est ce que révèle un rapport de l’organisation à but non lucratif Remake.

Rihanna's Savage X Fenty Show Vol. 4
Rihanna’s Savage X Fenty Show Vol. 4. Crédit photo : Amazon Prime

Première polémique passée inaperçue

Après des années à prôner l’inclusion comme point central de sa stratégie marketing, Rihanna s’est retrouvée dans le viseur de la justice américaine en 2022. En cause ? Un abonnement VIP douteux entrant en conflit avec la protection des consommateurs. En effet, Savage x Fenty proposait un abonnement à 49,95€ par mois pour profiter des prix cassés, somme qui se transformait automatiquement en crédit si l’on ne dépensait rien avant le 6 du mois. Après une plainte déposée en août 2022 par les bureaux du procureur de plusieurs comtés de Californie, l’entreprise a été condamnée à régler 1,2 million de dollars pour ne pas avoir “clairement indiqué les frais automatiques résultant des adhésions VIP”. Première polémique pour la compagne d’A$AP Rocky dont la marque est désormais passée au crible. Sous ses airs engagés, Savage x Fenty, dont la valeur est aujourd’hui estimée à 3 milliards de dollars, ne vaudrait-elle finalement pas mieux que les autres ? 

Crédit photo : Savage X Fenty
Crédit photo : Savage X Fenty

Moins bien notée que SHEIN

Chaque année, l’organisation à but non lucratif Remake établit un rapport sur la responsabilité de la mode. Et en 2022, comme en 2024, le couperet tombe : Savage x Fenty fait partie des entreprises les moins bien classées, avec un score de 4 points sur 150. À titre indicatif, le score moyen des 58 entreprises analysées dans le rapport était de 14, et SHEIN a quant à elle obtenu 8 points. “L’entreprise ignore de manière flagrante les normes du secteur en matière de divulgation sociale et environnementale, se contentant de noter sur son site Web que les produits sont “importés” indiquent les rédacteurs du rapport.

Il est alarmant de constater que Savage x Fenty ne dispose même pas d’un code de conduite des fournisseurs afin de définir des lignes directrices permettant d’évaluer la conformité des usines aux normes internationales du travail, notamment en ce qui concerne la santé et la sécurité des travailleurs.”, poursuit ce document. Il est révélé également que “la marque de lingerie utilise beaucoup de matières synthétiques issues du pétrole, malgré sa petite offre d’articles fabriqués à partir de fibres recyclées REPREVE, et ne s’est pas fixée d’objectifs clairs pour augmenter son utilisation de fibres à moindre impact écologique.” Bref, Savage x Fenty cocherait toutes les cases de l’entreprise classique de fast-fashion. Pourtant, si l’on tape volontiers sur SHEIN ou Temu, Savage x Fenty continue de passer entre les mailles du filet.

La diversité comme écran de fumée ?

Pourquoi Rihanna semble-t-elle bénéficier d’une telle impunité ? Là encore, le rapport Remake de 2022 apporte des éléments de réponse. En effet, les quelques points grappillés par la marque de Riri proviennent de la diversité, SxF étant l’une des seules entreprises évaluées à avoir démontré que ses conseils d’administration reflétaient correctement les régions dans lesquelles ils opèrent. Normal, nous direz vous, Savage x Fenty se vantant d’être une célébration de “l’intrépidité, la confiance en soi et l’inclusion” sur son site internet. Une forme de feminism-washing de la part de la milliardaire qui bénéficie d’un immense capital sympathie ?

“La déconnexion est frappante ; nous voyons une marque tirer profit de l’utilisation du féminisme et de l’inclusion comme éléments centraux de ses stratégies de marketing et de marque tout en négligeant de mettre en place des mesures de protection de base pour protéger les travailleurs de sa chaîne d’approvisionnement, dont 80 % sont des femmes”, rappelle la journaliste spécialisée dans la mode éthique Charlotte Kincaid dans les colonnes de Remake, elle qui se décrit comme une “obsédée de la mode durable et une super fan de Rihanna”

Crédit photo : Savage x Fenty
Crédit photo : Savage x Fenty

Femme noire née dans un quartier populaire de la Barbade, immigrée, autodidacte, aussi séduisante qu’irrevérencieuse, Rihanna a su capitaliser sur sa personnalité et son histoire pour fidéliser des clients. “Je voulais inclure toutes les femmes. Je voulais que chaque femme soit sur scène avec des énergies différentes, des races différentes, des types de corps différents, des stades différents de leur féminité, de leur culture”, lâche la chanteuse dans les pages de Elle en 2018 l’année du lancement de sa marque. Milliardaire mais pourtant proche de sa communauté, la Caribéenne mise sur ce sentiment d’identification pour faire du business. À raison, quand celui-ci ne cache pas de l’exploitation humaine et un désastre écologique. C’est justement cette dichotomie qui étonne. À la tête de la fondation Clara Lionel, une organisation à but non lucratif qui finance, notamment, des initiatives de justice climatique dans les Caraïbes et aux États-Unis, Rihanna semble faire de l’écologie l’un de ses nouveaux chevaux de bataille. Jusqu’à appliquer ses convictions à sa marque ?

Rihanna peut-elle progresser ?

Encore une fois, l’histoire de l’interprète d’Umbrella rejoint de très près son business-model. Particulièrement attachée à son île, la femme d’affairew n’a pas hésité à interpeler les participants au Sommet de Paris en 2023 au sujet des conséquences du dérèglement climatique dans les Caraïbes. “Mobilisez-vous pour celles et ceux qui contribuent le moins au réchauffement climatique et qui pourtant sont les plus touchés. Nous avons besoin que vous preniez des engagements courageux, pour réformer le système de financement international et sur la dette des plus vulnérables.”, a-t-elle ainsi écrit sur X à l’intention de Janet Yellen, secrétaire au trésor des Etats-Unis, et Ajay Banga, président de la Banque Mondiale.

Quelques mois plus tôt, la maman de RZA et Riot Rose avouait être plus préoccupée qu’avant par l’impact de ses marques sur la planète depuis sa première grossesse : “La grossesse me pousse à chercher à être plus durable”, confiait-elle lors d’un entretien accordé à Allure. Si cela s’est appliqué de façon assez visible à Fenty Beauty et Fenty Skin, qui limitent désormais les emballages inutiles et affichent une composition plus éthique, qu’en est-il pour Savage x Fenty ? Alors que le programme VIP a été épinglé pour son aspect trompeur, celui-ci soulève également la question de la surconsommation, encourageant les clients à dépenser pour dépenser et à bien utiliser le moindre crédit qu’ils auraient oublié d’annuler en début de mois, même si ils n’avaient pas prévu d’acheter à la base.

Le déploiement de points de vente physiques un peu partout dans le monde, dont en France, sera-t-il un moyen de renoncer à ce genre de pratique en ligne ? Une chose est sûre : les boutiques et la potentielle introduction en bourse de la compagnie feront de Savage x Fenty une entreprise publique qui ne pourra plus passer sous les radars. Reste à savoir si la marque relèvera ces défis éthiques et si la badgal se transformera en un véritable modèle de la mode responsable.

6 novembre 2024

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