Botox partout, dermato nulle part ?

Alors que le nombre de cancers de la peau augmente, les dermatologues se font rares. Beaucoup privilégient la prise de rendez-vous pour les injections de botox, au détriment de consultations classiques.

Crédit photo : drjjwendel

“En dix ans, le nombre de spécialistes en activité dans l’Hexagone a chuté de 19 %, passant de 3 546 à 2 880”, nous apprend un article du Monde. Pourtant, la spécialité n’a jamais été aussi visible. Entre injections en tout genre et détatouages, les prestations dermatologiques fleurissent sur les réseaux sociaux. Malgré cela, lorsqu’il s’agit de se faire dépister ou de traiter une pathologie cutanée, les rendez-vous se font rares. “On est en attente depuis six mois pour avoir un rendez-vous”, se désole ainsi Jennifer, une patiente, dans les colonnes de France Info

Et elle n’est pas la seule. D’après une étude de l’Ifop, il faut en moyenne plus de 3 mois pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue (104 jours en 2023 contre 41 jours en 2012). Dès lors, 73 % des Français jugent difficile l’accès aux soins assurés par les dermatologues quand la moitié des patients (46%) ont renoncé à faire traiter leurs problèmes de peau chez un dermatologue. Un chiffre qui s’élève à 90 % chez les personnes atteintes d’eczéma sévère. Néamoins, comme le précise Le Monde, alors que les créneaux pour des consultations médicales se font rares, un même praticien peut proposer des disponibilités dans la semaine pour une injection de Botox sur la plateforme Doctolib. “Pourtant, la dermatologie esthétique représente moins de 10 % de l’activité totale des dermatologues”, s’étonne Luc Sulimovic, président du Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV), dans le même article. Mais rapporte bien plus.

Une histoire de gros sous ? 

D’après un article du média suisse 24heures, “le marché mondial de l’esthétique médicale, évalué actuellement à 20,5 milliards de francs (21,8 milliards d’euros), devrait croître d’environ 7% par an jusqu’en 2029, selon des prévisions du secteur”. En effet, selon un bilan publié à l’occasion du congrès mondial IMCAS, en 2024, l’industrie aurait connu une année record, avec une croissance de 8% pour les marchés de la dermatologie, de la chirurgie et de la médecine esthétiques. Et ça rapporte gros. L’intéret n’a jamais été aussi fort et s’accompagne d’une croissance du chiffre d’affaires de ceux qui la pratique (16% en moyenne, d’après une étude de Boston Consulting Group citée par 24heures). Rappelons qu’en plus de la chute du nombre de dermatologue, 40 % des praticiens encore en activité ont plus de 55 ans et s’approchent donc de la retraite. Une route toute tracée vers la pénurie qui se ressent particulièrement dans l’Ariège, l’Indre, la Lozère et la Nièvre, des départements qui n’ont plus aucun dermatologues sur leurs territoires. 

Crédit photo : Dr Netter Dermatologue

Alors quand on sait que les injections d’acide hyaluronique ou de Botox ne sont pas remboursées par l’Assurance-maladie et peuvent rapporter jusqu’à 10 fois plus qu’une consultation (comptez entre 250 et 350 euros pour une séance de Botox contre 31,50 euros pour une consultation de dermatologie au tarif de remboursement en vigueur à la Sécurité sociale), sommes-nous vraiment étonnés du manque de disponibilité pour se faire poser un diagnostic dermatologique ? “En France, aucun texte n’oblige les médecins à répondre à des objectifs de santé, ce qui est un énorme problème en soi”, explique Jean-Marcel Mourgues, président de la section santé publique de l’ordre des médecins au Parisien, et se dit “choqué” que la médecine soit “délaissée au profit d’actes esthétiques”. D’après une enquête déclarative effectuée auprès de 510 dermatologues en février 2024, plus de la moitié (66 %) du peu de praticiens encore en exercice proposent des actes esthétiques dans un cadre libéral. “Franchement, c’est difficile de résister à la tentation, dans cet environnement commercial, explique Antoine, un jeune dermatologue interrogé par Le Point, L’esthétique rapporte tellement en peu de temps. On n’a pas tous la vocation à ne faire que du psoriasis ou de l’acné toute la journée. Les gens veulent être beaux, où est le problème ?” .

L’IA à la rescousse ?

Dès lors, face aux difficultés pour les malades de se faire soigner la peau, ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers des outils alternatifs. Le principal ? L’intelligence artificielle. De plus en plus nombreuses sur les chatbots, les demandes de diagnostics dermatologiques pallient au manque de disponibilité des médecins. Un constat qui alerte La Société Française de Dermatologie (SFD) qui a porté 7 recommandations pour un usage encadré de l’IA, avec un objectif clair : protéger les patients et garantir un accès à un vrai parcours de soin dermatologique. Car ne se baser que sur ChatGPT pour traiter sa peau n’est pas sans danger. “Le risque probable est d’utiliser un produit inapproprié, susceptible d’irriter la peau, mais une préoccupation plus importante est d’utiliser l’IA pour diagnostiquer des affections cutanées qui devraient être évaluées médicalement, explique le Dre Katie Beleznay pour Vogue Business, Je pense que l’IA peut être utile aux côtés des dermatologues pour aider les patients en matière d’information générale, en particulier ceux qui ont un accès limité à un dermatologue. Mais cela ne remplace pas un avis médical et toute personne ayant des problèmes médicaux potentiels liés à la santé de sa peau doit consulter un professionnel de la santé approprié.”

Crédit photo : SkinMed

Dès lors, des médecins, bien conscients du problème, tentent de marcher main dans la main avec les nouveaux outils technologiques pour permettre un meilleur accompagnement médical à des patients, tout en évitant les dérives. Dans un article de Sud Ouest, Audrey Gonzalez, pharmacienne, explique s’être tournée vers la start-up SkinMed pour accompagner des malades dans le Périgord, véritable désert médical. Son officine est aujourd’hui équipée d’un dermatoscope, fixé à un smartphone qui, grâce à un algorithme, peut détecter une lésion cutanée suspecte en cinq minutes et indique le niveau d’urgence aux patients via un code couleur ultra-simple à comprendre. Car au-delà des plaques d’eczéma très inconfortables, le risque du cancer est bel et bien présent, touchant de plus en plus de jeunes.

“Le mélanome est un cancer grave qui, en 2023, a touché 17 922 personnes et causé 1 920 décès en France, explique le Pr Laurent Mortier, toujours à Sud Ouest, C’est un cancer qui touche particulièrement les jeunes adultes, ce qui le rend encore plus préoccupant. Plus la tumeur est détectée tardivement, plus le risque de métastases augmente. Ces métastases peuvent atteindre les ganglions, puis des organes comme les poumons, le cerveau ou le foie. Pris en charge rapidement, le patient a plus de 90 % de chances de survie à 5 ans. En revanche, si la maladie progresse, ces chances tombent à 50 % et nécessitent des traitements lourds. Ce décalage de quelques mois peut donc avoir des conséquences dramatiques.” Dès lors, ces nouveaux outils peuvent-ils permettre aux médecins de détecter le niveau d’urgence d’une demande de consultation d’un patient et donc renouer avec leur corps de métier, sans ignorer la mise en danger au profit des billets ?

10 décembre 2025

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