Deux Instagrammeuses se livrent actuellement une guerre juridique autour de l’esthétique minimaliste. Questionnant au passage la notion de propriété intellectuelle sur les réseaux.
C’est un peu l’équivalent 2.0 de cette dispute de cour de récré vieille comme le monde : “tu m’as copiée !”. Clean-girl par excellence, l’influenceuse américaine Sydney Nicole Gifford, 24 ans, passe ses journées à filmer ses “trouvailles” Amazon, allant du blanc au brun. Une palette de couleurs restreinte que l’on retrouve également sur le feed d’Alyssa Sheil, 21 ans, également influenceuse sur les réseaux sociaux.
Des visuels beiges, écrus ou crèmes cultivés grâce au programme d’influence d’Amazon, auquel les deux femmes participent. Le concept ? Chaque jour, un camion de livraison dépose des dizaines de produits qu’elles doivent ensuite recommander via des liens affiliés planqués dans des vidéos TikTok discrètement baptisées “Amazon kitchen finds” ou “Amazon summer shoe haul”. Un contenu comme on voit par centaine sur Instagram, inspiré de la fascination pour le beige de Kim Kardashian et de ses consoeurs.
@sydneynicoleslone my favorite home purchases I so recommend🫶🏼 all on my s / f for these!!! #homefavorites #hometok #organizationhacks #organizationtiktok ♬ original sound – Sydney Slone
Beige is the new black
Sydney Nicole Gifford en est sûre : Alyssa Sheil lui a volé son style. De quoi constituer une plainte pour la jeune femme, qui accuse sa collègue de plagiat, d’atteinte à son image et de concurrence déloyale. En effet, selon elle, Alyssa ne lui a pas juste piqué son esthétique, mais aurait fait chuter de moitié ses revenus en l’imitant, si bien “que les deux contenus sont si similaires que les abonnés seront et sont incapables de faire la différence entre les deux,” comme on peut le lire dans la plainte de Sydney. En guise de réparation, l’influenceuse réclame 150 000 dollars de dommages et intérêts à sa rivale pour perte de revenus.
Ouvert en avril 2024 devant un tribunal fédéral du Texas, le procès va finalement bien au-delà d’une simple brouille d’égo entre deux influenceuses, mais redéfinit les contours de la propriété intellectuelle sur les réseaux. Il faut savoir qu’aux États-Unis, comme en France, les idées ou les concepts ne sont pas protégés par le droit d’auteur. De plus, le risque de confusion soulevé par Sydney est “encore exacerbé par l’algorithme employé par les plateformes de médias sociaux, comme TikTok, qui reconnaît les couleurs, les formes et les styles, entre autres facteurs, pour suggérer des vidéos susceptibles d’intéresser les utilisateurs.” C’est un fait : les réseaux poussent les contenus qui buzzent, encourageant les créateurs à s’inspirer de ces tendances devenues virales pour générer des revenus. Si, en plus, les deux femmes participent au même programme d’influence, le risque de proposer les mêmes produits est d’autant plus important. Pour Alyssa, c’est clair : elle est injustement ciblée. « Il y a des centaines de personnes qui ont exactement la même esthétique que moi, et je suis la seule à devoir endurer ça, » a-t-elle confié à The Verge. Pour info, le #cleangirlaesthetic culmine à plus de 443 000 publications sur TikTok.
La possibilité d’une jurisprudence ?
S’il paraît un peu ridicule au premier abord, ce procès est en réalité historique puisqu’il s’agit ici de l’une des premières batailles juridiques visant à tester les limites de la protection du droit d’auteur et de l’image de marque dans le secteur des influenceurs. “Cette affaire semble être la première du genre – une affaire dans laquelle un influenceur des médias sociaux accuse un autre influenceur de violation du droit d’auteur en raison des similitudes entre leurs publications faisant la promotion des mêmes produits,” a d’ailleurs soulevé le magistrat chargé du dossier. D’abord rejetée par la Cour, la plainte a ensuite été modifiée par Gifford, arguant que sa concurrente ne l’a pas simplement imité sur quelques publications mais a repris toute l’identité de sa marque. Si la plaignante obtient gain de cause, cela pourrait ainsi bouleverser tout le monde de l’influence, en établissant un précédent juridique important pour les travailleurs du web qui cherchent à protéger leur contenu et tout ce qui constitue l’essence de leur marque personnelle. Affaire à suivre.
12 février 2025