Quand la lingerie devient vêtement

Rencontre avec la créatrice japonaise Ichiyo Taguchi qui souhaite sublimer toutes les silhouettes féminines grâce à ses pièces en dentelle extensible, le tout depuis Paris.

Crédit photo : Miguel Elorza Angulo

Les créations oniriques et bohèmes de la jeune créatrice japonaise Ichiyo Taguchi font la part belle à la lingerie au féminin. Inspirée par sa mère et forte de ses expériences chez Schiaparelli ou encore Courrèges, celle qui a déménagé à Paris il y a maintenant 9 ans s’est liée de passion pour le modélisme et pas n’importe lequel. Celui du corps de la femme et dans toute sa diversité. La dentelle, la soie ou encore l’organza viennent épouser chaque formes et silhouettes dans le but d’offrir confort et confiance à celles qui portent ses créations conçues dans la capitale. Ici, le corset est à des années-lumière de l’instrument de torture qu’il représentait au 16ème siècle, Ichiyo souhaitant sublimer les différentes silhouettes grâce à des matières stretch et des armatures douces.

ANCRÉ : Ce qu’on remarque en premier dans tes créations, c’est cette sensualité. D’où te vient-elle ?

Ichiyo Taguchi, créatrice d’Ichiyo : Afin de mieux expliquer pourquoi j’ai lancé ma marque, je dois parler de ma mère. Au début de l’année 2020 on a diagnostiqué à ma mère un cancer de l’utérus au stade final. Je suis tout de suite rentrée au Japon pour être auprès d’elle et m’en occuper. Un mois plus tard, elle a quitté ce monde. Devoir accepter la réalité, le décès de ma mère, perdre la personne que j’aime le plus et qui m’aimait le plus, ça a été très difficile. Je me suis retrouvée sans espoir et sans travail à cause de la pandémie. Peu après, mon frère et mon père m’ont encouragé à me lancer. “Fais ta marque, c’est maintenant ou jamais.”, m’ont-ils dit. Puis, portée par l’envie d’encourager les femmes et de m’encourager moi-même, j’ai rassemblé rapidement tous les éléments nécessaires à la création de ma marque.

Dirais-tu que la sensualité et élégance que l’on retrouve dans tes créations sont un hommage à ta mère ?

L’élégance je la tiens de ma mère. Elle est à l’image de la belle femme forte. Tous les détails de ses looks étaient toujours réfléchis. C’est sa meilleure amie qui m’a initié au domaine de la mode en me donnant des cours de couture quand j’avais 10 ans. Elle m’a toujours appris la joie de bien s’habiller et d’être chic. Je trouve aussi des muses dans des films. Être “une femme élégante” c’est un sujet éternel pour moi que l’on va toujours explorer.

Crédit photo : Gauche/Miguel Elorza Angulo – Droite/Pavo Marinovic

Tu es passée par plusieurs grandes maisons, comme Courrèges, Chloé mais aussi Schiaparelli. Qu’a-tu retenu de ton passage dans ces grandes maisons ?

Travailler chez Schiaparelli, c’était un rêve car ma designer préférée de tout le temps, c’est tout simplement Elsa Schiaparelli. Je suis amoureuse de toutes ces créations et de son univers artistique. En étant moi même une femme, comprendre le corps féminin et le sublimer, c’est l’essence même de mon envie de créer des vêtements. Rentrez chez Schiaparelli m’a permis de comprendre encore plus son univers. Ce qui était très intéressant c’était également de pouvoir travailler pour la couture et le prêt-à-porter.

Schiaparelli semble t’avoir marqué.

J’ai beaucoup apprécié de travailler pour Bertrand Guyon et Daniel Roseberry (successivement directeur artistique des collections Schiaparelli, ndlr). Ils ont un style et processus créatif différents. J’ai pu constater l’importance de trouver son propre processus créatif. Comme le studio de Schiaparelli n’est pas très grand, j’ai pu voir leur travail de près. Et c’était un plaisir de travailler avec Daniel, il m’a montré la vraie signification du mot génie.

Tu as eu accès à la Haute Couture, un savoir-faire ultra prisé.

Si je suis venue en France c’est parce que je voulais vraiment voir et apprendre le côté haute couture. Puis j’ai fais mon entrée à l’École de La Chambre Syndicale. C’était impressionnant de voir les meilleurs de ce domaine, les meilleurs ateliers, tissus, broderies et studios. L’atelier de modélisme, par exemple, illustrait un vrai savoir-faire. J’ai toujours été impressionnée par leur manière de mouler les tissus sur le mannequin avec leur god-hand. Le vêtement final était si magnifique, c’était plus de la magie que de la couture je trouve. 

Crédit photo : Gauche/Pavo Marinovic – Droite/Felix TW

On retrouve de nombreux corsets dans ta collection. Que signifie ce vêtement pour toi ?

Je l’utilise en lingerie mais également comme vêtements. Mon but en revanche n’est pas de déformer le corps ou de le torturer, comme ce qui a pu être le cas avec le corset à son origine. Je veux surtout inspirer les femmes d’aujourd’hui, leur permettre de prendre confiance en elles, de s’assumer, d’être à l’aise comme elles le sont dans la société. Quand j’utilise des armatures, ce n’est pas pour serrer le corps, c’est pour juste bien montrer nos silhouettes. Mes modèles de bustiers sont en dentelle stretch et ceux en chaînes ne sont jamais très serrés. Le but c’est d’être bien dedans, tu peux même danser avec. Être libre dans un corset finalement.

Tu veux satisfaire toutes les morphologies. Comment y parviens-tu ?

J’utilise beaucoup de dentelles extensibles. J’ai vraiment envie que les femmes soient à l’aise et actives dedans. Je mets aussi de l’élastique réglable qui s’adapte aux corps. Je suis aussi consciente que la transparence même si c’est l’ADN de ma marque, peut en gêner certaines. Je continue à me challenger pour trouver de nouveaux moyens de jouer avec la transparence, on fait des recherches de matières et de styling en composant des looks finaux. Pour la prochaine collection j’ai de nouvelles solutions par à rapport à cette problématique…J’espère que ça vous plaira !

Crédit photo : Gauche/Alice Rosati pour Censored Magazine – Droite/Lotte Thor

Avant on cherchait à modeler un corps unique, on l’enfermait dans le corset notamment. Toi tu fais tout le contraire. Tu le libères pour mieux l’appréhender ?

Ma marque s’articule autour du plaisir de s’habiller et de l’importance d’être intimement familière avec son propre corps. L’expression “The Joy of Being Women” que j’insuffle dans mon travail, est révélateur de mon objectif. Nos lingeries accentuent chaque forme du corps féminin, les seins, la taille, les fesses. Et ces formes embrassent la peau et l’accompagnent de façon délicate et sensuelle. Notre choix de matériaux est fait avec soin. Quand on met de belles matières, on se sent tout de suite à l’aise et belle. La transparence permet de faire apparaître de nouvelles formes et couleurs en superposant les pièces. En fait, Ichiyo est un jeu sartorial (l’art du tailleur, ndlr) basé sur la transparence et la superposition. Sur ce qui est vu et ce qui est caché.

Vous pouvez retrouver le travail d’Ichiyo ici.

11 juillet 2022

Previous Article

Jean Paul Gaultier dévoile une collaboration avec Karim Benzema

Next Article

On ne laisse pas Saràh Phenom dans un coin

Related Posts