Longtemps boudées dans les milieux sportifs, les femmes semblent aujourd’hui plus bankables que jamais. Jusqu’à intéresser les marques qui se plient en quatre pour leur offrir chaussures à leurs pieds. Et ainsi permettre aux sportives d’être bien dans leurs baskets… pour de vrai cette fois.
Est-ce l’implication de Netflix dans la diffusion de la prochaine Coupe du monde de football féminine qui a donné un coup de pied (sans mauvais jeu de mots) aux fesses des équipementiers ? Ignorées par les sponsors durant des années, les footballeuses féminines pourraient bien avoir droit aux mêmes traitements que les M’Bappé et autres Ronaldo de ce monde, avec des crampons imaginés spécialement pour elles. C’est notamment le cas de Rose Lavelle, joueuse de Manchester City qui, en 2021, s’est affichée avec une paire de crampons inédite signée New Balance, conçue pour l’Américaine, rien que pour l’Américaine. Une situation encore assez inhabituelle pour être soulignée qui tend à le devenir de moins en moins, les marques étant de plus en plus nombreuses à (enfin) chérir les pieds des sportives.
Révolution marketing ou simple rattrapage ?
Car oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a peu, les crampons pour femmes n’existaient pas. Enfin, il était toujours possible d’acheter une paire un peu rose chez Décathlon, mais techniquement, celle-ci n’aurait été qu’une réplique d’un modèle pour homme. Il faudra attendre 2016 et le lancement des crampons ACE et X d’adidas pour, enfin, avoir sur le marché une paire 100% féminine. Et ça, c’est un problème non seulement sexiste, mais de santé. “Les chaussures de foot féminines sont juste des chaussures masculines plus petites, elles ne sont pas pensées spécialement pour elles”, explique le Dr Craig Rosenbloom, médecin du sport de haut niveau pour la Football Association et le Tottenham Hotspur Football Club féminin pour la revue Sports Engineering.
Il est rejoint par Katrine Okholm Kryger spécialiste de la biomécanique du sport et du football féminin : “La forme et le volume des pieds des joueuses est différente de celle des joueurs. Un autre critère important, c’est le point de courbure du pied. » En effet, en plus d’adhérer à la pelouse, les crampons sont conçus pour pouvoir se plier à un endroit précis à la base des orteils. Or, “le ratio entre orteils et pied est différent entre les hommes et les femmes”. Dès lors, ne pas prendre en compte la physiologie d’une joueuse dans la conception de la chaussure induit non seulement une baisse de performance, mais encourage également le risque de blessure. En déclinant des modèles masculins pour les femmes, les marques ne prennent également pas en compte le poids et la différence de musculature, rendant la pratique sportive plus difficile : “Techniquement, la traction à appliquer pour extraire ces crampons du sol sera plus forte pour les joueuses que les joueurs,” conclut la chercheuse.
Pas que le foot concerné
Une problématique qui concerne tous les sports, à commencer par le tennis, rare sport où les joueuses féminines jouissent d’une popularité égale à celle de leurs homologues masculins. Pourtant, en termes d’équipement, les différences sont bien là. C’est justement cette disparité qui sert de point de départ à la marque spécialisée Wilson Sporting Goods Co, qui a lancé le mois dernier l’Intrigue™ Tour, “la première chaussure de tennis haute performance conçue exclusivement pour les femmes”. “Les pieds des femmes sont différents de ceux des hommes. Notre équipe a passé autant de temps à créer un chausson qui s’adapte à leurs pieds, tout en leur apportant sécurité et confiance sur le court, détaille Shivam Bhan, Sr. Directeur Footwear chez Wilson, Après avoir développé la forme, nous avons conçu la chaussure de l’intérieur vers l’extérieur, en commençant par les matériaux les plus proches du pied”.
Jamais mieux servie que par soi-même ?
Également consciente de cette inégalité, l’Australienne Laura Youngson lance en 2020 IDA Sports, une marque spécialisée dans le crampon pour femme. “L’industrie nous a ignorés pendant des décennies, alors nous avons pris position. Mais nous n’avons pas agi seuls. Des podologues et kinésithérapeutes aux joueurs amateurs et professionnels, nous avons créé IDA pour vous et en pensant à vous », indique le site web de la marque, qui s’est immédiatement positionné comme un leader dans le domaine. Elle même joueuse amateure, Laura Youngson s’est rapidement rendue compte du conditionnement lié à l’achat d’une paire de chaussure. “J’ai fait de la danse classique, c’était mon premier sport. Acheter des chaussons de danse, c’est vraiment spécial, car on les ajuste et ils sont faits sur mesure. Avec les chaussures de foot, c’était tout le contraire. En magasin, il y a des rayons homme et enfant, mais rien pour femme. Je suis une femme et acheter des chaussures pour enfant ne me correspond pas, raconte-t-elle au média Booth Hype, J’étais frustrée par les inégalités qui existent dans ce sport. Je ne voyais aucune représentation féminine. Et lorsqu’il y en a, le niveau de soutien est complètement différent, notamment en ce qui concerne les salaires. Certaines footballeuses doivent cumuler deux ou trois emplois pour financer leur carrière.”
Et oui. Au-delà de la santé des joueuses, leur exclusion par les équipementiers indique que, même à un haut niveau, elles ne seront jamais considérées comme des professionnelles.
C’est d’ailleurs l’expérience vécue par l’athlète américaine Allyson Felix qui, en 2021, a transformé une discrimination sexiste subie par Nike en une véritable opportunité commerciale. Menacée par son sponsor au moment de sa grossesse de voir ses gains réduits de 70%, la championne de course quitte la marque à la virgule en 2018 et lance Saysh, sa propre ligne de chaussures de sport. Refusant de faire la promotion d’une marque qu’elle considère alors sexiste, elle pense la sienne comme “une alternative aux entreprises orientées vers les hommes qui dominent le monde du sport” et conçoit sa première paire adaptée à l’anatomie particulière du pied féminin en 2021, vendue pour 150 dollars. Puis remporte deux médailles lors des JO de Tokyo… baskets Saysh aux pieds.
Une chaussure à soi : les femmes ont désormais leur paire dite signature
Heureusement, les marques semblent avoir compris le message. Si Rose Lavelle est l’un des premiers exemples d’athlètes féminines à avoir une paire à elle comme Neymar avec sa Puma Future Z 1.1 Creativity, elle n’est aujourd’hui plus la seule à susciter l’intérêt des gros bonnets. Longtemps réservé aux hommes, ce “privilège” d’avoir un modèle signature se démocratise aussi du côté des femmes, qui portent fièrement leurs chaussures, mais qui participent également à leur élaboration. “Lesson learned” pour Nike qui, en février dernier, dévoilait la “A’One”, un modèle conçu pour la basketteuse américaine A’ja Wilson (triple MVP et double championne WNBA), fruit de deux ans de travail.
“Ma chaussure signature est parfaite pour moi. Pensée pour mon jeu et mon style, elle est conçue pour motiver la nouvelle génération à se surpasser,” s’est félicitée le pivot des Las Vegas Aces lors du lancement. “Avec A’ja, la nouvelle génération a un modèle à suivre, une source d’inspiration, affirme Ben Nethongkome, Lead Designer de la A’One. Avec la Nike A’One, A’ja encourage les filles en leur rappelant dès qu’elles enfilent leurs chaussures qu’un jour, elles pourront lui ressembler.”
La marque n’en est pas à son coup d’essai : en 2023, la virgule collaborait avec la basketteuse Sabrina Ionescu pour la Sabrina 1, récemment rééditée en Sabrina 2, devenue même la paire la plus portée en NBA l’année dernière. Les joueurs s’étant appropriés cette paire féminine. Mais en plus de créer des paires uniques, l’équipementier s’est également appuyé sur la Ballon d’Or Megan Rapinoe ou la tenniswoman Naomi Osaka pour redesigner certains de ses modèles emblématiques, célébrant la carrière de ces sportives.
En 2024, c’était la joueuse allemande Laura Freigang qui devenait l’ambassadrice allemande de la Magnetico Elite d’Under Armour, un crampon spécialement conçu pour les femmes. Revenant sur cette collaboration pour Foot Pack, elle avoue avoir apprécié “avoir son mot à dire et d’être écouté sur la conception de la chaussure”. “Je pense qu’en général, il est important que les athlètes se sentent à l’aise dans leurs équipements et cela vaut pour les hommes comme pour les femmes. Même si dans le passé, les athlètes masculins ont été plus favorisés à ce niveau, je trouve qu’aujourd’hui les marques et bien sûr Under Armor font en sorte de réduire cette inégalité.” Quitte à la voir complètement disparaître après l’Euro de football féminin 2025 ?
11 avril 2025