#FeminineEnergy : sur TikTok, le patriarcat a encore de belles heures devant lui

Rassemblant 851.7K publications sur TikTok, le hashtag #feminineenergy encourage les femmes à renouer avec leur “énergie féminine”, aussi nébuleuse et sexiste soit-elle. On décrypte.

De gauche à droite : saraduquesaa, Dria, clara julie. Crédit photo : Capture d’écran Tik Tok

Sur TikTok, tous les mois, une nouvelle trend toxique semble se dessiner. Après le SkinnyTok ou la Tradwife, voici celle de la FeminineEnergy, plus sournoise, mais tout aussi néfaste pour les femmes. Proclamés par des love coaches improvisés, des conseils pour embrasser pleinement son énergie féminine promettent de rééquilibrer l’ordre des choses, les femmes et les hommes ayant, d’après les gourous des réseaux, des énergies complémentaires. On vous le donne en mille : l’une est douce et romantique, l’autre est forte et protectrice. Le Yin et le Yang. Un discours qui se complait dans les stéréotypes de genre mais qui fait, pourtant, de plus en plus d’adeptes. 

Le sexisme des algorithmes

Inspirée de la philosophie chinoise, cette notion se caractérise, sur les réseaux sociaux, par un ensemble de règles à suivre : ne pas négliger son apparence, ne pas “se donner trop vite”, ne pas refuser l’aide des hommes, ne pas être trop pressée ou stressée, ne pas trop parler, ne pas accepter la galanterie… Des directives qui s’accompagnent aussi de mantras plus précis, qui frôlent parfois le ridicule. Sur la chaîne YouTube de Jillz Guerin, on apprend notamment qu’adopter une énergie féminine passe par le “balancement des hanches” quand, d’autres incitent à délaisser le café pour la tisane, car le café serait trop excitant, donc… masculin.

Si cela peut faire sourire, on a également pu entendre, au fil de nos recherches sur TikTok, des créatrices qui prévenaient leurs abonnées que gagner plus d’argent qu’un homme contribue à le faire se sentir menacé et que cela pourrait nuire au bon fonctionnement d’une relation. Une sorte de manuel de la séduction se dessine alors sur les réseaux, avec tout ce que cela comprenant de sexiste et d’essentialisant.

Si ces contenus sont très ouvertement sexistes, parfois, c’est plus subtil que cela. Sous couvert de développement personnel, des femmes proposent des solutions de rééquilibrage énergétique afin, simplement, de se sentir plus alignée avec sa femme intérieure (parfois payantes, allant même jusqu’à des centaines de dollars). Du moins en apparence. “J’ai failli me faire avoir. Je suis tombée sur ces vidéos à un moment où je n’allais pas bien. Je l’ai pris comme une incitation à prendre soin de soi. Quand mon algorithme a commencé à me proposer le contenu de son pendant masculin, j’ai compris que c’était stéréotypé,” se désole Rialy dans les colonnes de l’ADN. Interrogée par le même média, Elvire Duvelle-Charles, autrice du livre Féminisme et réseaux sociaux, résume : “Ces théories sont accessibles car le raisonnement est simple. Elles donnent une recette clé en main, quand la pensée féministe est complexe et nuancée. Le féminisme se résume ici à du développement personnel pour femmes. Ce contenu essentialise en attribuant des caractéristiques biologiques et innées à chaque sexe.”

@earthangelariana

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Accéder au princess treatment

Le but de tous ces contenus ? Accéder au fameux “princess treatment”, très populaire sur TikTok. Il s’agit alors d’adopter une position passive pour laisser l’homme embrasser son rôle de “provider”, et se laisser guider par celui dont l’énergie le pousse à gérer les situations pour nous. Dans une de ses vidéos, l’influenceuse américaine Jojoejoelle indique par exemple que lorsqu’elle est au restaurant avec son mari, elle “ne parle pas à l’hôtesse, n’ouvre aucune porte et ne commande pas son propre plat”. Des propos qui peuvent choquer mais qui ont pourtant été likés par plus de 100 000 personnes.

“Il faut que tu laisses ton homme diriger et être l’homme de la situation. Il a fait la réservation, il t’emmène dîner dehors, laisse-le gérer la logistique et te traiter en princesse”, explique-t-elle à ses 40 000 abonnés. Une vision rétrograde des dynamiques homme/femme que de plus en plus de jeunes filles cherchent à atteindre, le hashtag #PrincessTreatment culminant à plus de 250 millions de vues sur TikTok. De quoi inquiéter les spécialistes.

« Se filmer en train de dire qu’on laisse son compagnon tout choisir, c’est promouvoir un modèle de relation où la femme devient spectatrice de sa propre vie. Comme si être « prise en charge » équivalait à être valorisée, rappelle la psychologue Amélie Boukhobza, interrogée par Doctissimo, Ce que certaines cherchent dans cette posture, c’est une forme de sécurité, l’illusion d’être précieuse parce que choisie. Mais ce n’est pas de l’amour : c’est une idéalisation de la soumission. Quand on s’habitue à ce que l’autre décide pour nous, on finit par ne plus savoir ce qu’on veut. On se coupe de son désir, de son pouvoir d’agir. On renonce, lentement, à sa propre subjectivité.” Pour Elvire Duvelle-Charles, pas de doute : “La tradwife, l’énergie féminine glamourisent un modèle sans aborder les conséquences, comme la dépendance financière à son partenaire par exemple.”

Ces types de contenus qui encouragent à façonner la pensée de la jeunesse, et de plus en plus conservatrice au sujet des relations hommes/femmes, viennent percuter . Dans le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité publié en janvier 2024, les chiffres sont alarmants : 37 % des hommes considèrent que le féminisme menace la place et le rôle des hommes, 32 % trouvent que ces derniers sont en train de perdre leur pouvoir et dans la tranche 25-34 ans, un homme sur cinq estime qu’il est normal qu’un homme gagne mieux sa vie qu’une femme. L’étude pointe du doigt la responsabilité des réseaux sociaux dans ces dynamiques de genre, qui sont “de véritables caisses de résonance des stéréotypes de genre”.

Plus de la moitié de la population considère que femmes et hommes ne sont pas traités de la même manière sur les réseaux sociaux, score qui grimpe à 72 % chez les femmes de 15‑24 ans. Alors comme le rappelle la coach Sabrina Zohar au HuffPost américain, “pensez à ce que représente réellement une princesse : une personne qui a hérité du statut de son père, et non de ses propres réalisations. Lorsque les femmes adultes aspirent à un “princess treatment”, elles aspirent en réalité à l’impuissance.”  Et oui, bien souvent, la princesse attends, seule, enfermée dans une tour. Pas très inspirant, non ?

17 juillet 2025

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