La dernière campagne d’EvasHair rouvre la blessure d’un acte humiliant : arracher la perruque des femmes noires

Il y a un mois, une publicité affichée dans le métro a indigné les internautes. L’objet ? Une femme qui arrache la perruque d’une autre femme. L’auteure ? EvasHair, l’une des grandes marques françaises sur le marché du cheveu texturé, qui, alors qu’elle souhaitait célébrer le cheveux naturel, a déçu toute une partie de sa communauté. 

Crédit photo : Capture d’écran EvasHair

Une pub qui passe mal. Le 22 octobre dernier, sur les réseaux sociaux, les vidéos en réaction à une campagne d’affichage d’EvasHair, marque fondée par Eva Biassou-Andre et son mari Reginald Andre en 2019, se multiplient. Pas pour en faire l’éloge, non. Mais au contraire, pour exprimer leur amertume face à ce que les internautes estiment être une forme de trahison. Sur l’affiche XXL installée dans le metro parisien, on voit une femme se faire arracher la perruque par la fondatrice elle-même, avec, à côté un slogan : “Avec EvasHair, vous avez le choix.” 

Une communication qui tombe à côté

Pourtant, au vu du visuel, le message semble s’éloigner de l’idée de célébrer la diversité des choix. Plusieurs internautes y voient plutôt la mise en scène d’une forme de comparaison entre femmes, ravivant malgré elle un stéréotype tenace : celui selon lequel les femmes noires porteraient des perruques par manque d’assurance vis-à-vis de leurs cheveux naturels — une idée erronée. La mannequin coiffée d’une perruque adopte une posture évoquant la surprise, tandis qu’Eva Biassou apparaît plus affirmée, postiche en main. Une composition qui peut laisser penser qu’un choix serait présenté comme plus légitime qu’un autre.

“Il y a un double message : côté marque, une promesse de libération, d’indépendance face aux diktats capillaires, et de l’autre, une banalisation de la compétition entre femmes noires, et surtout, un cliché, un stéréotype véhiculé par cette campagne diffusée dans les métros parisiens, donc auprès du grand public”, détaille Lana Careja, fondatrice de Leaks Media, un compte Instagram analysant les contenus des marques.

La question épineuse de la perruque

Cette mise en scène a surtout marqué pour son incohérence avec le message véhiculé. Alors que le texte nous parle de choix, l’image, elle, nous montre une femme qui subit. Dans une vidéo d’excuses postée sur son compte Instagram, Eva Biassou-Andre se défend pourtant d’avoir voulu dépeindre les femmes comme des rivales et assure que cette “ campagne n’a jamais eu pour but d’opposer, mais de célébrer le choix, la liberté et la pluralité des femmes aux cheveux afros : qu’elles portent leurs cheveux au naturels, tressés, sous crochet braids, sous tissage, sous perruque, ou sous toute autre forme ». Mais si le message de cette campagne voulait à l’origine rappeler qu’il ne fallait pas considérer la perruque comme seule norme de beauté, il ravive au final un débat houleux autour de la perruque, qui, au-delà d’un accessoire de beauté, nourrit tout un imaginaire politique.

Crédit photo : Waeve

Cela nous a d’ailleurs rappelé une remarque entendue lors d’un shooting : en coulisses, un homme noir s’adressait à une maquilleuse noire en lui demandant pourquoi elle ne portait pas ses cheveux naturels, ajoutant qu’elle cherchait peut-être, sans s’en rendre compte, à se rapprocher des standards de beauté blancs, conséquence possible de longues années de colonisation. Porter une perruque, serait-ce nécessairement l’aveu d’une capitulation face aux normes de beauté blanches ?

Suite à cet évènement, nous avions posé la question à plusieurs femmes. Morgane, l’une d’entre elle, nous avait répondu : « Trop souvent en tant que femmes noires on nous a dit que nous n’avions pas le droit de pouvoir avoir les cheveux lisses, blonds, de n’importe quelles textures… On nous a imposé beaucoup de diktats dans la société. Pour moi c’est très important de pouvoir prouver, que peu importe ce que l’on porte, cheveux bouclés, lisses, ou crépus, on a simplement le droit de faire ce que l’on veut. » Berlange, elle, précise : « J’ai confiance en mes cheveux naturels, ce n’est pas parce que je porte parfois des perruques que je ne les aime pas. C’est finalement les autres qui projettent sur toi cette idée que tu n’assumes pas ta texture de cheveux ».

Crédit photo : Samuel Fabia pour ANCRÉ

Entre vidéos virales humiliantes et racisme décomplexé

Partant du principe que la femme noire qui porte une perruque n’assume pas ce qu’il y a dessous, la lui retirer (de force, qui plus est), devient alors un acte d’humiliation. Il suffit de se balader sur les réseaux : les challenges TikTok et autres vidéos virales mettant en scène des femmes se faisant arracher leur PP ne se comptent plus. Au point, de voir apparaître en 2017, après la publication d’une vidéo montrant un jeune homme arrachant la perruque d’une femme lors d’une pool party, le hashtag #securethewig2017.

En 2023, c’est une vidéo de la chanteuse Lizzy Ashliegh se faisant voler sa perruque par un avocat à New-York qui avait fait grand bruit. Filmant elle-même la scène, la jeune femme interroge son bourreau : « Pourquoi m’avez-vous enlevé ma perruque ? Pourquoi avez-vous fait ça ? Qu’est-ce qui vous fait croire que c’est acceptable ? ». L’homme, lui, est hilare. Pour Toya Sharee, journaliste chez Madame Noire, « cet acte est dégradant, irrespectueux et embarrassant ». Elle questionne : « Ces mêmes personnes qui s’en amusent n’oseraient jamais arracher les baskets d’un homme pour les jeter dans la piscine et se moquer gentiment, ni voler le sac Birkin d’une riche mondaine pour le faire tournoyer comme un ballon de plage. Pourquoi l’apparence des femmes noires semble-t-elle toujours être une cible facile ? »

C’est d’ailleurs l’argument que la candidate de Frenchie Shore, Yamina, a choisi d’exploiter lors d’une altercation avec Kara, une autre candidate, lors de la saison 2, en lui disant qu’elle allait lui « arracher la perruque pour mettre son crâne à l’air ». Si la première s’est de nombreuses fois défendue de racisme, son réflexe interroge : dévoiler « ce qui se cache » sous la perruque d’une femme noire, ne serait-ce pas une façon de montrer que sa beauté n’est qu’artificielle ? D’en faire une femme moins bien que les autres ?

Nier une part de l’intimité

Un peu comme lorsqu’il s’agit du voile, ce qui est dissimulé semble rendre les gens fous d’une curiosité presque perverse, les rendant déterminés à révéler le caché, à exposer les femmes, malgré elles. Pour Emma Dabiri, historienne, présentatrice, et auteure de « Don’t touch my hair », « C’est comme une fascination, voire une obsession étrange, pour la négritude. Les cheveux sont l’une des choses qui diffèrent le plus. C’est aussi lié à un sentiment de droit, à cette idée qu’on a accès au corps de quelqu’un ». Arracher la perruque d’une femme, c’est la priver de son droit à l’intimité, voire à la pudeur, sous prétexte que l’on révèlerait une tromperie en lui arrachant. « Une personne portant une perruque et dissimulant une chevelure de rêve sous une perruque peut mettre mal à l’aise, poursuit Ebere Nweze, Combien de méchants de Scooby-Doo se sont fait arracher leur perruque lorsque Mystery Incorporated a révélé leur véritable identité ? »

Dès lors, la femme qui porte une perruque apparaît comme une menteuse, et lui enlever de force ne relèverait alors plus du viol d’intimité mais s’apparenterait au contraire, à un geste héroïque pour certains conservateurs. Car si le phénomène touche majoritairement les femmes noires, rappelons que lors des élections opposant Donald Trump à Hilary Clinton, le camp républicain avait dépensé une énergie folle à convaincre que la Démocrate portait des perruques. Et si l’on ne peut pas faire confiance à l’ex-Première-Dame pour nous montrer ses vrais cheveux, comment pourrait-on lui faire confiance pour diriger un pays ?

Se réapproprier le geste

Longtemps exposées malgré elles, les femmes noires revendiquent aujourd’hui le geste de retirer leur perruque en public, transformant cet acte en symbole de réappropriation et de puissance. Comment ne pas penser au personnage d’Annelise Keating qui, dans la saison 1 de la série « Murder », se prépare à aller se coucher, en se démaquillant et en retirant sa perruque, dans une scène devenue aujourd’hui mythique ? Pour Phoebe Robinson, journaliste pour The Cut, il s’agit même « du plus grand moment de l’histoire de la télévision pour les femmes noires ».

« Cette scène était tellement réelle, tellement authentique, tellement brute, tellement tout simplement, parce que c’est à ça que ressemblent beaucoup de femmes noires lorsqu’elles ne sont pas en public, détaille l’auteure de « YOU CAN’T TOUCH MY HAIR: And Other Things I Still Have to Explain », Montrer cela à l’Amérique était un événement majeur. Non seulement cela a montré à quoi ressemble la préparation beauté pour de nombreuses femmes noires, mais cela a aussi permis à la plupart, sinon à la totalité, des personnes non noires d’entrer dans un monde qui leur était auparavant interdit. »

Du côté de la France, plus récemment, c’est Safiétou Kabengele, candidate de Miss Grand International 2024, qui a osé retirer sa perruque sur scène. « Pour moi il était hors de question de cacher mon crâne rasé », a-t-elle confié à Femme Actuelle. Et plutôt que de se laisser dicter ses choix capillaires par un comité, la jeune femme a pris le pouvoir, est arrivée sur le podium avec une perruque et l’a ôtée, en marchant, comme le symbole de la fin des diktats. Et c’est ce choix qu’aurait du célébrer EvasHair. Celui d’une femme qui décide, elle-même, de retirer sa perruque. Ou de la conserver.

20 novembre 2025

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