Où en sont les affaires d’agressions et de viols dans le rap français ?

Le temps médiatique n’est pas celui de la justice, et certaines victimes sont toujours en attente d’un jugement de leur agresseur.

« Les journalistes ils parlent quand ça sort et après on ne les entends plus ». Cette phrase souvent entendue, n’est que le reflet de la différence entre le temps médiatique et le temps de la justice, le premier quasi immédiat, le second devant faire face à une certaine lenteur des institutions judiciaires. Lorsqu’une plainte est déposée, elle peut parfois n’aboutir que des mois voire des années après. C’est le cas par exemple de l’affaire Moha La Squale qui n’a toujours pas été jugé après des plaintes déposées en 2020 par six jeunes femmes pour des faits d’agressions, séquestrations et viol. Depuis ces révélations faites suite aux mouvement #balancetonrappeur sur les réseaux sociaux, plusieurs femmes ont relaté des faits de violence perpétués par des acteurs phares du rap français. Certaines dans le cadre de leurs vies conjugales, comme c’est le cas pour Kaaris récemment accusé par son ex-compagne de violences aggravées. Alors où en sont les affaires du rap français ?

Moha La Squale

En septembre 2020, six femmes portent plainte contre Moha La Squale pour des faits de violence et de séquestration suite au mouvement #balancetonrappeur. Plusieurs de ses anciennes petites amies s’expriment alors dans la presse, décrivant des scènes de violences particulièrement brutales : “Il me tirait par les cheveux tellement fort que la peau du crâne se décollait, j’avais des hématomes partout sur la tête”, relate l’une d’elles au Monde. Une autre décrit également des violences physiques : “J’avais des marques sur le front, je n’avais pas pu aller au travail parce que j’étais détruite. On ne peut pas y aller avec la pommette gonflée, même si ce ne sont pas des bleus, ça se voit”. En juin 2021 Moha La Squale sera finalement mis en examen pour “agression sexuelle” et “violences” par conjoint ainsi que pour “séquestration”. Il sera placé sous contrôle judiciaire au même moment.

Depuis, le dossier semblait au point mort. Me Thibault Stumm, avocat de quatre des plaignantes, s’était d’ailleurs plaint d’une justice au ralenti dans les colonnes du Monde en mars 2021. “On parle d’un sujet, celui des violences conjugales, sur lequel le gouvernement communique chaque semaine depuis des années, et, pourtant, sept mois après les plaintes pour des faits graves, le mis en cause n’a toujours pas été entendu, s’agaçait-il.“C’est trop long, ce n’est pas normal. Mes clientes se font discrètes, attendent, mais elles se sentent abandonnées, et il serait temps que la justice s’intéresse à leurs cas.”. Mais le 10 juin dernier, le dossier fait de nouveau la Une de la presse lorsque l’artiste est interpellé à la gare du Nord à Paris alors qu’il descendait d’un Thalys en provenance d’Essen en Allemagne. Il est alors placé en garde à vue pour non respect de son contrôle judiciaire. Quelques semaines avant cette interpellation, une nouvelle jeune femme se présentant comme la petite amie récente du rappeur avait décrit également des faits de violence sur les réseaux sociaux. Sur Snapchat elle racontait les multiples disputes du couple et partageait une photo de sa bouche en sang.

L’affaire qui court depuis 2020 n’a toujours pas été jugée à ce jour. Les accusatrices attendent depuis presque deux ans un jugement.

Naps

Le 3 octobre 2021 le parquet de Paris a ouvert enquête contre le rappeur Naps, après qu’une jeune femme de 20 ans ait déposé plainte pour viol. Elle aurait rencontré l’artiste marseillais en boîte de nuit, pendant la soirée du 30 septembre au 1er octobre, comme le rapporte Le Point. La plaignante l’aurait ensuite accompagné à l’hôtel, où elle affirme avoir subi un viol. Elle ne serait pas être parvenue à repousser l’agresseur présumé car « tous ses membres étaient paralysés », précise le journal. « Selon une source proche de l’enquête, l’alcoolisation pourrait tout autant avoir diminué la conscience de la jeune femme », ajoutait Le Point dans son article.

Le rappeur avait de son côté choisi Instagram pour répondre à ces accusations. Dans un post depuis effacé, l’auteur de la kiffance assurait : « J’ai rien fait, j’ai même pas été contacté par la police ». Le rappeur avait indiqué qu’il avait chargé son avocat de déposer plainte « pour dénonciation calomnieuse ». Selon lui, ces accusations auraient été lancées pour nuire à la sortie de son nouvel album, prévu le 8 octobre 2021.

Nous avons contacté le Parquet de Paris pour connaitre les suites éventuelles données à cette affaire.

Romeo Elvis

En septembre 2020 Roméo Elvis est accusé d’agression sexuelle par une jeune femme sur les réseaux sociaux. Cette dernière explique avoir croisé le rappeur belge en mai 2019 dans un magasin de Bruxelles. Elle l’accuse de s’être introduit sans son consentement dans sa cabine d’essayage et de l’avoir touché à la poitrine et aux fesses. Elle alertera immédiatement le rappeur sur son geste déplacé. Toujours hantée par cette agression quelques mois plus tard, la jeune femme demandera à s’entretenir en face à face avec Roméo Elvis pour tenter de lui expliquer son traumatisme. Ils finiront par échanger pendant plus d’une heure trente. Poussée par le mouvement #balancetonrappeur qui prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux en septembre 2020, la jeune femme choisit de publier son témoignage sur Streetpress afin d’alerter sur ces comportements déviants.

Dans la foulée Roméo Elvis expliquera sur Instagram regretté « d’avoir utilisé (ses) mains de manière inappropriée sur quelqu’un, croyant répondre à une invitation qui n’en était pas une et m’arrêtant dans les instants qui ont suivi dès que j’ai compris. Je regrette sincèrement ce geste et surtout, je réitère publiquement les excuses déjà exprimées de nombreuses fois en privé et en personne. Je suis le moins bien placé, mais je le pense ce qui est souvent vu comme un acte banal est une erreur à ne pas faire. Peu importe qui nous sommes. Je ne suis pas fier de cette situation et espère servir d’exemple à ne pas suivre ».

Retro X

En novembre 2020 huit femmes accusent le rappeur Retro X de viols et d’agressions sexuelles dans les colonnes de Streetpress. Elles y décrivent un procédé consistant à se faire contacter par le rappeur sur Instagram avant pour nombreuses d’entre elles, ne plus se souvenir de leur soirée passée avec l’artiste.

En décembre 2021 Retro X porte plainte contre Streetpress pour diffamation.

Kaaris

Ce 15 juillet 2022 une enquête préliminaire visant Kaaris a été ouverte après une plainte déposée le 7 juillet pour violences volontaires aggravées par son ex-compagne, a indiqué le parquet d’Evry à l’AFP. Linda P qui partage une petite fille avec le rappeur, accuse son ex-compagnon de lui avoir arraché les ongles et de lui avoir asséné des coups de pieds et des coups de poings lors d’une dispute survenue le 19 janvier 2021. Dans sa plainte, Linda P explique avoir eu besoin de « béquilles et d’une botte de maintien pendant deux semaines » après l’agression. La plainte vise également la femme avec laquelle Kaaris se trouvait le jour de l’agression alléguée, Marion P., pour non-assistance à personne en danger, rapporte Le Parisien.

Les faits se seraient déroulés dans le garage d’une maison habitée par Kaaris et sa nouvelle compagne. Après avoir fait état d’un « comportement fuyant » de la part de Kaaris depuis plusieurs mois, et après avoir constaté un « profond traumatisme » chez sa fille due à l’absence de son père, Linda P. tente « de reprendre contact » avec Kaaris, d’après Me Adrien Gabeaud, avocat de la plaignante. Après avoir découvert que son conjoint aurait acquis une nouvelle résidence à Linas (Essonne) au sud de Paris, elle s’y rend le 19 janvier 2021. Sur Instagram Linda P. explique avoir cassé les rétroviseurs d’une voiture garée devant la maison. Face à l’agitation, Kaaris lui aurait alors proposé de s’expliquer dans le garage pour éviter d’alerter le voisinage, un témoignage qu’elle réitérera à BFM TV. Sur Instagram Linda P également a partagé des audios enregistrés lors de cette entrevue et dans lesquels on peut l’entendre crier.

Pour les avocats du rappeur, Mes Yassine Maharsi et Yassine Yakouti, il s’agit d' »accusations imaginaires et opportunistes qui pourront être balayées d’un revers d’enquête ». Ils décrivent leur client comme « apaisé et serein » avant d’assurer que cette affaire est « l’histoire d’une femme jalouse qui a besoin d’exister« .

Linda P. avait déposé une main courante le 17 février 2021 rapporte Le Figaro,« hésitant à porter plainte à cause d’un certain nombre de pressions de la part de Kaaris et de son entourage », assure son avocat Me Gabeaud.

RK

En novembre 2021 le rappeur RK est condamné à six mois de prison avec sursis probatoire pour avoir frappé au visage sa compagne. Les faits se seraient déroulés au domicile de l’artiste à Serris en juin 2021. Le couple se serait disputé après la découverte de messages d’autres femmes dans le téléphone portable du rappeur. RK aurait alors asséné des coups au visage de sa compagne. Elle « souffrait d’ecchymoses aux lèvres, sous l’œil droit, son nez était gonflé  », selon les mots de la substitute du procureur rapportés par Le Parisien qui a assisté à l’audience. RK assure ne pas avoir voulu donner « de coup volontaire » à la victime. « Jamais je n’ai voulu lui mettre une patate. Je ne sais pas comment elle a eu son nez en sang », déclarera t-il face à la justice. En plus de sa condamnation la rappeur a été interdit d’entrer en contact avec la victime, et devra suivre un stage de responsabilisation des auteurs de violences conjugales.

Heuss l’Enfoiré

Le 1er janvier 2022 la compagne du rappeur Heuss L’Enfoiré contacte Police Secours, après une dispute de couple. La jeune femme de 26 ans confie aux policiers avoir été victime de coups et de gifles de la part de son compagnon. L’altercation aurait éclaté suite à la diffusion des fesses de la jeune femme sans son consentement sur les réseaux sociaux du rappeur, comme le rappelle le média Mouv qui stipule également que la compagne du rappeur l’aurait blessé avec du charbon à chicha lancé au visage. Heuss L’Enfoiré se verra prescrire 2 jours d’ITT. Quelques jours après la révélation de l’affaire, Maître Ruben, avocat du rappeur, expliquera que son client a été relaxé, faute d’éléments suffisants.

« Il y a eu une procédure classique, une interpellation, un placement en garde à vue pendant quasiment 48h. Il a été remis en liberté à l’issue de sa garde à vue. Et le parquet a pris la décision de classer sans suite les faits qui lui sont reprochés« , détaille l’avocat. « Une enquête a été réalisée avec des perquisitions, une enquête de voisinage, des gens qui ont été entendus et au final, la justice se rend compte que tout n’est pas blanc ou noir. Les zones d’ombre conduisent la justice à prendre la décision qu’il n’y a pas d’éléments suffisants, pas de charges suffisantes, pour renvoyer Heuss devant un tribunal », précisera Maître Ruben.

Niska

En mars 2019 Aya Nakamura poste sur son compte Instagram une photo de son visage tuméfié avant de l’effacer. Le cliché est alors largement repris sur les réseaux sociaux. Dans des échanges avec le blogueur aquababe, la chanteuse stipulera qu’il s’agissait bien de coups portés par son petit ami de l’époque Niska. Si elle ne s’était jamais exprimée publiquement au sujet de cette affaire, elle le fera en décembre 2020 au micro de la journaliste de France Inter, Léa Salamé. Dans un entretien elle évoquera la publication du “fameux” cliché la montrant avec un hématome à l’oeil. “Je l’ai publiée sans forcément attendre quoi que ce soit. Et quand j’ai vu tout ce qu’il se passait, les médias qui avaient tout repris, je me suis dit ’Wouah, ah non je ne veux plus en fait. J’avais quand même un peu honte”, expliquera t-elle. “Je l’ai publiée pour montrer que moi aussi, ça m’était arrivé”, poursuivra Aya Nakamura avant de confirmer à nouveau que c’est bien son ex-compagnon de l’époque qui l’a “tabassée oui”.

Si elle avait fait le choix de ne pas porter plainte à l’époque, Aya Nakamura avouera le regretter au micro de Léa Salamé. “Aujourd’hui, je porterais plainte et, en plus de ça, j’essaierais de faire passer un message en racontant tout ce qu’il s’est passé.”

Doc Gyneco

En mai 2021 Doc Gyneco a été condamné à cinq mois de prison avec sursis et à 2 000 euros d’amende pour violences conjugales. Il était suspecté d’avoir frappé sa compagne au visage lors d’une dispute survenue dans l’appartement conjugale. Alertée par une voisine et une fois sur place, la police avait découvert une femme présentant un œdème à l’oeil. Doc Gyneco avait tout d’abord parlé d’un « coup de sang », une « première en vingt-cinq ans » de concubinage, tout en reconnaissant avoir adressé quatre gifles à sa compagne. Sa femme et ses deux filles avaient elles évoqué des « violences habituelles », ainsi qu’une « emprise » du père de famille sur son épouse, détaille L’OBS. L’artiste avait fini par reconnaître des violences plus anciennes.

20 juillet 2022

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