Est-ce que c’est si normal que les filles gagnent moins que les mecs dans le foot ?

Réponse à l’argument le plus rapide de l’ouest : “bah bien sûr les filles sont moins regardées que les garçons”. Avec un journaliste spécialiste du football féminin de chez RMC.

Campagne de Nike pour la Coupe du Monde 2019

C’est une décision qui fera date dans l’histoire du foot et du sport tout court. La Fédération américaine de foot s’est engagée à payer l’équipe nationale féminine au même niveau que les hommes. Une victoire qui fait suite à trois années de bataille judiciaire de la part des joueuses américaine, pour l’obtention de l’équité salariale. Tout commence en 2019 après le dépôt d’une plainte par 28 membres de l’équipe, dont les stars Alex Morgan et Megan Rapinoe. Les doubles championnes du monde en pleine préparation pour le Coupe du Monde de football féminin qui a eu lieu en France du 7 juin au 7 juillet 2019, décident de porter leur Fédération devant les tribunaux. Elles l’accusent de “discrimination sexiste institutionnalisée”, pointant du doigt leur salaire inférieur à celui des hommes mais aussi leurs moins bons traitements relatifs aux terrains d’entrainement, soins médicaux et déplacements.

“Evidemment on ne peut pas revenir en arrière et effacer les injustices auxquelles nous avons été confrontées, mais il en ressort que cela ne pourra jamais se reproduire”, a déclaré Megan Rapinoe sur la chaîne ABC suite à l’annonce. “C’est un pas en avant monumental qui permet de se sentir estimée, respectée, et qui répare notre relation avec US Soccer”, a poursuivi l’attaquante Alex Morgan. Mais alors posons la question : est-ce que c’est normal que les joueuses soient moins bien payées que les joueurs de foot ? Sont-elles moins bien rémunérées parce que les droits TV du foot féminin et la publicité générés par leur catégorie sont vendus moins chers ? Un argument qu’on a tenté d’éclairer avec Anthony Rech, spécialiste du football féminin chez RMC. Avec en tête que l’équipe de football aux États-Unis risque de faire exception.

ANCRÉ : Dans un premier temps pouvez-vous nous expliquer comment sont générés les salaires des joueuses et joueurs des équipes nationales ? 

Anthony Rech, journaliste sportif pour RMC : Si l’on parle de la France : les salaires sont pris en charge par les clubs. Chaque joueuse ou joueur négocie son salaire directement avec son club. Une joueuse internationale touche seulement de la FFF des primes : prime d’image par exemple, ou encore prime de performance (ces primes sont négociées avant chaque grande compétition avec la direction de la fédération française de football). C’est la grosse différence avec les USA : les joueuses de la sélection américaine sont salariées de la fédération. Ce qui change tout. 

L’argument qui revient toujours lorsqu’on évoque l’equal pay entre les joueuses et les joueurs de foot, c’est que le football féminin est moins rentable. Les droits TV ou la publicité sont vendus moins cher. Est-ce que c’est vrai ? 

C’est exact. On est dans deux planètes. Les droits TV de la D1 féminine c’est environ 1,2 millions par saison (Canal + diffuseur). Les droits TV de la Ligue 1 : plusieurs centaines de millions d’euros. Ce n’est pas comparable. 

Comment comble t-on cette différence ?

Pendant plus de dix ans la FFF a mis la main à la poche pour développer le foot féminin en France. Ce qui a permis d’améliorer et construire le football féminin français mais ce n’est pas encore professionnel. Ce qui induit une certaine hétérogénéité entre le niveau des clubs et un manque parfois d’attractivité. D’où des droits TV faibles. Ajoutez à cela un problème de structuration. 

Donc la D1 féminine elle se rémunère comment ?

Avec des droits TV faibles, un naming* Arkema de la D1 féminine mis en place depuis 2019 d’1 million d’euros par an, et un système économique qui n’est pas encore rentable, même si cela progresse beaucoup depuis l’arrivée de nombreux clubs professionnels masculins et des projets de développement fédéraux. Vous rajoutez à cela les sponsors.

*naming : quand une marque achète le nom d’un stade, d’un championnat, comme la Ligue 1 Uber Eat chez les hommes ou dans un autre domaine la salle de concert de l’Accor Arena à Paris, anciennement Bercy.

Pourquoi les joueuses américaines ont eu gain de cause ? Pourquoi leur modèle est-il différent du football féminin en Europe ? 

Elles ont eu gain de cause après de nombreuses années de combat. Ce sont les meilleures du monde depuis bien longtemps, ce sont des stars comme Megan Rapinoe, le soccer féminin est roi aux USA, elles avaient toute la légitimité pour revendiquer de meilleurs salaires et équivalents à leurs homologues masculins vu qu’ils sont tous salariés de la fédération. 

Quel autre pays dans le monde pourrait décider de pratiquer l’equal pay ?

Aujourd’hui : aucun. Le système américain est une exception. 

“Avant tout, ce n’est pas l’égalité salariale qui est intéressante. C’est déjà les structures dans les clubs, le quotidien”, a réagi Wendie Renard. Un message qui fait écho aux récents propos de la Ballon d’Or Ada Hegerberg qui joue à l’OL et qui a tâclé la FFF pour son faible investissement en D1. Comment le football féminin en France peut-il se développer davantage ?

Wendie Renard a raison. Il faut d’abord améliorer les structures : les stades pour une meilleure visibilité, les centres d’entrainement, les centres de formation. Mettre en place encore plus de diplômes spécifiques. Le diplôme d’entraineur de foot féminin a été créé il y a peu par exemple. Faire en sorte que de plus en plus de clubs de D1 soient professionnels comme l’OL, le PSG, Bordeaux… Professionnaliser la D1 féminine dans son ensemble. À l’image de la Ligue 1 masculine. Et avoir des titres en sélection pour que la locomotive attire encore plus derrière elles de futures joueuses. 

La France est-elle en retard sur la place donnée aux femmes dans le football ou est-ce que c’est aussi une question de palmarès. Plus les joueuses auront de titres en France plus elles auront du poids auprès de la FFF ?

La France n’est pas particulièrement en retard. Beaucoup a été fait. C’est plutôt l’avance que la France avait il y a quelques années par rapport à des pays comme l’Angleterre, l’Espagne ou l’Italie qui a fondu. 

25 février 2022

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