Comment Cartier s’est inspiré des Arts de l’Islam dans ses créations ?

Rencontre avec Évelyne Possémé et Judith Henon-Raynaud, commissaires de l’exposition dédiée à Cartier qui se déroule en ce moment au MAD à Paris.

Collier draperie Cartier en or, platine, diamants, améthystes et turquoises. Commande du duc de Windsor pour la duchesse de Windsor.
Crédit photo : Cartier

Au Musée des Arts Décoratifs à Paris se tient actuellement l’exposition « Cartier et les Arts de l’Islam ». Un découverte en deux volets retraçant les influences des arts islamiques sur le processus de création de bijoux et d’objets précieux de la maison Cartier. Au début du XXème siècle, Louis Cartier, fils du fondateur de Cartier, part à la recherche de nouvelles inspirations. Et c’est à Paris, épicentre du commerce de l’art islamique à cette époque, notamment au travers de différentes expositions, qu’il va découvrir ces nouvelles esthétiques et techniques de fabrication. Une source d’inspiration qui va alimenter les dessinateurs et les ateliers qui accompagnent le célèbre joaillier français. Évelyne Possémé, conservatrice en chef du département des bijoux anciens et modernes au Musée des Arts Décoratifs à Paris et Judith Henon-Raynaud, conservatrice en chef du patrimoine et adjointe à la directrice du département des Arts de l’Islam du Musée du Louvre, nous raconte comment la grande maison de joaillerie s’est inspirée du monde arabe.

ANCRÉ : Au début du XXème siècle, Louis Cartier commence à s’imprégner des formes nouvelles qu’il a découvert au travers de l’art islamique notamment à Paris. Il y a-t-il des savoir-faire et techniques de fabrication qu’il va mettre en avant en particulier ?

Évelyne Possémé et Judith Henon-Raynaud : Louis Cartier et ses frères s’intéressent aux bijoux indiens pour leur typologie « bazuband », leurs formes et décors mais également pour les matériaux et les techniques. Ils reçoivent des pierres taillées à la façon indienne : émeraudes polies qu’ils utilisent dans leurs bijoux, ils ont également l’idée d’utiliser les pierres sculptées en forme de feuilles, de fleurs et de graines utilisées par les Indiens depuis l’époque moghole pour réaliser des bijoux multicolores dès 1925, plus tard baptisés « Tutti Frutti ».

Cartier rend hommage aux grands colliers de cérémonie des Maharajahs avec ce collier Tutti Frutti – 2019
Crédit photo : Cartier

Comment Louis Cartier a-t-il réussi à amener l’architecture d’Inde, notamment les revêtements des mosquées, mais également les arts du livre venus d’Iran dans son processus de création ?

Louis Cartier réunit une importante section consacrée aux arts et à l’architecture d’Islam dans la bibliothèque initiée probablement par son grand-père. Il y rassemble des ouvrages rares comme celui consacré aux mosquées de Samarkand, illustrées de planches grand format en couleurs qui n’ont certainement pas manqué d’inspirer les dessinateurs de la maison. Jacques Cartier son frère, rapporte également de son voyage en Inde l’album photo du Durbar, ainsi que des photos de monuments. On connait également dans les archives une série de photos sur lesquelles on trouve des monuments islamiques d’Espagne et du Caire. Toutes ces sources étaient mises à disposition des dessinateurs de la maison.

Vers les années 1910, Louis initie également une collection personnelle d’art islamique centrée sur les arts du livre. Il possédait en effet de nombreux manuscrits indiens et persans des XVIe et XVIIe siècle, ainsi que des reliures. Louis Cartier met entre les mains de ses dessinateurs les pièces de sa collection. Nous en avons la preuve puisque nous avons découvert au cours de nos recherches l’existence d’empreintes réalisées directement sur les œuvres (reliure et coffret).

Gauche : Projet de poudrier Cartier. Paris vers 1920 au crayon graphite, encre de Chine et gouache sur papier transparent. Archives Cartier Paris
Droite : Nécessaire, Cartier Paris, 1924 Or, platine, nacre, turquoises, émeraudes, perles, diamants, émail. Nils Herrmann. Collection Cartier
© Cartier

Quel objet est l’exemple même de l’inspiration de Cartier tirée des arts de l’Islam ?

C’est certainement un nécessaire de 1924 qui est un objet dont la composition évoque les reliures islamiques et qui est en fait inspiré d’un coffret qadjar (Iran, XIXe siècle). Nous avons retrouvé la source d’inspiration originelle de ces objets sur un négatif sur plaque de verre conservé dans les archives de la maison, ainsi que les dessins intermédiaires du dessinateur Charles Jacqueau qui montrent le processus créatif.

Le nécessaire Cartier en 1924, petite boite pouvant accueillir par exemple du parfum
Estampe originale en couleur, tirée sur papier vergé, non-signée.
Lucien Vogel éditeur, Paris 1924-1925

L’influence des arts de l’Islam perdure dans le processus de création actuel de la maison Cartier. Comment cette dernière a-t-elle modernisé ces influences pour en faire des pièces plus contemporaines ?

Certains éléments intègrent en profondeur le répertoire des dessinateurs de la maison : la géométrie avec des motifs de losanges tapissant ou d’hexagones par exemple, certaines compositions avec médaillon central et fleurons. Les assemblages de pierres gravées en Inde qui forment ce que l’on appelle aujourd’hui les « tutti frutti » constituent certainement la signature de la maison.

Cartier et les arts de l’Islam. Aux sources de la modernité.
Du 21 octobre au 20 février 2022
Musée des Arts Décoratifs
107 Rue de Rivoli
75001 Paris

Découvrez également notre tour d’horizon des expos marquantes de cette fin d’année.

25 novembre 2021

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