Rencontre avec Marina Correia, longboard sous les pieds pour plus de diversité

Titrée championne du monde en janvier dernier, la jeune femme a du faire face à un déferlement médiatique suite à un tweet où elle annonçait sa victoire.

Crédit photo : Robin Poncelet

Son visage ne vous est peut-être pas inconnu. Marina Correia, 23 ans, a plongé dans un bain de lumière le 13 janvier dernier, lorsqu’elle sort victorieuse de la compétition de longboard dancing « So You Can Longboard Dance ? », organisée pour la première fois en ligne en raison du Covid. Un titre de championne du monde donc, qui aurait presque pu passer inaperçu si elle n’avait pas mentionné sa victoire sur Twitter, en précisant qu’elle était la première femme noire à gagner ce titre. Patatra, ce fut le début d’une vague de harcèlement en ligne plutôt inattendue. Ce qu’on lui reproche ? De ne pas être assez noire. De s’ancrer dans une communauté à laquelle elle n’appartient pas. Pour la jeune femme originaire du Cap-Vert, arrivée à Nice à l’âge de 14 ans, c’est un coup dur et un spotlight un peu trop éblouissant braqué sur elle, qui n’a qu’une envie : amener de la diversité dans son sport et pulvériser les clichés. Trois mois après sa victoire, nous sommes allés à sa rencontre pour tirer un bilan de cette période et surtout s’assurer, que tout roule pour elle. Forcément.

Championnes du Monde : Cela fait 3 mois que tu es devenue Championne du Monde de longboard dancing. Comment expliques-tu l’engouement médiatique qu’il y a eu autour de toi avec le recul ?

Marina : Je pense que si j’avais juste annoncé ma victoire sur Twitter sans mentionner que je suis noire, ça n’aurait pas créé toute cette polémique. Si j’avais juste annoncé que j’avais gagné cette compétition, les gens se seraient intéressés à la discipline ou auraient ignoré mon tweet. J’ai mentionné que j’étais une femme noire pour souligner ma victoire et celle de ma communauté qui n’est pas assez représentée dans les médias. C’est ça qui a fait réagir les gens. Ils ont remis en question le fait que je sois noire. Ces “accusations” ont attiré les médias en mettant en avant une nouvelle forme de racisme. Ce n’était plus blancs contre noirs, mais noirs contre noirs.

As-tu regretté d’avoir écrit ce tweet ?

Par moment je l’ai regretté, parce qu’il m’arrivait de recevoir des vagues de haine terribles, même si bien sûr, elles restaient minoritaires par rapport aux messages de soutien. Je suis un être humain et quand je lis des choses comme ça, ça m’atteint forcément. Mais maintenant, j’essaye de ne plus faire attention et au final je ne regrette pas mon tweet, parce que ça a mis en lumière un phénomène réel : il y a pleins de femmes de styles différents dans notre discipline, mais c’est toujours le même type qui est mis en avant ou qui est recherché dans les castings. Ce serait bien que cela change !

Y a-t-il des choses qui ont changé pour toi depuis ton titre et cette médiatisation ?

Oui beaucoup de choses ont changé. Déjà, les gens me reconnaissent dans la rue avec mon masque. Après, c’est sûr qu’il n’y a pas 10 000 filles avec des dreadlocks et un skate (rires). J’ai été invitée par le Crédit Agricole à un concert enregistré de Suzane, j’ai eu des propositions de Décathlon qui doivent aboutir, et pleins d’autres petites propositions à côté. J’ai aussi été contactée pour des interviews avec une journaliste au Nigéria et en Angleterre. Il y a un magazine suisse qui va faire mon portrait également. Au Cap-Vert, chez moi, je suis passée sur la chaîne principale. Je note tous mes rendez-vous dans un carnet, ça m’aide à m’organiser. Après mon titre, je recevais 5 à 10 appels par jour, donc c’était un peu compliqué de tout gérer et il m’est arrivée d’oublier des choses sans faire exprès (rires).

« Chez les femmes, le standard de beauté correspond à une femme blanche, les yeux clairs, particulièrement dans le monde du surf et du longboard. »

Crédit photo : Robin Poncelet

Comment gères-tu, à seulement 23 ans, ce passage à la lumière et cette soudaine notoriété ?

Ça rajoute une pression dans le sens où, il y a quand même des attentes de la communauté  longboard qui va s’attendre à ce que je continue d’évoluer. Là, j’ai plutôt l’impression de stagner parce qu’avec toutes les interviews, je n’ai pas forcément le temps de skater. Il y a aussi une pression des gens qui te regardent dans la rue et sur internet. Sur Twitter, je raconte ma vie, j’ai plein d’amis là-dessus et il y a des gens qui attendent le moment parfait pour me tomber dessus. J’ai déjà eu une conversation avec un homme qui tenait des propos homophobes et qui m’a dit que ce que je disais “n’était pas pertinent pour une championne”. Ils prennent ton palmarès et l’utilisent pour te dire que tu ne peux pas faire ou dire telle chose. Ce sont des petites pressions qui s’ajoutent malgré moi, alors que j’ai commencé le skate pour m’amuser et non pas pour plaire aux autres. Maintenant, je me retrouve parfois à faire du contenu pour donner aux gens.

Tu as utilisé ta médiatisation pour parler du racisme et du sexisme qui sont présents dans ton sport et en dehors. Pourquoi as-tu voulu aborder ces sujets-là en particulier ?

Parce que c’est la vérité. Ma mère m’a toujours appris à dire ce que je pense dans le respect. Par exemple, si je fais une vidéo de 10 secondes en t-shirt/pantalon de moi en train de skater et faire des figures et, qu’on fait la même vidéo avec une femme blanche aux cheveux lisses blonds qui porte un maillot de bain, sa vidéo fera plus de vues que la mienne. Ce n’est pas parce que sa vidéo est plus belle ou que son contenu est meilleur. C’est parce qu’elle représente le fantasme masculin, le cliché de la beauté. Moi je ne suis pas conforme aux standards de beauté, avec mes dreadlocks et mes piercings. J’ai une amie de la communauté longboard qui a fait une petite étude. Sur Instagram, elle suit 41 personnes. Dans ces 41 personnes, il y en a 24 qui ont plus de 10 000 abonnés sur Instagram. Parmi ces 24, il n’y en a que 4 qui sont noirs : 3 hommes et 1 femme, moi. À l’époque j’avais 10 000 abonnés, mais des femmes blanches qui avaient le même niveau en skate que moi avaient 100 000, 120 000 abonnés. Mon amie a trouvé ça bizarre, moi je ne me posais pas ces questions à l’époque, je faisais mon truc, mais ça m’a un peu réveillée.

Justement, tu as dit dans plusieurs interviews qu’on t’avait déjà fait comprendre que les sports de glisse étaient des « sports de blancs ». Comment expliques-tu ça ?

Et bien déjà en terme de représentation, que ce soit à la télé ou sur les réseaux, c’est toujours le même profil. Chez les femmes, le standard de beauté correspond à une femme blanche, les yeux clairs, particulièrement dans le monde du surf et du longboard. Pour les hommes, ce sera forcément un grand, musclé et idéalement avec les yeux clairs. Avant de commencer le longboard, je n’avais jamais vu quelqu’un comme moi. Je me suis rendue compte de l’importance de la représentation quand une femme, une afro-américaine d’une vingtaine d’année, m’a envoyé un message pour me remercier et me dire que je lui avais donné le courage d’aller dans un magasin et de s’acheter un skate. J’ai eu les larmes aux yeux. Je ne veux pas séparer les gens, je veux juste que tout le monde soit ensemble et que tout le monde soit représenté. 

« J’ai appris à avoir confiance en moi à partir du moment où j’ai fait mes locks. Ça représente, dans le mouvement rastafari, la couronne. »

Crédit photo : Robin Poncelet

Penses-tu que ce phénomène est en train d’évoluer, quand on observe la médiatisation que tu as reçu ?

Bien sûr ! Les marques cherchent de moins en moins à alimenter ces clichés. Maintenant ils recherchent plutôt la différence qui tapera dans l’œil. Ils vont aller vers des personnes différentes et originales. Les choses sont en train de changer mais ce n’est pas encore assez.  

Après avoir lu tes interviews et regardé tes lives sur Instagram, on a l’impression que tu as une confiance en toi inébranlable et que tu n’as pas peur de prendre ta place. Est-ce vrai et à quoi est-ce dû ?

J’ai appris à avoir confiance en moi à partir du moment où j’ai fait mes locks. Ça représente, dans le mouvement rastafari, la couronne. La couronne, c’est la puissance, la force. Dès que tu as tes locks, rien ne peut t’atteindre. Ça représente beaucoup pour moi dans le sens où en Europe, c’est plutôt mal vu. Ma mère me disait que ça me poserait des problèmes pour trouver du travail, mais je me suis dit qu’ils me prendraient pour mes qualités et pas pour ma tête. Quand j’étais plus jeune, j’avais les cheveux bouclés et on me faisait souvent des blagues sur ma couleur de peau, ou on voulait me toucher les cheveux. Donc j’ai commencé à me lisser les cheveux tous les jours pour rentrer dans les normes occidentales. J’ai également pris confiance en moi grâce à mon longboard. Le skate, ma coiffure et le fait d’écouter Rihanna aussi. Au début, Rihanna avait une mauvaise réputation et aujourd’hui elle a réussi. Elle fait ce qu’elle veut, peu importe ce que les autres en disent. Je me suis dit que je devais adopter la même attitude. 

J’aimerais revenir sur la musique parce que j’ai l’impression que c’est très important pour toi. Quelle place à la musique dans ta vie et dans ton sport ?

La musique a une place énorme ! Il faut savoir que j’écris, j’ai un petit carnet dans lequel j’écris tout et n’importe quoi : des petits poèmes, ce que je fais dans la journée. Ça me permet de me parler à moi-même, car des fois tu peux avoir peur de te confier aux mauvaises personnes. Sur Instagram, je ne mets jamais de musiques commerciales. Il y a un algorithme qui fait que quand tu mets des musiques connues, tu as plus de vues, mais le nombre de vues ne m’intéresse pas. Je partage les musiques que j’écoute quand je skate, des musiques de chez moi et j’aime bien mettre en lumière des artistes qui ne sont pas très connus. Ça passe par les Antilles françaises, les Antilles néerlandaises, les Pays-Bas, le Cap Vert, des artistes brésiliens, un peu de reggae… Je ne mets jamais de musiques américaines type Cardi B. Je l’aime bien, mais je ne skate pas avec ça.

La musique que tu écoutes quand tu skates impacte-elle ta manière de te déplacer, de te comporter et de te sentir ?

Absolument ! Quand j’écoute des musiques qui bougent, j’accélère, je vais vite. Lorsque je travaille une figure en particulier, je préfère écouter du reggae. C’est plus reposant, les paroles me permettent de rester concentrée, positive et de me dire que je vais réussir. J’écoute aussi du rap quand je m’entraine pour des figures. La musique est vraiment très importante pour moi, elle définit ma personnalité : on sent les îles, ce ne sont pas des musiques que l’on trouve facilement sur Instagram.

As-tu des groupes ou artistes qui sont vraiment importants pour toi, qui te définissent ?

Oui, la première qui me vient en tête c’est Sara Tavares, une artiste qui fait de la musique reposante, avec de belles paroles et des vrais messages. Elle est portugaise et cap-verdienne. Pour la petite anecdote, je l’ai suivie sur Instagram, elle m’a suivie en retour et elle m’a envoyé un message en me disant qu’elle aurait aimé être moi quand elle était plus jeune.  Sinon il y a aussi Mo’Kalamity, une française capverdienne qui fait du reggae avec des messages forts. J’écoute vraiment ce qu’elle dit dans ses chansons, ça me permet aussi d’améliorer mon anglais. Il y a Elida Almeida, une chanteuse cap-verdienne qui fait des chansons avec beaucoup de rythme. Par contre, mon artiste française préférée c’est France Gall, j’aurais adoré pouvoir la voir en vrai.

Crédit photo : Robin Poncelet

France Gall ? C’est surprenant pour une personne de 23 ans ! Pourquoi France Gall en particulier ?

Quand j’étais au cap vert, mon beau-père m’avait ramené un CD de France Gall. À l’époque, je ne parlais pas bien français mais j’ai mis son CD et j’ai adoré ses chansons et la façon dont elle prononçait les mots. C’est elle qui m’a donné ce plaisir d’apprendre la langue française. J’avais deux CD chez moi et j’essayais de comprendre ce qu’elle disait et quand je ne comprenais pas, je prenais un dictionnaire et je regardais ce que ça voulait dire. C’était un peu mon école musicale. Je l’écoute encore aujourd’hui, avec Michel Berger. 

Dans ton sport, on parle beaucoup de “flow” et de “style”. Quelle est ta définition du flow ?

Quand je dis que quelqu’un n’a pas de flow, de mon point de vue totalement personnel bien sûr, c’est lorsque la personne va trop doucement sur sa planche, fait des mouvements trop lents et manque de dynamisme. En revanche, quand je vois quelqu’un qui effectue ses mouvements de façon détendue, qui s’enchaînent bien, que la personne est sûre d’elle, alors là, la personne a du flow ! 

J’ai eu l’occasion de voyager au Cap-Vert il y a quelques années et j’ai pu voir que la perception du sport féminin là-bas est complètement différente de celle qu’on en a en France. Est-ce que cette confiance en toi prend également racine dans la culture cap-verdienne ?

Totalement ! Plus jeune, je faisais du foot et j’ai toujours joué avec des garçons. Il n’y a jamais eu cette différence fille/garçon, on avait tous le même niveau. Récemment, en retournant au Cap-Vert, j’ai joué avec des filles et les garçons étaient à fond derrière nous, à nous encourager, à crier. Cette confiance vient aussi de là, de ma famille et du Cap-Vert dans sa totalité. Là-bas, on nous apprend à croire en nous, à faire ce qu’on veut. Nous ne sommes pas dans le cliché africain typique de “la femme à la cuisine”. Je n’ai jamais ressenti de manque de confiance en moi avant d’arriver en France.

Quelles seraient les solutions pour encourager toutes les femmes à se lancer dans les sports de glisse ? Qu’aimerais-tu leur dire ?

J’aimerais leur dire de ne pas avoir peur du regard des autres, qu’elles sont leurs propres limites. Moi, je me dis toujours que je suis faite comme ça et si je ne m’aime pas comme ça, qui le fera ?! Apprendre à s’aimer est important, même si c’est difficile. Il faut monter les marches petit à petit. Commencer par se trouver 2 ou 3 qualités par jour et se les répéter. Les marques, qui ne cherchent souvent qu’à vendre, ont aussi un rôle à jouer là-dedans. Le fait de toujours utiliser la même image de la femme qui est à moitié dénudée sur son skate n’aide pas, alors qu’il y a plein de femmes qui ont des messages à faire passer et qui pourraient inspirer énormément de filles. C’est aussi la faute du public qui doit se remettre en question. Les marques donnent ce que le public attend. Il faut que les gens se réveillent. Plus globalement, les industries comme celles de la publicité et du cinéma doivent également changer, pour modifier les clichés qu’ont les gens de 40 ou 50 ans, qui ne vont pas sur Instagram et qui ne regardent que les grandes chaînes de télévision traditionnelles. Mon message n’est pas que les blondes ne doivent pas faire de skate, je dis juste que les clichés sont là et qu’il faut les combattre.

28 avril 2021

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