À l’ère des réseaux sociaux, la perception de nos propres revenus change. Et nous laisse l’amère impression d’être toujours plus pauvre que notre voisin.
À scroller sur Instagram, tout le monde a l’air d’avoir une bien plus belle vie que la notre. Appart’ XXL et mobilier design, vacances paradisiaques à répétition, restaurants branchés et cocktails à gogo, cours de pilate, massages et vestiaire toujours plus pointus défilent sous nos yeux tandis qu’on s’apprête à s’enfiler le troisième plat de pâtes de la semaine. Si près d’un jeune sur dix déclare ressentir un sentiment d’infériorité sur les réseaux sociaux (d’après une étude de la Fondation Jean Jaurès), ces derniers se posent aussi régulièrement la question : mais comment font-ils tous pour financer leur train de vie ?
Une vie à crédit
Cette interrogation, c’est la première étape vers la “money dysmorphia” ou “dysmorphie financière” en français (un terme inspiré du “trouble dysmorphique corporel”), désignant une insécurité persistante au sujet de nos finances. “On se retrouve dans une situation où l’on a l’impression de ne pas avoir assez d’argent, même si les chiffres indiquent que tout va bien, explique Aja Evans, thérapeute financière, au New York Times, Il est facile de se créer un récit autour de ce qu’on voit en ligne : on se dit : « Oh mon Dieu, tout le monde part en vacances de printemps, je suis la seule à rester à la maison.»”
En bref, l’excès de consommation présenté sur les réseaux et la surexposition au luxe nous poussent à remettre en question nos propres revenus et à réévaluer nos dépenses, mais aussi notre épargne. Selon une étude menée par Qualtrics pour Intuit Credit Karma, près de 43% des jeunes adultes américains déclarent souffrir de dysmorphie financière et sont persuadés d’avoir des problèmes d’argent tout en gagnant très convenablement leur vie. Un complexe qui peut mener à des prises de décisions risquées. En effet, la même étude révèle que 40% des personnes souffrant de cette dysmorphie avouent avoir déjà réalisé des achats au-dessus de leurs moyens afin de coller à un standard digital. Dépenser pour mieux montrer : un mantra encouragé par les nouvelles façons de payer, “buy-now-pay-later”. Aux États-Unis, une enquête d’Experian s’est penché sur la situation financière de la GenZ : le consommateur moyen de moins de 30 ans contractant environ 3 500 $ de dettes de carte de crédit.
Un symptôme de la récession ?
Défendue par de nombreux économistes et sociologues, une théorie selon laquelle les goûts de luxe augmenteraient à mesure que l’économie se dégraderait regagne en popularité. Observé durant la crise de 2008, “l’effet rouge à lèvre” a mis en lumière les dépenses des foyers (et notamment des femmes) en petits cosmétiques afin de donner l’apparence de ne pas être touché par la récession. La preuve : les styles les plus en vogue aujourd’hui sont ceux qui tournent autour du “old money” et de la “clean girl”, celle qui dépense des fortunes en soin coréens pour avoir l’air naturellement parfaite. “La dysmorphie financière pourrait être alimentée par l’obsession des gens d’être riches à une époque où l’être semble de plus en plus hors de portée,” résument les équipes de Credit Karma dans une enquête de l’ADN.
Un étalage de richesse qui a inspiré un nom aux chercheurs contemporain : l’esthétique “Boom Boom”, du nom d’un resto ultra-select de la Grosse Pomme. “Nous sommes plus enclins à dépenser sans réfléchir à cause de cette énergie omniprésente du personnage principal, déclare au New-York Times Devin Walsh, GenZ qui travaille dans le marketing, La fin du monde est proche de toute façon. Pourquoi économisons-nous ?” Une quête de plaisir exacerbée, liée au contexte financier mais aussi politique dans lequel la jeunesse évolue. Puisque tout va mal, faisons nous du bien.
Cependant, tous ne pensent pas de cette manière et certains vont même sur-économiser, par culpabilité et par peur de tout perdre. D’après une newsletter TTSO, la réalité de l’inflation serait en effet mal perçue, notamment par les Français qui l’estiment quatre fois plus importante que ce qu’elle représente en réalité (17% face à 1,8% d’après l’Insee). Toujours selon l’étude américaine Qualtrics, 82% des personnes interrogées disent être en retard en matière de finance alors que leur compte bancaire est approvisionné. Et pour être sûr de ne pas creuser leur déficit imaginaire, ils se mettent à épargner plus que de raison : en effet, 37% d’entre elles déclarent avoir plus de 10 000 dollars d’économies.
“Je travaille avec une personne qui a commencé à faire des économies sur ses courses, même si l’avenir financier de sa famille ne dépend pas d’une simple visite chez Whole Foods”, révèle Matt Lundquist, thérapeute à Manhattan, dans l’article du New York Times, avant d’être rejointe par Kara Pérez, fondatrice d’une organisation qui sensibilise les femmes à la gestion financière, Beaucoup de gens disent : « Je ne suis pas Kim Kardashian, je ne suis pas Elon Musk, donc je suis fauchée ». C’est sûr que si les milliardaires font office de baromètres…
7 mai 2025