Rencontre avec la jeune femme qui a sorti son nouvel album « Sérotonine », un hymne à l’amour et à l’acceptation de soi.
La date du shooting dépendait de la pose de la perruque orange. Signature capillaire emblématique de Joanna qui a sorti son album « Sérotonine » le 7 mai dernier. Mais ça serait se mettre le compas et le chapeau de cowboy dans l’oeil de croire que la chanteuse, derrière ses allures de poupée désenchantée, mise tout sur son apparence. Elle a bien prévu quelques tenues qu’elle veut ajouter à ce shooting, mais elle sait surtout ce qu’elle veut ou ne veut pas. Cela peut paraître anecdotique mais peu de fois sur des shootings nous avons vu l’artiste se mettre à notre hauteur pour réfléchir ensemble. En même temps Joanna a les mains dans le charbon, elle le chante d’ailleurs : « Lucifer pleure pendant que je recoue le coeur de mes soeurs ». Du fil et une aiguille, donnez lui ça à Joanna et elle vous confectionnera un album entre sensualité et affirmation de la femme que l’amour lui a permis de devenir. Pour le remercier elle l’invite en featuring sur chaque morceau, tantôt comme un amour sauveur, d’autres fois comme la raison de son malheur, mais toujours là, main dans la main. On les regarde s’éloigner ensemble, Lucifer tenue en laisse.
ANCRÉ : On est à quelques jours maintenant, après la sortie de ton album. Dans quel mood es-tu ?
Joanna : Je suis dans une sorte de mélange entre soulagement, épuisement, sérénité et vide intersidéral. J’ai l’impression d’avoir enfanté.
Comment as-tu vécu la réalisation de cet album, c’est un peu redondant, mais oui le Covid est passé par là, et il a forcé les artistes à être privés de leur public. Est-ce que ça a changé ta façon de le construire ?
Je suis passée par plein d’étapes, d’abord j’ai eu l’impression que faire un album allait être une montagne énorme. Et puis finalement ça s’est fait très naturellement, je ne me suis même pas rendue compte du travail que c’était. Et j’avoue qu’avec le Covid, j’ai pu me concentrer à 200% sur l’album et le projet dans sa globalité. J’ai pu peaufiner la direction artistique et y trouver un sens fort. Le fait d’être privée de mon public m’a fait beaucoup de mal dans les moments de doutes, mais comme beaucoup d’artistes j’ai vite appris à m’adapter sur mes réseaux sociaux et j’ai aussi vite compris qu’il fallait toujours avoir un coup d’avance à chaque sortie de single ou événement. Donc maintenant on en ressort avec plein de créativité !
En écoutant « Sérotonine », je n’ai pas su te ranger dans une case, je vois que quelques articles de presse te classent dans la catégorie RnB, tandis que d’autres font mention de pop. Alors on te le demande, où te situes-tu sur le paysage musical ?
Franchement j’ai du mal à concevoir la case en tant que tel. Je trouve ça assez énervant que la société ait constamment besoin de repère pour savoir si on aime ou non quelque chose. Mais instinctivement je dirais que je fais du RnB avec un attrait puissant pour la pop. Mais là, en ayant sorti l’album, je pense aux futurs projets, et je ne suis pas certaine de rester dans cette « case » donc on verra. Mais pour moi le plus important c’est de faire ce qui te correspond, ce qui te touche et d’y mettre ta pâte en toute sincérité, c’est que les gens retiennent.
Dans cet album tu parles beaucoup d’amour, tu as dis que c’est justement l’amour qui t’avait sauvé. Sauvé de quoi ?
L’amour m’a sauvé de la bulle dans laquelle j’étais enfant/adolescente, l’amour m’a éduqué socialement en quelque sorte. Ça a été un genre de guide vers la découverte et l’acceptation de ce que je suis. C’est à travers l’amour que j’ai trouvé la force de réveiller ma curiosité, que j’ai découvert ma vraie sensibilité, mes passions, mon empathie mais c’est aussi à travers lui et les relations que j’ai vécu du sexisme, des violences sexuelles, de la discrimination et grâce à ça, je suis devenue une combattante acharnée à accomplir ce en quoi elle croit.
Chaque titre est accompagné d’un terme descriptif entre parenthèses : la peur, la frustration, l’envahissement, le sexe, la rencontre… Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi tu as choisis tous ces « concepts » ?
Ce sont des étapes dans lesquelles je me suis souvent retrouvée. On est d’abord excité par la rencontre, on aime bien ce que l’autre voit en nous et ce qu’on voit dans l’autre, on se sent un peu piqué, on séduit, on se découvre un peu plus. Et puis on se sent envahi par plein d’émotions et même physiquement, on fait l’amour, on passe du temps ensemble, et puis on commence à flipper parce qu’on s’attache. Alors on fait ressortir nos petits démons, on sort la fierté, la mauvaise-foi, on a peur. Notre égo se rend compte de ce qu’il peut perdre et ça lui fait tourner la tête, il nous empêche de bien communiquer par mélange de honte et de fierté. On continue d’avancer mais dans un climat moins agréable, alors on en déduit qu’on se lasse. Souvent il y a aussi de la masculinité toxique. On se demande aussi s’il n’y a pas mieux ailleurs, on se détache, on est frustré alors on se quitte.
Jusqu’à la renaissance.
On renaît de nos cendres parce qu’on a compris nos erreurs, parfois on se rassure en mettant la faute sur l’autre, parfois on se confronte et on se regarde en face. Et rebelote, jusqu’à ce qu’on comprenne ce qu’est l’amour. Je ne dis pas que c’est le cas de tout le monde, mais j’ai la sensation qu’il y a souvent ce schéma dans ma génération et celles d’en dessous. Avec mes lunettes de jeune femme qui découvre le monde j’ai voulu exprimer plusieurs choses : le fait que la communication et la confiance sont des gros piliers d’une relation, que les tabous sont parfois néfastes, qu’être une femme et amoureuse ne ressemble pas à ce qu’on a vu dans les films ou les histoires de princesses et que ce n’est pas si grave, on fait des erreurs, mais c’est important de ne pas les reproduire pour avancer.
Il y a quelque chose qui nous a frappé dans cet album, ce sont les inspirations qui nous ont rappelé Mylène Farmer. En voyant tes cheveux orange, on se dit que ça ne peut pas être un hasard. C’est une artiste que tu as beaucoup écouté ?
(Rires). En effet c’est une artiste que j’ai beaucoup écouté depuis très jeune, d’abord sans comprendre et en appréciant la musicalité et aujourd’hui en comprenant la force des textes et du personnage. En revanche, les cheveux c’est purement par amour de la couleur orange.
Dans une interview tu as dis : « la société ne nous apprend pas toujours à nous regarder dans un miroir ». Qu’est-ce que toi tu vois dans le miroir en ce moment ?
En ce moment je ne me vois pas, je ne me regarde pas. Il faut que je le fasse !
Je voudrais qu’on parle de ta manageuse Lola Levent. Pour ceux qui ne la connaisse pas elle est très engagée sur les causes féminines, c’est elle en partie, derrière la révélation de l’affaire Roméo Elvis. Est-ce que ce sont pour ses engagements que tu l’a choisie ?
Gros bisous à elle. Oui, je l’ai choisie parce qu’il était important pour moi de me créer un entourage professionnel safe. J’avais besoin de travailler avec quelqu’un proche de ma vision, avec un réel combat, qui me pousse à ne pas abandonner ma personne face à l’industrie, la pression et surtout quelqu’un de sincère et transparent. Son avis est très précieux pour moi, j’ai confiance en son intuition et je suis de tout coeur avec ses projets artistiques et militants.
Je vous regardais toutes les deux pendant ce shooting, on peut dire que vous êtes des nanas qui charbonnent, on voit que vous prenez les décisions toutes les deux et que vous ne vous laissez rien dicter. Quel est ton regard sur l’industrie de la musique en tant que femme ?
(Rires). Oui c’est sûr, de toute façon il n’y a que le charbon qui paie. Et bien, je trouve qu’il y a encore du boulot, il y a encore de la masculinité toxique, du mansplaining, de l’invisibilisation, une ignorance monstre pour la psychologie des artistes. Mais je trouve qu’en quelques années on a réussi à imposer à l’industrie le fait que les artistes féminines ne sont pas des objets mais des sujets, et qu’elles ont une créativité réelle et considérable. Je crois de tout mon cœur que les choses vont évoluer dans ce sens, on ne peut plus faire marche arrière. Tout ce qu’on demande c’est du respect, de l’humain et de l’écoute ! Force à tous.tes les artistes qui se battent pour leur vision.
Crédits :
Direction artistique : Hanadi Mostefa
Photographe : Pete Casta
Stylisme : Hanadi Mostefa et Joanna
25 mai 2021