Présent sur YouTube depuis 10 ans, Sam Zirah s’est d’abord fait connaître pour ses interviews de stars de télé-réalité avant d’élargir son champ d’invités aux politiques, toujours encouragés à parler “en toute intimité” dans son décor rose bonbon. Un virage à 360° finalement pas si étonnant.
Crédit photo : Capture d’écran chaîne YouTube de Sam Zirah
“La télé-réalité, c’est politique. Et la politique, c’est de la télé-réalité,” affirme Sam Zirah, YouTubeur aux 2 millions d’abonnés, alors qu’il nous reçoit sur le fameux canapé d’AJA, son talk show hebdomadaire. Longtemps délaissé par les médias traditionnels, le genre télévisuel est celui du mépris, celui qui ne vaut pas la peine que l’on s’y intéresse, cette zone de non-droit qui s’exerce dans notre poste de télévision sans que l’on y prête attention. Une grosse erreur, selon Sam Zirah, qui décide, en 2015, d’accueillir la parole des stars des Anges de la télé-réalité et autres Secret Story sur sa chaîne, afin de “recevoir ces candidats de télé-réalité dans un lieu de respect, dans un lieu d’écoute, d’empathie, où ils pourraient être entendus”. Une première. Dans ses interviews, Sam Zirah se présente d’abord en costume-cravate et vouvoie ses invités. Une façon pour lui de les prendre au sérieux, alors que personne ne semble le faire. “Gamin, j’étais moqué, critiqué, jugé, insulté, frappé… Et je crois, avec le recul, que je me suis un peu identifié. J’ai fait une sorte de transfert. Je voulais leur apporter la considération qu’ils n’avaient pas ailleurs”.
Très vite, ses entretiens s’éloignent du sensationnel des autres médias pour devenir sociaux, voire, déjà, politiques. On y entend des histoires de vie tragique, des récits de violences sexuelles, sexistes ou racistes. Les candidats y confient leurs dépendances aux substances, à l’affection, à la chirurgie. Leurs problèmes familiaux. Les coups bas des prod’ ou des autres candidats. Bref, on découvre le visage d’une France que personne ne veut voir. Et dès cet instant là, les choses commencent à devenir sérieuses.
L’interview qui change tout
“J’ai toujours été surpris par le manque d’intérêt des médias institutionnels envers l’univers de la télé-réalité et aux différentes mécaniques sociales que l’on pouvait y voir. Ce véritable mépris m’a toujours choqué. Mais je pense que j’en ai vraiment pris conscience en 2017, lorsque j’ai accompagné la parole de Nathanya Sonia dans une interview qui a bouleversé complètement le reste de ma carrière,” se souvient Sam Zirah. Dans cet entretien, la jeune candidate des Anges de la télé-réalité se laisse aller à des révélations concernant une agression sexuelle qu’elle dit avoir subi de la part d’un autre candidat, Illan Castronovo. Et déclenche, malgré elle, un raz-de-marée. “Je constatais déjà énormément de violences sexistes et sexuelles, raconte Sam Zirah, Mais là, c’était la première fois que j’avais une candidate qui me parlait avec autant de détails des accusations qu’elle portait sur d’autres candidats. Je ne sais même pas si elle, à ce moment-là, avait conscience que c’était des accusations d’agression sexuelle qu’elle faisait. Elle me racontait juste son vécu. Avant cette interview, on parlait de polémique. Pas d’agression sexuelle. Et moi, je me suis battu pour que l’on donne le même droit à la parole à des filles de télé-réalité qu’à des actrices reconnues.”
Cette bascule donnera lieu à un livre, “Pour Devenir qui je suis”, sorti en 2019. Pour sa rédaction, l’intervieweur commence à recenser le manque de diversité dans les programmes. “Ça m’avait pris des jours entiers, j’avais fait tous les comptages depuis la première saison des Marseillais, des Ch’tis, des Anges. Les chiffres étaient ridicules : il n’y avait aucune diversité, qu’elles soient ethniques, sexuelles, de genre etc. Et encore, le peu que l’on pouvait voir, soit on stéréotypait les gens, soit on leur demandait de rentrer dans un moule, en se lissant les cheveux quand une candidate avait les cheveux frisés par exemple.” De YouTubeur timide, Sam Zirah devient alors lanceur d’alerte. Et le premier à poser un discours politique sur un genre que l’on n’avait jusqu’alors jamais considéré comme tel. “Parler des inégalités femmes-hommes, c’est de la politique. Parler de la question du genre, c’est de la politique. Parler du cyberharcèlement, du harcèlement, c’est de la politique. La télé-réalité, comme n’importe quel sujet, doit être vue, analysée, décortiquée, et ce, avec un peu de sérieux”, rappelle notre interlocuteur du jour. En lançant le premier épisode d’AJA en septembre 2021, Sam Zirah s’en prend alors aux vices de l’influence, dénonce les agissements condamnables des candidats ou de leurs agences, mais aussi leurs “placements déplacés”.
De la télé-réalité à la politique
L’occasion pour lui de recevoir sur son plateau le député socialiste Arthur Delaporte, porteur de la “loi-influenceurs”. “C’était la tout première personnalité politique que j’ai reçue en fin 2021, début 2022, se souvient-il, Il avait repris des phrases de Maeva Ghennam dans son discours à l’Assemblée. Ça avait fait rire les députés, mais aujourd’hui, grâce à cette prise de parole du député socialiste Arthur Delaporte, il y a une loi. Et même si des dérives existent encore, cette loi, elle a calmé les choses.” De quoi donner l’idée à Sam Zirah d’inviter des politiques à venir se confier, comme le font les candidats de télé-réalité ?
Pas tout à fait. “Je me disais que je ferai ça à 50 ou 60 ans, parce que dans ma tête, je me disais que c’était un truc de vieux. Alors que non, pas du tout, se remémore-t-il, Et je suis très content d’avoir fait tomber cette fausse croyance. En tout cas, c’était un truc qui me trottait dans la tête depuis des années, parce que quand j’étais devant la télé avec mon copain et que je voyais les politiques agir, souvent, je me disais : “mais attends, en fait, c’est des candidats de télé-réalité”. C’est comme ça que je l’ai analysé, c’est comme ça que je l’ai perçu. Je trouvais qu’au niveau de la forme, ils avaient les mêmes codes. La punchline, les buzz, ils se prennent la tête, ils font limite des front-contre-front, et c’est même mis en scène dans les médias.”
Ce cap, c’est le journaliste politique et fondateur de la revue Regards Pablo Pillaud Vivien qui le lui fait franchir, alors que Sam Zirah l’interviewe avant de lui proposer une place de chroniqueur sur AJA. “C’est lui qui m’a fait prendre conscience de la dimension politique du sujet de la télé-réalité. Je n’en avais pas vraiment pleinement conscience avant”. La première du chroniqueur surprend et il compare le couple Nabilla-Thomas à Louis XVI et Marie-Antoinette. “J’avais trouvé ça génial. Et ça a confirmé ce que je pensais : la télé-réalité et la politique sont compatibles à 100%.”
Fort de ce constat, Sam Zirah lance dans la foulée deux formats : Chez Zirah, où il reçoit des personnalités comme Sandrine Rousseau, Sebastien Dologu ou encore Yaël Braun-Pivet. Et Informel, un talk politique où des personnalités de différents bords politiques échangent sur des sujets d’actualité. Des capsules qui sont lancées sur la même chaîne qui fait le succès du YouTubeur depuis 10 ans, et qui vivent aux côtés d’interviews du couple Tanti ou de Milla Jasmine. “Ça suscite énormément de critiques me concernant, parce que je crois qu’aux yeux de certains, c’est juste pas possible d’avoir un influenceur TikTok le mardi et d’avoir la présidente de l’Assemblée nationale le lundi. Pour moi, les deux mondes peuvent complètement se marier, ils sont complémentaires. On est trop habitués à se dire “OK, je vais aller consommer de la politique sur cette chaîne, je vais aller faire mes cours de sport sur celle-là, je vais aller faire de la cuisine avec cet influenceur”. Pourquoi ne pourrait-on pas, sur une seule et même chaîne, avoir différentes couleurs ?”
Justement sur sa chaîne, les couleurs, elles, sont nombreuses. Du vert des Écologistes au bleu Marine, la ligne politique de la chaîne interroge. “On s’est posé la question à la rentrée dernière avec mon équipe : “est-ce qu’il faut recevoir tous les partis politiques ?”, raconte Sam Zirah, On a regardé les avantages, les inconvénients, les arguments, les contre-arguments. On a eu vraiment une discussion, quelque soit notre politique à chacun, en les mettant de côté au maximum. Et on s’est tous retrouvés sur le fait que nous, à notre niveau, on ne se sentait pas légitimes à exclure qui que ce soit d’accepté dans notre société, ou dans l’hémicycle”.
Deux mondes plus poreux qu’il n’y paraît
S’il a été le premier à faire cohabiter politique et télé-réalité sur un seul et même espace, Sam Zirah fait aujourd’hui office de précurseur. En visionnant l’AJAfter de l’épisode 231, on apprend notamment que le gouvernement anti-immigration du président américain Donald Trump (lui-même passé par la case télé-réalité dans les années 2000) souhaite lancer une émission au concept effarant : permettre à des immigrés de s’affronter afin de gagner la nationalité américaine. Une dystopie qui n’étonne pas vraiment notre expert. “Trump, c’est un candidat pur et dur. Dans le monde politique, il utilise des codes qu’il connaît. Il alpague comme le font les candidats de télé-réalité. Il clash comme le font les candidats de télé-réalité. Il utilise un certain langage provocant, comme lorsqu’il a dit que Mark Zuckerberg lui “léchait le cul”. Il est dans le clash, dans la punchline. Parce que c’est en ayant des phrases chocs, un verbe justement très familier, une façon de s’adresser aux utilisateurs des réseaux sociaux sans y mettre les formes, qu’il catche l’intérêt du public. Alors, à titre personnel, oui, ce projet de télé-réalité me choque. Mais est ce qu’il me surprend ? Non.”
Alors quand on lui demande s’il pense qu’en France, une telle dystopie serait possible, on craint sa réponse. Heureusement, Sam Zirah, lui, ne se projette pas dans ce sens. Du moins, pas pour le moment. “Je ne suis pas sûre que l’électorat français soit prêt à élire Cyril Hanouna par exemple, ou une personne issue de la télé-réalité,” nous rassure-t-il. Pourtant, la frontière entre les deux univers se brouille peu à peu. On se rappelle notamment de la promotion d’un salon de coiffure de Marlène Schiappa en 2021, qui avait d’ailleurs reçue Magali Berdah et des candidates au Ministère de l’Egalité entre les Femmes et les Hommes la même année. Mais aussi de l’amitié affichée entre cette même Magali Berdah et Sandrine Rousseau. De la comparaison des élections avec Koh Lanta par Jordan Bardella en 2024. Ou encore de la participation de Jean Lassalle à l’émission Les Traitres sur TF1. Plus que métaphoriquement, les politiques français seraient-ils en train de devenir des candidats de télé-réalité sans que l’on s’en rende compte ?
Sam Zirah note qu’en France, un point commun majeur relie les deux univers : les réseaux sociaux. Alors les personnalités politiques, elles-aussi, adoptent des codes “catchy” façon Donald Trump ou Maeva Ghennam. “C’est leur nouveau terrain de jeu, affirme-t-il, Avant, il y avait les meetings, les candidats allaient de ville en ville pour se “vendre”. Aujourd’hui, il n’y a plus besoin de se déplacer : les politiques vont chercher leurs électeurs directement sur les réseaux sociaux. Et les électeurs, eux, ont le besoin d’être rassurés, de pouvoir s’identifier au candidat, parfois plus qu’à ses idées. Et ce degré de confiance, aujourd’hui, il se mesure avec les réseaux sociaux, en fonction d’où tu es, ce que tu dis, ce que tu fais, à quoi tu réagis, comment tu te montres. Les réseaux, c’est le moyen de rentrer dans le quotidien de quelqu’un.” Et ça, ça vaut pour tous les candidats. Qu’ils soient de télé-réalité ou à la présidentielle.
4 juin 2025