Polémique autour des yeux bridés utilisés dans les publicités de marques en Chine

En occident comme en Chine, l’utilisation de certains stéréotypes fait l’objet de controverse de la part l’opinion publique locale.

À l’occasion du Nouvel An chinois 2021, Fendi avait reçu les foudres des internautes pour cette publicité montrant une mannequin aux yeux bridés
Crédit photo : Fendi

Récemment, Bottega Veneta a suscité la polémique en Chine pour avoir choisi des packagings de couleur jaune en l’honneur du Nouvel An chinois au lieu de celle du rouge, traditionnellement associée à la chance et à la prospérité. Un geste qui peut paraître anecdotique mais qui révèle les difficultés auxquelles font face les marques qui s’attaquent au marché chinois. En 2018, c’est la marque Dolce & Gabanna qui créait un bad buzz à cause d’une vidéo de promotion montrant une jeune femme chinoise tentant de manger une pizza avec des baguettes. Un ton humoristique qui n’a pas plu et qui a été perçu comme une domination colonialiste. Les baguettes qualifiées de “small-sticks”, apparaissaient minuscules face à l’énorme pizza. Une métaphore de domination selon le peuple chinois.

Dior, Fendi ou encore Lancôme s’étaient également retrouvés dans le collimateur de la Chine. La raison ? Des campagnes mettant en scène des stéréotypes occidentaux liés aux yeux bridés, comme l’énonce un rapport de Dao Nguyen. La fondatrice d’Essenzia, agence dédiée aux marques de cosmétiques, et spécialisée en anthropologie du goût et en stratégie créative pour gagner le cœur des chinois, le détaille dans le Journal du Luxe. Elle met en lumière les contradictions du marché chinois sur le secteur de la beauté, et que les marques peinent à assimiler, déclenchant les foudres des internautes chinois. Exemple : si du côté occidental la mode est à l’heure du foxy eyes (technique pour étirer le bord externe des yeux pour féminiser le regard), en Chine, les standards de beauté sont en faveur des grands yeux à double paupières, quitte à ce qu’ils ne soient pas le reflet de la réalité.

Cette campagne Mercedes initialement publiée sur le réseau social chinois Weibo a été supprimée en raison du make-up accentuant les yeux bridés
Crédit photo : Mercedes-Benz

Les campagnes occidentales dans le collimateur

Dans une de ses campagnes chinoises publiée sur le réseau social local Weibo, Mercedes-Benz, s’est fait attaquer pour avoir mis en avant une modèle maquillée d’un khôl noir avec une inclinaison exagérée des paupières. “Les Chinois savent comment maquiller ce type d’oeil…Ils n’adopteraient jamais spontanément ce type de maquillage excessif et très exagéré”, écrit Erica, étudiante de 21 ans. Des yeux bridés que l’on retrouve aussi chez Lancôme qui a enrôlé l’actrice Zhou Dong Yu, la rappeuse Liu Le Xie et la mannequin Xiao Wen Ju, toutes trois chinoises, et toutes trois présentant des yeux bridés. Les réactions sur les médias sociaux ne se sont pas fait attendre. “Pourquoi les marques occidentales choisissent toujours des modèles avec des mi mi yan (ndlr : qualification des yeux bridés en chinois)…Alors que clairement ce genre d’esthétique n’a pas la faveur du plus grand nombre ?”, pouvait-on lire sous un post du bloggeur Heyshisusua.

Gauche : Une publicité Lancôme qui fait polémique – Droite : Fendi accusé d’avoir accentué les yeux bridés de la mannequin dans cette publicité pour le Nouvel An chinois en 2021

Autre marque à se heurter aux contradictions chinoises, Fendi qui à l’occasion du Nouvel An chinois avait reçu de vives remarques après pourtant avoir reçu des félicitations. La cause du bad buzz : le choix des mannequins aux yeux très bridés. “Est-ce que ces stéréotypes d’hommes et femmes aux yeux bridés peuvent être changés ? Cette campagne chinoise ne peut avoir été produite en Asie ? Vous pensez vraiment que tous les Chinois sont ainsi?”, pouvait-on lire sur les réseaux sociaux.

Des stéréotypes seulement occidentaux vraiment ?

Si le cliché des yeux bridés (en est-il un ?) est souvent jugé inhérent à la sphère occidental, des marques ou artistes chinois sont également mis en cause par l’opinion publique pour ne pas avoir saisis les codes de beauté locaux. En 2020, à l’occasion de l’exposition Dior à Shanghai, l’oeuvre de la photographe Chen Man qui capturait une modèle asiatique tenant un sac, avait fait face à un flot de critiques. Le teint de peau de la mannequin avait été jugé trop foncé, là où le diktat est à la peau claire voire pâle. Une autre mannequin Cai Niang Niang en vedette d’une campagne de la marque locale de snacks Three Squirrels, avait elle aussi subi les mêmes remarques. “Il faudrait agrandir les yeux vers le haut, avoir une double paupière… pour mériter d’être Chinois ? Les petits yeux ont été expulsés de la nationalité chinoise…”, répondait-elle à ses détracteurs sur ses réseaux sociaux.

La modèle Cai Niang Niang dans la campagne Three Squirrels
Crédit photo : Three Squirrels

Pourquoi pointer du doigt cette forme de yeux qui, certes ne représente pas l’ensemble de la population chinoise, mais qui est une caractéristique physique des pays asiatiques ?“Sur les réseaux sociaux, une analogie récurrente est faite avec les Noirs longtemps représentés comme des cueilleurs de coton. De la même manière que s’opposer à cette image ne vise pas à ostraciser les cueilleurs de coton, mais à s’élever contre la mise en esclavage”, écrit Dao Nguyen dans son rapport. Pour l’experte, les yeux bridés sont perçus par la population chinoise comme un “stéréotypes réducteurs, voire racistes associés”. Dans ce contexte complexe et en perpétuelle évolution, elle préconise aux marques de mieux se familiariser avec les codes de beauté locaux afin de pouvoir s’adapter aux représentations et croyances qui en découlent. Ne pas aller au plus simple et au plus évident selon leurs perceptions, mais bien de “se donner les moyens de respecter et englober la diversité culturelle”, conclut-elle. Un exercice d’équilibriste qui semble difficile sur un fil en perpétuel mouvement.

Il y a quelques mois, la chirurgie esthétique des oreilles était la nouvelle tendance en Chine.

2 février 2022

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