Comment Athéna est-elle devenue la go la plus convoitée du rap français ?

Pour Orelsan, Ninho ou encore Dinos & co, cette déesse de la mythologie grecque incarne une certaine apogée.

En 2021, deux mastodontes du rap français choisissent de sortir chacun un titre portant le même nom, celui d’Athéna. OrelSan usera de ce patronyme pour dédier une lettre d’amour à sa compagne sur son dernier album “Civilisation”. Ninho lui, cherchera une “guerrière comme Athéna” dans Jeffe, titre de son opus sorti la même année. Et ils ne sont pas les seuls à user du prénom de cette patronne grecque. Le duo des Tarterêts PNL, Zamdane et LuvResval figurent en bonne position sur Youtube avec chacun un morceau nommé d’après le prénom de cette déesse de la mythologie grecque. Alors pourquoi une telle fascination pour celle que l’on décrit comme la figure de la sagesse, du courage, de l’inspiration, de la civilisation, du droit et de la justice, de la guerre stratégique, des mathématiques, de la force, des arts, de l’artisanat et des compétences ? Tu parles d’une charge mentale toi.

La relation entre l’Antiquité, la mythologie grecque et le rap français ne date pas d’hier. Il suffit de regarder le patronyme choisi par l’une des figures majeures du rap FR, Akhenaton, pour comprendre que cette période, qui va des origines des temps historiques à la chute de l’Empire romain, fascine certains gratteurs de 16. Si l’on s’éloigne du rap pour rester tout de même dans l’urbain, le prochain film de Romain Gavras co-écrit avec Ladj Ly, s’intitule lui aussi “Athéna”. Tourné à Évry-Courcouronne il sortira à la rentrée sur Netflix. Dans la bande-annonce, une cité en feu est défendue par ses guerriers, une bande de garçons trônant entre des bâtiments aux allures de châteaux forts.

Les références du rap à la mythologie grecque sont pour Justin Noto, rédacteur en chef du média spécialisé dans le rap français Interlude, “assez évidentes, puisqu’elles emploient tout le lexique du héros, des monstres, de la guerre, des pouvoirs surnaturels. Certaines sont d’ailleurs très récurrentes : le chant des sirènes, le Minotaure, le cheval de Troie. Ce sont des récits cultes, très imagés et surtout extrêmement implantés dans la culture populaire, au-delà de la musique”, nous explique t-il. Pour Nadège Wolff, professeure agrégée de lettres classiques, l’Antiquité est “un espace de projection privilégié des rappeurs français en raison de son prestige, promesse de distinction, et de son caractère de valeur sûre”. Cette période, même si lointaine “est un moyen de revenir à ses origines ou de s’inventer une identité. La mythologie grecque, en plus d’être un réservoir de récits passionnants, fait également rêver par la musicalité de ses noms propices à des rimes et jeux de mots (« Athéna » / « atténue » ou encore « Athéna » / « on a tenu »)”, poursuit-elle.

Luxe, mangas et Athéna

Si Romain Gavras dit avoir voulu “faire une tragédie au sens grec du terme“, les rappeurs français n’empruntent pas directement à la mythologie grecque. On s’explique. Leurs références sont en réalité plus modernes comme le concède Justin Noto. “En fait, malgré quelques rares cas, les divinités sont même assez peu reprises par les rappeurs français (Zeus chez B.B. Jacques et Hamza, Poséïdon chez Damso, mais les références se comptent sur les doigts d’une main). Athéna fait figure d’exception puisqu’elle a une empreinte pop-culturelle beaucoup plus forte grâce à la protagoniste du manga Saint Seiya. C’est un personnage marquant, notamment pour la génération Club Dorothée : une grande partie des punchlines liées à Athéna, le sont aussi aux chevaliers, c’est notamment ce que l’on comprend chez Orelsan (“Sous influence”) ou Kaaris. C’est d’ailleurs la subtilité de certaines autres références : “Pégase” de Sofiane évoque d’abord le personnage du manga, avant le cheval ailé.”

Athéna dans Saint Seiya, Les Chevaliers du Zodiaque

Le luxe qui emprunte des références à l’Antiquité, est aussi devenu un réservoir à punchlines pour le rap français. “La mythologie grecque n’est pas toujours revendiquée comme un héritage conscient ou comme une référence nettement maîtrisée. Dans certains cas, il s’agit plutôt de références à de grandes marques de luxe prisées des rappeurs qui se sont elles aussi accaparées le domaine antique. Ainsi, lorsque Booba intitule un de ses albums « Nero Nemesis », il fait moins référence à la déesse de la vengeance Nemesis qu’à un modèle de Lamborghini. De même, dans le domaine du rap, l’expression « être médusé » renvoie plus au logo de Versace qu’à Méduse elle-même“, détaille Nadège Wolff à ANCRÉ.

Femme respectable et épouse rêvée du rap français

Mais pourquoi c’est à Athéna que le rap français envoie le plus de DM ? La go la plus puissante d’Athènes, sorte de Daenerys avant l’heure, et généralement montrée dans l’art portant un casque et tenant une lance, semble être la dulcinée de ces kickeurs de prose. “En moins d’un an, il y a eu quatre morceaux à succès nommés “Athéna”, chez Ninho, Orelsan, Zamdane et Luv Resval et Dinos. Ça a l’air d’être une grosse coïncidence, mais elle permettent de capter deux utilisations distinctes”, détaille Justin Noto d’Interlude. D’abord, la figure maternelle. Plus que la déesse de la guerre, Athéna est également la déesse de la sagesse :  elle a un aspect protecteur, bienveillant. C’est cette représentation là que l’on retrouve par exemple dans le très touchant “Athéna” de Zamdane. Il y a cet aspect de providence, de quelqu’un qui veille sur nous”, poursuit-il. “L’autre utilisation, et celle-ci est peut-être plus récente, est liée à l’amour, la volonté de personnifier une femme forte. Il y a toujours cette forme de sagesse, mais cette fois-ci liée à l’image de la combativité : une femme qui serait capable de traverser les épreuves à ses côtés. C’est une figure assez moderne, qui correspond à cette faculté des artistes à se montrer plus vulnérable, à briser un peu leur carapace “forte” pour mettre en avant celle qui partage leur vie. C’est la morale que l’on retrouve dans les textes récents de Ninho, et surtout d’Orelsan, qu’il résume ainsi : «Tu protèges et guide mes pas»“. 

Figure maternelle protectrice prête à dégainer l’arme blanche, Athéna loin de l’image de la petite zouze, réunit tous les critères de la future daronne et patronne, comme le confirme Nadège Wolff. “Dans la plupart des cas, c’est un peu le modèle de la femme rêvée, la guerrière, la femme battante prête à épauler son compagnon dans toutes les circonstances. Ninho écrit « Il m’faut une guerrière comme Athéna » et Tazer fait appel à ses conseils avisés « Donne-moi le plan pour les battre ». Lonespi en fait une déesse de lumière aux yeux resplendissants qui peuvent le gouverner (Freestyle OKLM, ndlr)). Avec son intelligence et son caractère combattif, Athéna, déesse de la guerre sortie tout armée de la tête de Zeus représente la femme parfaite, qui « se respecte » avec toutes les nuances misogynes que comporte cette expression. PNL peut difficilement être plus clair en disant « Les chiennes se prennent pour Athéna ». Athéna, c’est aux yeux des rappeurs la femme respectable et l’épouse rêvée”.

Un comble pour la professeure agrégée de lettres classiques puisque “Athéna est une déesse vierge, une parthénos en grec ancien (d’où le Parthénon)”. La patronne d’Athènes, déesse de la sagesse et de la guerre, “refuserait probablement en bloc les avances des rappeurs”, nous écrit-elle. “Certains semblent d’ailleurs avoir compris qu’ils ne pourraient pas en faire leur épouse et investissent en elle une figure maternelle comme Zamdane (« Je pars à la guerre, ma mère c’est Athéna ») ou Luvresval (« fils de la guerre ou d’Athéna »). Dans tous les cas, Athéna semble pouvoir apporter protection, intelligence et lucidité aux rappeurs”. L’Athéna des rappeurs n’est cependant peut-être pas toujours l’Athéna de la mythologie note Nadège Wolff. “Orelsan, dans son titre « Athéna » la désigne comme « Héroïne de tous les dessins animés ». Sans doute une référence aux « Chevaliers du Zodiaque », qui figure en bonne place dans le panthéon des animés prisés des rappeurs, avec la déesse Athéna, patronne d’un univers par ailleurs très masculin. A cet égard, la rappeuse Moon’a fait figure d’exception car elle est apparemment la seule à s’identifier en tant que femme à Athéna : « Nerveuse comme latina / Armée comme Athéna / Maudite par Héra / je suis médusée »”

Quelles autres figures féminines de l’antiquité passionnent également les rappeurs ? 

“Athéna a des airs de jeune fille rangée” note la professeure qui explique que les rappeurs “sont également fascinés par les femmes qui pourraient représenter un danger pour eux”. Il existe donc les fameuses Sirènes citées par Orelsan et Zamdane mais aussi Méduse. “Des déesses sûres de leur pouvoir de séduction, une féminité qui attire et inquiète à la fois la gente masculine”, poursuit Nadège Wolff. Une autre à trouver sa place dans les lyrics du rappeur Georgio, Héra, épouse de Zeus et reine des dieux grecs anciens, un modèle de femme idéale et déesse du mariage et de la famille. “Un jour j’ai rencontré Héra et depuis je vous emmerde (…) Maintenant je vais boire tout le voyage jusqu’au bout de la nuit / Effacer les mirages, apprécier le goût de la vie”, rappe t-il en 2016 dans un titre nommé d’après le blase de la femme de Zeus. Loin des groupies le rappeur semble apprécier sa vie de couple et se recentrer sur sa dulcinée. Elles sont dont plusieurs à pouvoir se targuer d’être dans le répertoire des rappeurs français. “Athéna, les Sirènes, Méduse, Héra, Aphrodite… Une diversité de figures féminines pour une diversité de féminités”, conclut Nadège Wolff.

23 août 2022

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