Le jeune label Haremza se pose la question et tente de trouver une alternative à la production même en petite quantité
C’est à Roubaix que Marguerite a donné naissance à sa marque Haremza. Mais cette dernière n’est pas qu’un simple jeune label comme il en fleurit depuis le confinement. Non, Haremza est un vecteur pour sa créatrice, un moyen de communication lui permettant de partager ses rêves, ses propres fictions, ses contes de fée urbains comme elles les surnomment. Marguerite a choisi de brouiller les frontières entre masculinité et romantisme, lingerie légère et vêtements chauds. Le tout dans le but de rompre avec la morosité propre au présent. Et si au départ elle souhaitait produire en petites quantités à partir de stocks dormants ou de vêtements de seconde-main pour limiter son impact écologique, depuis Marguerite s’interroge. Est-ce si responsable que ça de créer une nouvelle marque ? Même avec cet état d’esprit ?
ANCRÉ : Au départ tes produits étaient mis à la vente auprès du grand public. Tu as depuis changé d’avis. Raconte nous.
Marguerite, créatrice d’Haremza : Avec le temps je me suis rendue compte que c’était presque dérisoire de vouloir créer une marque de manière humaniste. Parce que l’industrie n’est pas adaptée à ça. J’ai pris conscience de la plus grand crise de l’humanité, celui de nos éco-systèmes. J’utilisais déjà à 99% des produits de seconde-main, du linge de maison, des tissus provenants de dead-stocks bien bien endormis, pareil pour le packaging où je pouvais remuer ciel et terre pour trouver des alternatives qui n’impliquent pas une production récente. J’aime ç, c’est dans mon ADN, j’adore galérer pour trouver ce que je cherche. Mais même avec tout ça j’avais l’impression de ne pas être alignée parce que la situation est trop urgente.
Mais alors comment vivre quand on est un petit créateur sans vendre ?
Aujourd’hui je n’ai plus envie de baser mon business modèle à 100% sur des produits qu’on chercherait à vendre, sur des consommateurs qu’on cherche à séduire. Parce que ça rentre à 100% dans la grande machine du capitalisme finalement, qui nous mène face à ce gouffre là. Et on est au bord de l’effondrement. J’ai prévu pour cette année de vendre mon univers plutôt que des produits. C’est à dire mettre à disposition mes créations aux artistes pour le stylisme, aux magazines et proposer de la direction artistique. Et ça, en étant alignée avec mes valeurs comme le 0 déchet, l’éthique et la conception de façon humaine. Travailler et créer dans la reconnaissance et l’amour. Je propose également d’accompagner un artiste qui voudrait visuellement mettre en lumière des messages reliés à tous ces sujets là. Dérèglement climatique, pollution… J’ai besoin de mettre du sens dans mon amour de l’esthétisme.
Comment est née ta marque ?
En dernière année d’école de mode, on devait imaginer notre label ainsi que notre collection de fin d’année. J’ai eu la chance d’être accompagnée par un super mentor qui m’a aidée à me cadrer. À mettre en forme ce côté intangible de ma création, qui peut parfois sembler incompatible avec un domaine aussi tangible que la mode. Et pour la première fois, j’e crois que j’ai trouvé une paix. Alors j’ai gardé Haremza, le nom de ma grand-mère.
D’où te viennent tes inspirations ?
Elles sont assez instinctives. Elles viennent de mon enfance. Quand j’étais enfant, j’aimais fantasmer la réalité comme dans un conte. J’aimais les représentations japonaises de l’époque Victorienne comme Candy, j’aimais les corsets dans les films de pirates comme ceux d’Elisabeth Swann, j’aimais les films d’époques comme Peau d’Âne…Finalement mes créations elles sont un peu tout cela, une vision espiègle de contes de fée urbains.
Tu racontais déjà des histoires finalement, dès le début.
Les vêtements sont pour moi la meilleure façon de créer une histoire visuelle, ce que j’aime moi, ce sont les histoires. Quand j’étais enfant, mes cousins écoutaient à la porte de la salle de bain parce que je parlais toute seule. Je faisais les dialogues d’un scénario. En réalité j’ai toujours fais ça, décidé d’être quelqu’un d’autre, d’être ailleurs, décidé d’être avec quelqu’un. Je crois que la catharsis éprouvée dans la fiction est simplement pour moi la plus belle façon d’aborder la vie, car elle est inépuisable contrairement au présent qui lui, n’est rien de plus que ce qu’il est. La fiction qui par essence est opposée à la réalité -qui elle peut être dure et fatale- est optimiste et légère car elle n’existe pas. Alors le récit peut exprimer ou dénoncer bien des choses réelles, sans pour autant briser les plus sensibles.
Comment décrirais-tu celle qui t’as inspiré le nom de ta marque, ta grand-mère, Madame Haremza ?
Madame Haremza est la personnification d’un peu tout ce que j’ai dit. Elle était le conte dans la ville. Elle était toujours habillée, maquillée, coiffée, à la féminité exacerbée dans un petit village ennuyeux du nord de la France, là ou personne n’était comme elle. Chaque pièce de sa maison me plongeait dans un récit nouveau sans effort car tout semblait construit pour fantasmer la vie. C’était très kitsch finalement, parce que elle n’avait pas vraiment des goûts de luxe, mais plutôt le goût de l’illusion, de la vie de château. Et c’est ça Haremza.
Tu mêles masculinité et romantisme en y injectant une dose de streetwear. D’où t’es venue l’idée de cette recette ?
Le streetwear est le monde réel dans lequel j’évolue, car il est partout, dans mes playlists, dans ma ville : Roubaix, dans les rues et sur les écrans, partout. On est la décennie du streetwear. Le romantisme c’est l’illusion, c’est la dose d’espoir, pour l’amour, la tendresse par le regard. C’est pour faire fantasmer les rues. Par ailleurs, si je questionne un peu la masculinité, c’est surtout parce que par conviction, je n’aime pas vraiment le patriarcat. J’essaie de le déconstruire et de créer une utopie où l’homme aurait la place pour valoriser les mouvements de son bassin, la douceur de ses éclats de rire et la place d’être sexy pour charmer comme les paons. Et pas forcément uniquement pour les autres hommes, ni comme les femmes, non, comme ils veulent et pour qui ils veulent.
Le crochet est inscrit dans les tendances depuis plusieurs années et a connu un boom depuis le confinement. Pourquoi y es-tu revenue ?
C’est Maurine, ma première stagiaire qui m’a proposé de faire du crochet pour Haremza. On a réfléchi pour proposer quelque chose de singulier exactement pour ces raisons. J’ai pensé à faire des bas avec l’illusion d’un porte-jarretelle, c’est un peu une pièce phare de mon vestiaire perso alors je voulais en proposer pour Haremza. La « lingerie habillée » pour moi est très représentative de notre ère, la ré-appropriation du mâle gaze par les femmes elles-mêmes, et l’idée de les proposer en laine, c’était comme un clin d’œil à la confusion météorologique auquel on fait face à cause du réchauffement climatique.
9 novembre 2022