Dans le cadre d’une “opportunité” pour l’émission Miss France, des élèves de l’établissement Octave-Feuillet ont oeuvré dans des conditions très éloignées du Code du travail.
C’est une révélation du média d’investigation Médiapart : en décembre dernier, les élèves du lycée pro Octave-Feuillet, situé dans le 16e arrondissement de Paris, ont travaillé sur cinq costumes pour l’émission Miss France, diffusée le 17 décembre sur TF1. Rien d’anomal dans cette information sauf que Mediapart révèle que ces costumes – créés dans le cadre “travail en atelier” de la formation pro – ont été conçus dans des conditions parfois illégales : certaines élèves ont dû travailler de nuit et dormir dans l’établissement, parfois la tête sur la table de l’atelier. Si on rapporte un enthousiasme face à cette opportunité, Médiapart parle aussi de crises d’angoisse et de larmes face à ces conditions de travail. Cet incident, où les élèves d’une filière dévalorisée travaillent dans des conditions illégales pour un concours de plus en plus décrié pour son sexisme, intervient en pleine réforme des lycées pros, qui craignent pour leur avenir.
Le rectorat et la médecine scolaire avaient été alertés durant la semaine du concours Miss France des conditions de travail de ces lycéennes parfois mineures. Mais ce n’est que la veille du Jour J que « la directrice s’est vue sommée de ne plus faire travailler d’élèves la nuit au lycée”, rapporte un membre de l’équipe pédagogique du lycée parisien. Interrogé, le rectorat confirme que « Cette année, ce projet a conduit, en raison notamment de contraintes de livraison de fournitures, à exposer quelques élèves de l’établissement à un rythme de travail trop soutenu dans les derniers jours précédant la manifestation”. La société Miss France précise elle de son côté que des directives ont été données “6 à 7 semaines” à l’avance, “pour la confection de ces cinq costumes”.
Une filière victime de préjugés
Le lycée professionnel souffre d’un mépris de longue date (l’OCDE le qualifiait en 2019 de “parent pauvre” de l’Education Nationale). Pourtant, près d’un tiers des lycéens français y sont inscrits, ses filières sont très diversifiées, et certains postes auxquels il prépare étaient en première ligne des métiers essentiels pendant les confinements liés au COVID. Cette dévalorisation s’explique peut-être par le fait que, dans un pays champion des inégalités scolaires et donc des discriminations, on regarde de haut cette filière où 60 % des élèves sont des enfants d’ouvriers, contre 12 % d’enfants de cadre de cadres.
Le cas des coutumes Miss France des élèves d’Octave-Feuillet pose question : pourquoi des élèves majoritairement mineures (non rémunérées car en formation), ont-elles dû travailler dans des conditions qui ne respectent pas le Code du travail français ? Quel message leur est envoyé sur la valeur de leur expertise et le monde professionnel auquel elles sont censées être préparées ? Comme l’a confié à Médiapart un membre de l’établissement : “C’est le rôle des adultes, qui ont des jeunes en charge, d’apprendre qu’une carrière se construit aussi sur des “non”.”
Les différents acteurs ici se renvoient la balle : la proviseure du lycée a notamment visé le rectorat de Paris, qui explique avoir mis en place des solutions comme un hébergement proche du lycée dès qu’il a été mis au courant de cette situation.
Un contexte tendu
La filière pro est actuellement en pleine réforme gouvernementale. On prévoit notamment de raccourcir de 11 semaines le temps passé au lycée et en atelier pour, entre autres, intensifier les stages. Mais cette mesure, censée aider les élèves à se professionnaliser plus rapidement, est décriée par les syndicats, des politiques de gauche et des enseignants qui ne la trouvent pas réaliste. Dans une plaidoirie de Frustration Magazine, une enseignante alerte sur le fait que les élèves ont également besoin de temps de cours et d’accompagnement pédagogique stable avant d’intégrer le monde du travail. “Mais serait-ce trop demander que de ne pas verrouiller professionnellement et désormais géographiquement l’avenir de jeunes entre 15 et 18 ans ?” se demandent dans une tribune des professeurs et des élus.
Dans Frustration, l’enseignante ajoute que l’entrée très jeune dans le monde du travail -de plus en plus encouragée pour les filières pros- n’est pas une victoire : “Il ne faut pas s’y tromper, en apprentissage, on commence à 14 ans à ne plus avoir de vacances, à compter ses congés et à vivre dans un environnement hiérarchisé et parfois brutal. C’est sans doute un modèle positif pour certains, certainement pas pour tous. Les jeunes précaires auront-ils le luxe du choix ?”.
26 janvier 2023