La gymnaste Kaylia Nemour dénonce l’emprise de ses anciens entraineurs dans un livre

À l’occasion de la sortie de son livre « L’ombre de l’or » (Alisio), la gymnaste médaillée d’or aux JO de Paris Kaylia Nemour s’est confiée sur l’emprise dont elle a été victime de la part de ses anciens entraineurs, Marc et Gina Chirilcenco. Et l’affirme : non, le sport de haut niveau ne doit pas être synonyme de souffrance et d’humiliation.

Crédit photo : Kaylia Nemour / Jeanne Bineaud

« Pour moi, c’était la norme. Je n’ai connu que ça, et ils disaient que c’était ça la gym de haut niveau ». Dans les colonnes du Parisien, Kaylia Nemour, 18 ans, retrace le parcours qui l’a menée jusqu’à cette prise de conscience. Médaillée d’or pour l’Algérie lors des derniers Jeux Olympiques, la gymnaste avait impressionnée le monde entier grâce à sa maîtrise des barres asymétriques. Mais si en public, la fierté d’amener ce premier titre sur le continent africain se lit sur son visage, en coulisse, le quotidien a loin d’été toujours aussi lumineux pour la jeune sportive. Et c’est ce qu’elle raconte dans son livre à paraître ce jeudi « L’Ombre de l’or ».

Des premiers soupçons d’emprise

Papa algérien, maman française, Kayla Nemour grandit en Indre et Loire, et rejoint dès 4 ans le club de gymnastique d’Avoine, dont sa mère est la présidente. Rapidement, son talent impressionne. En juin 2019, alors qu’elle n’a que 12 ans, elle est sacrée championne de France espoir du concours général individuel de gymnastique artistique à Saint-Brieuc. Entrainée par Marc et Gina Chirilcenco, elle devient championne de France aux barres asymétriques en 2021, mais subit, la même année, deux opérations aux genoux pour traiter une ostéochondrite et huit mois de rééducation. C’est là que les ennuis commencent. La Fédération française de gymnastique lui interdit de reprendre son sport, malgré une autorisation de reprise sportive par son chirurgien. Kaylia Nemour entreprend alors les démarches pour changer de nationalité sportive et représente l’Algérie dès mai 2023. Ça, en tout cas, c’est l’histoire officielle.

Kaylia Nemour via Instagram

En réalité, en 2023, cela fait trois ans que la Fédération française de gymnastique est en conflit avec le couple Chirilcenco. Outre le fait qu’ils aient refusé de rejoindre le pôle d’entraînement de l’INSEP, censé être le point de ralliement de tous les gymnastes, les deux entraineurs font face à des accusations de « mise en danger d’autrui » et de « suspicions d’emprise générale ». Ces accusations font suite à des signalements effectués par des familles. « Je n’ai pas vu un entraînement sans qu’une fille ne pleure, confiait alors la mère d’une gymnaste à L’Équipe, en 2023, Elles n’avaient pas le droit de boire pendant deux à trois heures car, sinon, elles devaient aller aux toilettes et elles perdaient du temps. Des objets, un plot ou une chaussure, ont été jetés sur des filles quand elles bloquaient. » Lancées en interne, les procédures n’aboutissent à rien, Marc et Gina Chirilcenco sont blanchis, et le rapport de l’enquête administrative indique même que la fédération se livrerait à « une forme de harcèlement et d’acharnement ». Et pourtant.

« Il y a des limites à l’exigence »

En juin dernier, lors d’un entretien accordé à L’Équipe, celle qui avait été qualifiée de « dommage collatéral » suite à la brouille entre ses entraineurs et la Fédé’, brise le silence. Non, les comportements de ses coachs n’étaient pas normaux. Oui, ils ont pesé dans sa décision de changer de nationalité sportive. « On était tellement tous sous emprise… Les filles, les parents. Quand tu es là-bas, tu ne sais pas, tu ne vois pas… Et comme on n’a vécu que ça, toute notre vie, ça nous semble normal, se souvient-elle, J’ai détesté, mais j’avais un objectif qui m’a permis de tenir et d’accepter. Mais je pense qu’il y a des limites à l’exigence. J’étais à bout de ces méthodes, j’avais besoin de me reconstruire. » Pour le média sportif, elle raconte, encore timidement, les humiliations, l’isolement, les horaires d’entrainement irréalistes, les blessures minimisées, la peur, les cris. Tout ça, sous couvert de haut niveau. Car oui : dans l’imaginaire collectif, pour passer pro dans le sport, cela doit se faire dans la douleur. Et ça, Kaylia Nemour l’avait parfaitement intégré. « La phrase préférée de Marc et Gina, c’est : La gym de haut niveau, c’est comme ça. Quand on rentre à la maison, on ne se plaint même pas à nos parents, on est persuadé que ce sont effectivement les contraintes du haut niveau. » Pourtant, elle se souvient avoir vu, ailleurs, « des gymnastes rigoler avec leurs entraîneurs, sans que ça les empêche de performer. »

Doucement, la jeune fille prend conscience que ce qu’elle a vécu ne doit jamais constituer une norme. Et décide de livrer sa vérité dans un ouvrage, dont certains passages ont été relayés par Le Parisien. « Je reste traumatisée par toutes ces souffrances, par toutes ces fois où, après m’avoir virée de l’entraînement et envoyée dans les vestiaires, Marc m’obligeait à revenir au pas de course pour aller m’excuser auprès de chaque entraîneur, un par un, de ne pas avoir réussi mes exercices. Meurtrie par une énième humiliation, j’agissais tel un robot, » peut-on ainsi lire. Elle raconte les régimes drastiques, l’incapacité de contredire ses coachs, le silence, les maux de ventre à répétition et les bleus sur les jambes créé par des rouleaux de scratch qui lui sont jeté dessus « pour la motiver ». « Mon esprit et mon corps vacillent et manifestent des signes inquiétants de saturation. L’épuisement me plonge dans la déprime, et je me sens d’autant plus vulnérable aux blessures, » écrit-elle lorsqu’elle se remémore ses premiers mondiaux en 2023.

Retrouver de la joie dans son sport

Pourtant, si la sportive se rend bien compte que la crainte a remplacé le plaisir, le véritable déclic, lui, n’a lieu qu’après les JO. « [Après la victoire], mes parents avaient proposé qu’on aille tous manger ensemble, mais Marc a refusé en prétendant que je n’avais pas le droit de sortir du village. Ils ont menti à ma famille, à mes amis, ça me fait tellement de peine pour eux. » Malgré tout, elle se rappelle avoir « obéi machinalement ». Après tout elle est habituée à être auprès de ceux qui s’amusent à dire « Kaylia, c’est nous, 365 jours par an ». Alors que toute la ville célèbre, la star de la gym, elle, n’a droit à aucun répit. Aucune joie.

Cette fois-ci, s’en est trop : un matin, la Franco-Algérienne quitte le village olympique, sans drame, et claque la porte de son club. Aujourd’hui entraînée par Nadia Massé, elle confie au Parisien avoir renouée avec son sport : « J’ai compris qu’on pouvait faire de la gym par plaisir. Si vous saviez combien je kiffe aujourd’hui ! » Et relance, au passage, l’enquête administrative visant le couple de coachs. De son côté, la Fédération algérienne, ancien employeur de Marc Chirilcenco, a également lancé une procédure. Les deux entraineurs, eux, se défendent de tout comportement toxique, dénonçant une « campagne de dénigrement ». Et fait, dans un article de Ouest-France, la distinction entre « exigence » et « maltraitance ». C’est bien tout le problème : quand la maltraitance se fait passer pour de l’exigence, quelle sécurité offrons nous aux jeunes sportifs ?

4 décembre 2025

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