« T’es pas une vraie arabe parce que t’es blanche »

À l’heure où la femme originaire du Maghreb ou du Moyen-Orient est en proie aux stéréotypes, nous avons interrogé neuf femmes arabes aux visages bien différents. Parce que comme l’européenne, la latina… la femme arabe n’a pas un seul visage.

À gauche, Linda d’origine marocaine, à droite, Belinda d’origine algérienne
Crédit photo : Pete Casta

« On n’arrive toujours pas à dire le mot « arabe », tant le terme continue d’effrayer : on disait « beurs » hier, « rebeus » désormais. La femme arabe fait peur, et la musulmane davantage encore. », confiait Farida Khelfa, actrice et mannequin franco-algérienne au Monde en avril 2022. Mais comment la femme arabe est-elle représentée dans la presse, le cinéma, la littérature mais aussi tout simplement par nous ? Car si la tendance est à la diversité et à l’inclusion, les arabes semblent toujours absents du devant de la scène. Ou alors voyons-nous l’arabe seulement sous l’allure d’une femme brune, typée, aux yeux foncés ? Ne la confondons nous pas maintenant avec parfois une africaine d’Afrique noire ou une femme des îles depuis qu’elle a laissé tomber le lissage brésilien pour accueillir ses boucles, se défaisant des clichés de la beauté maghrébine. À Paris, nous avons interrogé neuf jeunes femmes sur ce que cela représentait pour elles d’être une femme d’origine arabe ou maghrébine en 2022. Elles sont brunes, blondes, rousses, blanches, mates de peau ou noires. Elles ont les cheveux crépus ou lisses, les yeux foncés ou très clairs. Et entre préjugés et stéréotypes, passé colonial et regards des autres, elles se sont confiées sur l’impact de leurs origines sur leurs rapports sociaux.

Briser les clichés

Au croisement entre la rue Cavé et la rue Myrha dans le 18ème arrondissement, on rencontre Kyra, une jeune femme d’origine algérienne et italienne en poste depuis deux ans chez SOS Racisme.« Être femme arabe en France, c’est faire face à toutes les cases dans lesquelles on peut nous enfermer. », nous raconte-elle. Cheveux lisses et châtains clairs, teint de porcelaine, l’apparence de Kyra loin des stéréotypes de la femme mate de peau et brune, l’a amenée à faire face à beaucoup de clichés. « Quand je dis que je suis d’origine algérienne, on s’y attend pas du tout. Il y a beaucoup de jugements. On me dit « t’es pas une vraie arabe parce que t’es blanche, un peu blonde et en plus t’es chrétienne, ah ouais t’as rien d’une arabe » donc finalement c’est quoi être arabe ? Est-ce que pour être arabe il faut seulement être mate de peau, avoir les cheveux bouclés, musulmane et habiter en Algérie ? ». Avant elle Belinda, rousse et d’origine algérienne, pointait du doigts les mêmes remarques. « J’ai souvent cette étiquette là de « t’es pas vraiment une arabe parce que t’es rousse ». Il y a des personnes qui arrivent à comprendre les cheveux roux, qui savent qu’en Algérie et surtout en Kabylie il y a beaucoup de roux. Mais, des fois c’est pas facile. En ce moment je fais du modeling pour des robes de mariée traditionnelles arabes et c’est vrai qu’il y a beaucoup de personnes qui ne se doutent pas du tout que je suis algérienne. », confie t-elle.

À gauche Kyra algérienne et italienne, à droite Nada est égyptienne
Crédit photo : Hanadi Mostefa

L’un des clichés liés à l’apparence, le plus ancré en France, reste celui de la beurette. Ce terme dont le sens a glissé dans les années 2000, revêt tout un imaginaire notamment lié au sexe. La beurette serait la version arabe d’une sorte de Lolita, une fille sans cervelle, attirée par le sexe mais empêchée par les moeurs familiales, au teint orange et aux cheveux noirs. À la croisée entre racisme et sexisme, la popularisation de ce terme participe également à effacer le pluralisme des femmes arabes. Notamment physiquement. C’est ce que nous confie Linda. Cette française d’origine marocaine, plus précisément de Zagora, une ville située au sud du Maroc, affiche une peau foncée. « Il y a eu le porno, la beurette et tous ces clichés qui ont continué à marquer des idées dans la tête des gens. C’était une découverte pour eux de voir qu’il y avait plusieurs carnations au sein d’une même région arabe alors que c’est grave normal. C’est comme en France, dans le nord ils ne sont pas pareils que dans le sud. ». Si, elle a tout d’abord choisi les explications à l’énervement pour éduquer sur sa couleur de peau, elle le reconnaît : maintenant cela l’énerve. « Avant j’étais très tolérante, j’expliquais beaucoup le fait que oui, il y a des noirs au Maroc parce qu’il y a un désert, parce qu’il fait 45 degrés à l’ombre et que du coup les gens sont foncés. Mais maintenant je le suis beaucoup moins, je suis très vite agacée parce que j’ai la flemme d’éduquer les gens et que souvent ils ont en tête de l’image de la couleur beure pour un arabe », explique-t-elle.

Si Linda parle de couleur beure, Nada, égyptienne parle de pays du monde arabe plus tolérés que d’autres. « En France et à Paris à l’heure actuelle, ça peut vite être déceptif d’annoncer que t’es une femme arabe quand tu rencontres quelqu’un. », nous confie t-elle. « Certains pensent que je ne suis pas arabe mais d’origine subsaharienne et quand je leur annonce que je suis égyptienne, ils me disent que c’est un peu plus stylée qu’être maghrébine. Pourquoi ? Parce qu’il y en a moins en France et qu’ils n’arrivent pas à situer si l’Egypte c’est un pays d’Afrique, ou arabe ou du Moyen-Orient ».

L’impact de la colonisation

À gauche Selena est marocaine, de même pour Nassima
Crédit photo : Pete Casta – Hanadi Mostefa/ANCRÉ

L’image figée de la femme arabe brune et mate de peau « date aussi vachement de la colonisation », précise Linda. Alors que l’immigration post-coloniale en provenance du nord des pays du Maghreb vers la France a connu plusieurs vagues, celle du sud de ces mêmes pays est beaucoup moins fréquente.« Parce que les sahraouis (personnes vivant au Sahara occidental, ndlr) par exemple, ils n’émigrent pas beaucoup en France. Et même si c’est le cas, ils vont aller dans une ville entre eux, ils sont beaucoup allés dans le nord du pays pour les usines. Mais moi par exemple les trois quarts de ma famille ne sont pas à Paris. Tout le monde est au Maroc, les gens n’émigrent pas. ». Sur Instagram Linda tient un compte baptisé Noir Maghreb sur lequel elle publie des images datant des années 80 et tirées de documentaires de chaînes koweïtiennes. « On voit que la population est assez foncée, elle est mixte mais il y a beaucoup de gens foncés de peau et c’est normal. C’est des pays où il fait extrêmement chaud donc la carnation se fonce. »

Mayra, algérienne dit subir aucun racisme en raison de sa peau blanche et de ses cheveux blonds.
Crédit photo : Pete Casta/ANCRÉ

Être fière avant tout

Celya est franco-algérienne. Quand on l’approche sur Instagram elle ne se sent tout d’abord pas légitime. « J’adorerai mais pour être honnête : mon père seulement est kabyle, ma mère est française. Je ne suis jamais allée en Algérie et je n’ai pas vraiment été élevée dans la culture arabe. Je ne sais pas si c’est vraiment ma place ». Le syndrome de la fausse arabe, de l’imposteur ou la simple question de « qui je suis ? qui je dois être ? », existe peu importe le métissage. Quelques semaines plus tard, en lui expliquant que c’est précisément ce sentiment qui nous intéresse, on la rencontre. « Je dirais qu’être une femme arabe en 2022 c’est juste être là. La plupart de nos parents sont nés en France ou nous même on est nés en France donc on n’a plus à s’excuser de trouver sa place ou à la chercher. On n’a plus à justifier une position différente, qui est riche de par qui on est et qui fait notre identité unique à chacune comme tout être humain. Mais on n’a plus à s’excuser. Pour moi, il n’y a plus de question d’intégration, on doit prendre la place qu’on mérite. », revendique-t-elle finalement. Celya est là. Nous sommes là. Vous êtes là.

À gauche Inès est franco-algérienne , à droite Celya est franco-kabyle
Crédit photo : Pete Casta – Hanadi Mostefa/ANCRÉ

Derrière ces multiples questionnements se trouvent également une force et de la fierté comme le glisse Ines, franco-algérienne, qui s’inspire de ce que sa mère lui répétait quant à son patrimoine culturel. « Elle me disait qu’il fallait être fière de ses origines et je ne comprenais pas pourquoi. Aujourd’hui je comprends mieux parce que c’est politique et c’est même plus que ça, c’est révolutionnaire. Je ne vois pas ça comme quelque chose qui m’handicape dans la société. C’est vraiment une force. » confie la nail artiste. Et si au sein de la famille l’empowerment est important, comment affronte t-on l’extérieur ?

« Comment fait-on aujourd’hui pour sortir des étiquettes qu’on essaie tout le temps de nous coller pour s’assumer en tant que femme arabe dans toute la multiplicité que ce que cela peut être ? », interroge Kyra à l’issue de notre entretien. La réponse, après ces heures de confidence, semble tenir en trois mots. Être forte, puissante et fière.

13 octobre 2022

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