Au fait, ça coûte combien d’organiser un défilé ?

Alors que la Fashion Week parisienne vient d’ouvrir, on s’est posé la question. Et sans surprise, présenter ses collections lors de la semaine de la mode, ça coûte cher. Très cher. 

Crédits photo : Pete Casta

Quelques minutes, quelques silhouettes et des montants délirants : voici la réalité qui se cache derrière les story des influenceurs bien calés au premier rang des shows des grands créateurs. Alors que la Fashion Week débute ce lundi 29 septembre à Paris, de plus en plus de designers (surtout jeunes) renoncent aux sirènes des catwalks. La cause ? Les cinq zéro qui accompagnent souvent la production d’un tel évènement. Interrogée par Fashion United, Caroline Lefrere, fondatrice de l’Agence Hermana, spécialisée dans la scénographie et production de défilés de mode, l’affirme : “en dessous de 50 000 euros, il est quasiment impossible de produire un défilé”. Et enfonce le clou : “Mais certains shows coûtent des millions.” 

Un budget faramineux qui englobe la rémunération des mannequins et agences, la location des lieux, du matériel technique, de la scénographie… Et qui rebute de plus en plus de marques émergentes, qui ne souhaitent plus jouer le jeu de la semaine de la mode. Très attendue au calendrier londonien l’année dernière, la créatrice turco-britannique Dilara Findikoglu avait annulé son show de septembre à la dernière minute, en faisant preuve de transparence : “Nous n’avons tout simplement pas les moyens financiers pour un défilé en ce moment”. Résumant la détresse de toute une nouvelle génération de créateurs qui n’ont pas d’autre choix que de faire bouger les lignes. 

Le lieu, un point sensible

Ce n’est pas nouveau : la mode a toujours été un secteur compliqué, voire d’élite. Mais avec l’augmentation du prix de la vie et une hausse des coûts de production observée ces dernières années, s’implanter en suivant les règles devient presque impossible pour les jeunes designers, qui doivent non seulement solidifier des partenariats commerciaux mais aussi marquer les esprits, sans avoir les moyens de privatiser le Pont Neuf ou le Grand Palais. “Avant, la Fashion Week était surtout un rendez-vous d’achat et on était concentré sur le vêtement. Désormais, il y a aussi un enjeu d’image. On attend des marques un grand spectacle,” rappelle Emmanuelle de Mazières, experte en stratégie des marques de mode, à Capital. Car qui dit show mémorable dit retombées médiatiques importantes, et donc, argent. Une donnée importante quand on sait combien doit investir une marque pour avoir la chance de présenter ses modèles. La plateforme d’analyse de données Launchmetrics évalue à 498,9 millions de dollars l’impact des retombées médias publicitaires lors de la Fashion Week de Paris, la plaçant au même niveau que la finale du Super Bowl. 

Première difficulté ? Dénicher un lieu. “Une pression est exercée sur les jeunes marques pour qu’elles présentent dans le triangle d’or. Si elles choisissent des lieux moins chers mais un peu excentrés, les acheteurs et la presse y vont moins, car ils ont peu de temps pour se déplacer d’un défilé à l’autre, explique Caroline Lefrere, Le problème est donc de devoir rester non seulement dans une ville qui coûte cher, mais dans les zones de cette ville qui coûte le plus cher. Les lieux ont un prix standard et sont toujours un petit peu plus chers pendant la fashion week. Généralement, ils varient de 4 000/5 000 euros à 20 000 euros.” 

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La marque COUCOUBEBE75018 a organisé un gala de MMA pour présenter sa nouvelle collection. 🥊 . #fashionweek #pfw #mode #fashion #louisvuitton #coucoubebe75018

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À Paris, les jeunes marques sont ainsi forcées de privilégier le Marais (notamment pour la présentation de collections masculines), ou les alentours du Triangle d’Or pour les semaines femmes. Autant dire que les portes de Paris et autres 18, 19 ou 20ème arrondissements ne figurent pas sur la carte. Ça, Kanoush, créateur derrière la marque Coucou Bébé, n’en a manifestement eu que faire, puisqu’en janvier dernier, c’est à l’Elysée Montmartre (18ème arrondissement) qu’il a présenté sa collection sur un ring de MMA. “J’aimerais bien créer un bug dans la Fashion week,” s’amusait à l’occasion le fondateur de la marque dans les colonnes de Fashion United. Du côté des grandes marques, elles cherchent à “limiter les coûts” en investissant directement dans des lieux. C’est notamment le cas de Chanel qui, en 2023, a financé la rénovation du Grand Palais à hauteur de 25 millions d’euros, et qui bénéficie ainsi d’un accès exclusif à l’espace parisien. 

Du monde à payer

Même une fois le lieu déniché, les coûts ne faiblissent pas, au contraire. Notamment lorsqu’ils mobilisent des humains. “Les tarifs de la partie technique grimpent vite, assure Caroline Lefrere, Dès qu’il faut mobiliser des régisseurs, des responsables ou autres intervenants, rémunérés au cachet, la part humaine augmente rapidement. Avec des amplitudes horaires importantes — parfois deux jours de suite ou de très longues journées pour les défilés — les frais s’accumulent, si bien que le poste humain finit par dépasser largement celui du matériel.” Pour The Cut, le créateur Willy Chavarria précise : “Pour mon défilé à la Fashion Week de septembre 2023, l’éclairage devait coûter 30 000 dollars jusqu’à la veille du spectacle. Puis il y a eu un problème : ils ont dit : “Il y aura plus de lumières.” L’équipe lumière était absente, alors on a dû en recruter une nouvelle à la dernière minute et payer le double. Même si l’éclairage est couvert, chaque fois qu’on ajuste une ampoule, on paie, je ne sais pas, 500 $.” 

Autre poste de dépense, et pas des moindres : les mannequins. Si le prix d’un modèle varie entre 800 et 2000 euros pour une journée de défilé, lorsque l’on souhaite faire appel à des stars, le tarif augmente considérablement. Qu’il s’agisse des sœurs Hadid ou de Kendall Jenner, leur présence peut coûter environ 10 000 à 50 000 euros par défilé. Même constat pour les coiffeurs et maquilleurs : plus ils sont célèbres et sollicités, plus leurs tarifs sont élevés (jusqu’à 30 000 euros pour un maquilleur et son équipe sur un défilé). Gregory Werbowsky, attaché de presse dans la mode, explique pour The Cut que ces coûts sont relativement nouveaux. “Il y a dix ans, il était possible de sponsoriser entièrement un défilé de la Fashion Week à 300 000 dollars. On pouvait faire appel à des coiffeurs ou des maquilleurs pour sponsoriser son défilé, mais les sommes amassées ont diminué chaque saison. Aujourd’hui, le budget est serré,” détaille-t-il. 

Alors lorsque l’on dépense un budget pareil, il faut s’assurer qu’il y aura du monde pour en parler. Pour cela, autant s’offrir un service marketing, communication et relations presse en béton. “Pour une maison de luxe, une campagne de communication peut coûter entre 100 000 et 1 million d’euros, selon l’ampleur des activations et la visibilité souhaitée,” nous apprend Fashion United. Les équipes chargées de promouvoir l’évènement misent sur un front row de qualité et ne lésinent pas sur les moyens pour s’assurer la présence de célébrités et autres influenceurs, en plus des acheteurs et investisseurs potentiels. Des frais qui peuvent s’élever jusqu’à 500 000 euros, entre les déplacements, l’accueil, l’hébergement, le stylisme etc. “On paie les places, la sécurité, l’assurance, le lieu, les permis, les mannequins, la restauration, parfois les vols. Beaucoup de transports et Uber. Selon le mannequin, il faut parfois payer l’hôtel,” résume Willy Chavarria. Ajoutons également que la conception des vêtements, elle non plus, n’est pas gratuite et représente environ 10% du budget d’un défilé. 

Bénéficier d’un soutien de taille

De quoi décourager les jeunes designers, dont la Fashion Week a cruellement besoin pour continuer d’être intéressante, saison après saison. Critique mode invité de France Inter, MavERIC s’insurge : “Si j’avais un message à adresser aujourd’hui à l’industrie de la mode, c’est de laisser la parole aux jeunes créateurs, et soutenez-les. Il y en a marre de voir les mêmes têtes sur ces chaises musicales. Il faut savoir faire cohabiter une certaine compassion dans un milieu obsédé par l’exclusivité, la domination symbolique, avec beaucoup de méditation.” Heureusement, des solutions existent pour permettre aux nouveaux talents de briller lors de la semaine de la mode. Nombreux sont ceux qui se tournent vers les concours, qui promettent des aides personnalisées, des dotations et autres avantages pour se lancer, à l’image du prestigieux Prix LVMH. “L’ambition du Prix LVMH des Jeunes Créateurs de Mode est d’encourager la vitalité et la créativité dans le monde de la mode à l’échelle internationale, rappelle Delphine Arnault, Présidente-directrice générale de Christian Dior Couture, Il est de notre responsabilité, en tant que leader de notre secteur, de découvrir des jeunes talents et de les aider à se développer.” Chaque année, le lauréat se voit offrir une bourse de 400 000 euros et un accompagnement au développement de son entreprise par une équipe dédiée au sein du Groupe. Du côté de l’ADAM, le grand prix se voit récompensé d’une dotation de 300 000 euros quand une bourse de création de 20 000 euros remise par Première Vision est accordée au Festival d’Hyères. 

Autre chemin de traverse ? Candidater pour des programmes de soutien nationaux. Depuis 2020, la fédération de la couture parisienne invite des créateurs à présenter leurs collections lors du Sphère Paris Fashion Week® Showroom au Palais de Tokyo quand, en janvier dernier, la Ministre de la Culture Rachida Dati annonçait la création d’un plan pour aider les designers émergents avec des dotations et surtout, la mise à disposition de divers lieux rénovés prestigieux de la capitale. 

Enfin, parfois, on peut également briller par l’absence. De plus en plus prébicités, les présentations digitales, les showrooms privés et les expériences immersives permettent aux jeunes créateurs de faire leur preuve, sans trop s’endetter. Et même lorsqu’ils sont soutenu, parfois, déserter les podiums peut être bénéfique pour une carrière, à l’image d’Ester Manas, grande gagnante du prix spécial de l’Andam 2023, qui n’avait pas souhaité présenter sa collection printemps-été 2024 lors de la Fashion week parisienne, notamment pour des raisons politiques. “Notre marque a toujours défendu le body positivisme, la diversité et l’expression personnelle. Cette pause stratégique s’aligne parfaitement à nos valeurs fondamentales, rappelait-elle à Vogue Business, En évitant les podiums, nous soulignons également notre engagement inébranlable à consacrer le temps nécessaire à la création de collections et de produits durables. Notre décision de ne pas participer à la Fashion week de septembre est un engagement à investir dans l’avenir.” Car à courir après les financements, les prix et les programmes d’incubation, que reste-il finalement de la création ? 

29 septembre 2025

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