C’est l’histoire d’un photoshoot Zara qui tourne au racisme

La modèle Anok Yai raconte son expérience avec l’entreprise espagnole.

Anok Yai pour Acne Studios

Le 20 mai dernier, la célèbre mannequin américaine d’origine sud-soudanaise Anok Yai interpelle ses abonnés sur X. Dans un thread, elle y dénonce une discrimination raciste subie il y a plusieurs années. Si elle ne s’était jamais exprimée auparavant, c’était par peur d’être blacklistée au début de sa carrière. «Je me souviens m’être fait appeler “cafard” par un photographe. C’était avec une marque dont j’avais l’habitude de travailler. Je ne parlais pas leur langue, et ils ne parlaient pas la mienne, mais cela importait peu, on shootait plus de 60 looks par jour parfois.», décrit-elle. Plus loin, la nouvelle muse de Mugler ajoute : «L’avant-dernier jour, alors que la make-up artist commençait à me poudrer le visage, le photographie s’est mis à crier “Lotion pour a cucaracha” (Hydrate le cafard, NDLR). Tout le monde sur le set s’est mit à rire. Mais je ne pouvais pas réagir comme je le voulais car, au final, j’étais jeune, seule, noire, et tout ce que je pouvais faire allait affecter ma famille, moi-même et d’autres mannequins noir.es».

Désormais supprimé, le thread se conclut par une dénonciation de la marque en question. «Hi bitch @ZARA, remember me ?», autrement traduit par “Hey conna**se @Zara, tu te souviens de moi ?”. Ce n’est pas la première fois qu’Anok Yai prend la parole. En 2020 déjà, auprès d’Oprah Winfrey elle dénonçait le manque de considération des mannequins noirs dans l’industrie de la mode, le tout dans une tribune en ligne. “Les mannequins noirs ne devraient pas avoir à enseigner aux professionnels comment traiter nos cheveux et notre peau”, écrivait la jeune femme. Choisie par Jacquemus en ouverture de son dernier défilé à Capri, ou encore enrôlée par Marc Jacobs pour sa dernière campagne de sacs, Yai jouit d’une carrière au beau fixe. De quoi se demander si pour être en capacité de dénoncer le racisme dans le mannequinat, fil faudrait jouir d’une notoriété solide.

Sois belle – et reconnaissante – et tais-toi

«Pour quelqu’un qui débute dans le mannequinat, souvent très jeune, c’est très difficile d’en parler (du racisme, ndlr). Il y a la menace d’être blacklisté, de ne pas retravailler. Et puis, beaucoup de filles étrangères sont envoyées par leurs parents, qui comptent sur elles pour faire vivre la famille.», expliquait en 2018 Cyril Bublé, directeur de l’agence Viva Model Management. Des mots qui cinq ans plus tard, sont plus que jamais d’actualité.

En 2023, une enquête du Times fait l’effet d’une bombe. Le journal américain révèle que des agences recrutent des mannequins au sein d’un des plus grands camps de réfugiés au monde, notamment au Soudan et au Kenya. Derrière cette promesse d’une vie meilleure se cache un white saviorism saupoudré d’esclavagisme moderne. Quand on a soudain accès aux strass et paillettes, dans un milieu aussi exclusif, comment oser taper sur la main qui nous nourrit ? Une sorte de chantage inavoué qui exige loyauté et silence des mannequins. L’autrice Christelle Bakima Poundza l’écrit d’ailleurs dans son essai ‘Corps Noirs’ : «Parler, c’est s’exposer, prendre un risque, alors il est préférable de ne pas jouer les lanceuses d’alerte et de se taire.»

En d’autres termes, “Sois belle – et reconnaissante – et tais-toi”. Celles qui sont en mesure de parler et de prendre position, et dont les combats divers reçoivent les plus d’écho médiatique sont celles qui sont déjà bien installées dans le milieu. Comme les soeurs Hadid qui montrent fièrement leur soutien à la Palestine, ou encore Cindy Bruna qui s’exprime publiquement sur les violences conjugales. Christelle Bakima Poundza cite également l’exemple de Lous and the Yakuza, chanteuse belge qui baigne aussi dans le milieu de la mode, qui ose à présent, dire haut et fort ce qui ne lui plait pas : «Je ne laisse plus rien passer : soit on sort le porc qui a tenu ces propos [sexistes], soit j’arrête. (…) J’ai ce luxe maintenant, je peux me le permettre. » Mais qu’en est-il, de celles et ceux qui n’ont pas ce luxe ?

Quelles aides existent pour les moins connu.es ?

Aujourd’hui, plusieurs agences ont été lancées dans le but d’être réellement inclusives, comme Btwn, créée en 2020 pour représenter celles et ceux qui sont in-between, ni dedans, ni en dehors des standards de beauté. L’agence déclare sur son site Internet «Il y a de la place pour nous tous.tes entre ce que le monde nous dit d’être, et ce que nous sommes réellement. Au-delà de la taille, au-delà de la silhouette, au-delà des étiquettes.». Mais aussi, l’agence We Speak Models a bien l’intention de briser le silence dans le milieu de la mode. Leur slogan : «Our voice, for you». Depuis 2013, l’agence est engagée contre le tokenisme et pour la diversité dans le mannequinat.

À l’ère des réseaux sociaux, on peut tenter de faire justice soi-même, ou juste, de trouver des personnes aux expériences similaires. C’est le cas de Salwa Rajaa, mannequin d’origine marocaine et vivant à Paris, qui, après avoir vécu des discriminations racistes, a créé un groupe WhatsApp avec d’autres mannequins dans le même cas. Parce que plusieurs voix résonnent plus qu’une seule. Ce sont ces initiatives qui permettent de mettre la lumière sur des sujets importants, comme ‘The Black Girl Coalition’, groupe social co- fondé en 1988 par les super models Bethann Hardison, Naomi Campbell et Iman.

Une chose est sûre, si la parole s’est libérée, les rouages de l’industrie continueront d’être questionnées. Claire Roussel, journaliste mode propose des pistes de réflexion dans son podcast Couture Apparente. Autant d’initiatives plus que nécessaires pour continuer de lutter contre l’omerta du racisme dans le milieu de la mode.

13 juin 2024

Previous Article

Les events fripes et pop-up mode à ne pas rater en juin

Next Article

Nayra signe un 3 titres en hommage à ses racines égyptiennes et marocaines

Related Posts