Après la série “Culte” revenant sur l’histoire de la première télé-réalité française, le Loft, le film “Diamant brut” d’Agathe Riedinger continue de réhabiliter un genre (trop) longtemps méprisé.
Après avoir été totalement absente de l’espace médiatique institutionnel, la télé-réalité semble de plus en plus intéresser ceux qui l’ont longtemps dénigrée. En série, d’abord, avec “Culte”, diffusée depuis le 18 octobre dernier sur Amazon Prime, qui revient sur la création du Loft en 2001 et sur l’avènement d’une icône d’un nouveau genre : Loana. Puis sur grand écran, avec “Diamant brut”, le premier long métrage d’Agathe Riedinger longuement applaudi à Cannes et actuellement en salles. On y retrouve l’actrice Malou Khebizi, étudiante en communication le jour, serveuse la nuit, recrutée grâce à un casting sauvage, révèle la revue spécialisée Trois Couleurs.
“C’est utile, parce que ça fait rêver les gens”
Liane, 19 ans, vit dans la banlieue de Fréjus avec sa mère et sa petite sœur. Pas très intéressée par l’école, la jeune femme a un rêve : “devenir la Kim K française”. Un moyen pour elle de sortir d’un quotidien étriqué, dans lequel les perspectives d’avenir sont peu nombreuses, mais qui comporte tout de même son lot de dérives sur lesquelles revient la cinéaste Agathe Riedinger, avec beaucoup de tendresse. “Il fallait trouver le bon axe pour être en empathie avec mon personnage principal, cette jeune femme de 19 ans, Liane, obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, qui voit en la téléréalité la possibilité d’être aimée« , confie d’ailleurs la réalisatrice lors d’un entretien accordé au Centre national du Cinéma (CNC).
Être empathique sans jamais tomber dans le classisme, l’exercice est difficile. Car ce désir de célébrité et d’amour, des centaines de candidats l’ont aussi poursuivi, en enchaînant les programmes, des Marseillais à la Villa des Coeurs brisés. Longtemps délaissés par les médias institutionnels (quand ils n’étaient pas carrément dénigrés sur les plateaux), ces rêveurs sont aujourd’hui devenus des objets de fascination pour les élites, qui semblent se réconcilier avec le genre télévisuel. “Trop populaire”, “abrutissant”, “sexualisant”… La télé-réalité, parfois même appelée “télé-poubelle”, a encaissé tous les coups sans que l’on ne se penche jamais réellement sur son cas.
« La télé-réalité a été un angle mort médiatique pendant longtemps”, résume la journaliste Constance Villanova dans son ouvrage “Vivre pour les caméras” (aux Éditions JC Lattès) qui soulève tout de même que le genre “a mis la banalité et les classes populaires à l’écran à une période où le paysage audiovisuel français était dominé par la bourgeoisie et les CSP+”, dans les colonnes de Trois Couleurs. “Depuis Loft Story, en 2001, tout le monde peut avoir son quart d’heure de célébrité. Les candidats capitalisent sur leur corps et leur personnalité. Pour le public, leurs fans, il y a un lien de proximité et d’identification très fort qui se crée avec ces personnalités issues d’un milieu populaire.”
La Marilyn des Faubourgs
Si la télé-réalité a été snobée par les médias, qu’on ne s’y méprenne pas : le genre cartonne, connaissant dans ses plus belles années des records d’audience. La finale de la saison 1 de la Star Academy avait par exemple rassemblé près de 12 millions de téléspectateurs, juste derrière la Finale de la Coupe du Monde. Pourtant, le mépris persiste depuis Loft Story et contribue même a transformer le genre en une zone de non droit, où violences sexistes, harcèlement ou racisme peuvent s’exercer librement sans sanction et infuser dans l’esprit des téléspectateurs.
“La télé-réalité est un miroir grossissant de notre société. Tout y est exacerbé : le racisme, le sexisme, mais aussi les corps”, poursuit Constance Vilanova, qui accuse les chaînes de cibler des jeunes femmes fragiles pour en faire des proies, plus facile à manipuler dans des programmes. “Après le succès de Loft Story, les boîtes de production se sont mises à chercher leur Loana, leur « Marilyn des faubourgs ». Les équipes castent alors des jeunes femmes souvent victimes de violences très jeunes, pour les manipuler à leur guise et en faire des bêtes de foire dans des émissions. Diamant brut le montre : la télé-réalité instrumentalise les rêves de célébrité et de beauté de jeunes filles, souvent issues d’un milieu précaire.”
Plutôt que des mauvaises victimes, on parlerait même de coupables toutes désignées, à l’image de Loana, taxée de “mauvaise mère” suite à la publication (non-autorisée) de la photo de sa fille, alors placée, en une de Paris Match. Pour lui brosser un portrait plus tendre, complexe, et réaliste comme celui que la série “Culte” fait d’elle (avec l’excellente Marie Colomb dans le rôle de la Niçoise), il a fallu des années. Et plus encore pour faire entrer le genre au festival de Cannes, avec “Diamant Brut”. “J’étais fière d’amener ce sujet, cette héroïne, cette beauté singulière dans le temple cannois. Ça prouve aussi que les regards ont changé”, conclut Agathe Riedinger, qui pose, enfin, le regard doux et critique que mérite le genre.
21 novembre 2024