Ce weekend encore, un collectif d’extrême droite est venu perturber la marche de Nous Toutes, sur fond de racisme.
“Le voile, c’est du sexisme, pas de l’anti-racisme”. Cette phrase provient des femen, mouvement féministe crée en 2008 en Ukraine, dont la principale figure médiatique Inna Schevchenko est connue pour ses nombreux propos islamophobes. En 2018 c’est la militante féministe Isabelle Alonso qui écrivait sur Twitter son aversion du foulard : « Le voile est un symbole. Un cheval de Troie. Un danger. Comment lutter contre sa banalisation? Lutter contre le voile n’est pas lutter contre les musulmanes. Est-ce si compliqué à comprendre ?« . Deux ans plus tôt c’est la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol qui qualifiait au micro de RMC, d’irresponsables les marques qui avaient décidé de commercialiser des burkinis et des hijabs, assurant que celles-ci faisaient « la promotion de l’enfermement du corps des femmes« . Elle ira même jusqu’à comparer les femmes qui ont choisi de porter le voile aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage« .
L’extrême droite en ordre de marche
Ce weekend à l’occasion de la marche organisée par NousToutes pour dénoncer les violences faites aux femmes, le groupe féministe d’extrême droite Némésis, s’est infiltré dans le cortège, pancartes à la main. Sur ces dernières on pouvait lire les slogans « Ma burqa mon choix », « Féministe et islamiste », « Mon voile, mon choix », « Mon Coran, mes lois ». L’objet de cette initiative : « démontré l’hypocrisie du néo-féminisme en trollant la manifestation et en se faisant passer pour des féministes islamistes », explique le collectif. « En France en 2022, on peut se dire « féministe islamiste » et manifester tranquillement mais on ne peut pas venir dans les manifs féministes si on parle de viols commis par des personnes issues de l’immigration sans se faire agresser par les manifestants et les militants antifas », écrit le groupe sur Instagram, mélangeant racisme, immigration et féminisme. Car derrière cette intervention, le collectif dit lutter contre le « laxisme migratoire et judiciaire, l’islamisme ». Nauséabond. Depuis les organisatrices Nous Toutes ont répondu à cette intervention éclair :
« Les femmes musulmanes sont victimes de violences sexistes et sexuelles, avec lesquelles s’imbriquent des violences racistes et islamophobes. Nous réaffirmons notre sororité et notre soutien à toutes les femmes, quelles que soient leurs origines, religions ou tenues vestimentaires », écrit Nous Toutes sur Twitter.
Cette action honteuse et violente entre dans leur stratégie habituelle visant à créer de la désinformation sur les discours féministes pour tenter de cliver la société contre les luttes féministes et antiracistes.
— #NousToutes (@NousToutesOrg) November 20, 2022
Le discours anti-voile éminemment choquant est impérialiste quand il est défendu par des féministes non-musulmanes d’Occident. Il suppose qu’il ne peut y avoir de moyen d’émancipation de la femme que le féminisme blanc. De ce fait, celles qui partagent cette idéologie, ne favorisent pas l’égalité des femmes, au contraire, elles ne cessent d’établir une hiérarchie entre elles. Les femmes racisées, déjà trop invisibilisées dans les combats féministes et antiracistes, subissent aujourd’hui de nouveaux mécanismes de discriminations construits par le féminisme occidental.
L’instrumentalisation du féminisme à des fins impérialistes et racistes
Au sein des campagnes féministes occidentales, le voile est devenu pour certaines le symbole de la soumission des femmes aux pères et aux frères musulmans. De nombreuses activistes et chercheuses telles que Fatima Khemilat, alertent aujourd’hui sur la dangerosité de cette idéologie qui consiste à centrer le féminisme autour des valeurs occidentales. C’est ce qu’on appelle le féminisme blanc ou “civilisateur” qui découle de l’idéologie colonialiste.
Or, contrairement à ce que ces femmes pourraient penser, les femmes musulmanes luttent contre le patriarcat dans leur communautés. L’actualité ne manque pas de nous le rappeler puisque depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022, l’Iran se soulève contre sa République islamique. Le pays juge notamment responsable la police de moeurs iranienne de la mort de la jeune femme arrêtée pour “port de vêtement inapproprié” (son voile laissait paraître quelques mèches de ses cheveux). Le peuple et les féministes d’Iran luttent aujourd’hui contre un gouvernement tyrannique et patriarcal à l’origine de lois discriminantes envers les femmes. Ces militant.es luttent notamment contre l’obligation du port du voile. Or, cette lutte, instrumentalisée par l’extrême droite pour exprimer une nouvelle fois son idéologie islamophobe, ne condamne en aucun cas l’Islam ni le voile mais l’obligation de le porter en Iran.
Le voile qui peut être analysé comme un moyen d’oppression dans certains pays totalitaires, l’est-il chez nous ? Le fait de considérer la femme voilée comme femme soumise est lui oppressant puisque c’est la priver de libre arbitre et de sa capacité à “se libérer de ses propres chaînes”. Il est temps de cesser de projeter des valeurs stigmatisantes et généralisantes sur les femmes voilées et racisées en général. Leurs combats féministes existent, et sont tout à fait légitimes même s’ils diffèrent des combats féministes occidentaux. Imposer une idéologie à ces femmes ce n’est pas combattre pour leur droit, c’est les priver de la liberté de disposer de leur corps.
Ne réduire aucun combat
Mansoureh Shoja’i, figure majeure du féminisme iranien, s’exprimait déjà il y a de cela 12 ans sur la nécessité de faire évoluer les lois qui discriminent les femmes dans le colonnes de TV5 Monde : « il est aussi urgent de travailler sur la question du libre choix des vêtements. Cela peut paraître anodin, mais c’est en fait l’abécédaire de la liberté. Quand on oblige les femmes à porter le foulard islamique, c’est une atteinte à leur intégrité. Aujourd’hui, les Iraniennes mal voilées sont l’objet de violences policières. Mais, en 1936, sous Reza Chah Pahlavi, ce sont celles qui se couvraient les cheveux qui étaient attaquées. Ce sont les deux faces d’une même médaille. C’est aux femmes de choisir ce qu’elles veulent revêtir. Quand son corps est libéré, la femme peut se libérer du reste« .
Vous l’auriez compris, entraver la liberté de porter le voile peut-être oppressant. De fait, son statut peut différer même au sein des pays musulmans. En Iran sous le hashtag « LetUsTalk », des iraniennes veulent faire entendre leurs voix, fatiguées de les voir opposées à celles des occidentales. « Pour les Occidentaux, le hijab est un symbole de liberté et de diversité mais pour nous, il représente l’oppression », souligne Mahya, jeune activiste iranienne installée à Paris depuis presque dix ans. « Pour moi, le voile est profondément sexiste. Il sépare les hommes des femmes avec toute l’idéologie qui s’ensuit. Pour le régime iranien, les valeurs d’égalité sont relatives. Il utilise le discours féministe en Occident pour légitimer et rendre obligatoire le port du voile en Iran. En Occident, j’ai peur de parler de l’islam. On est immédiatement taxé de racisme. Sauf que nous, nous savons de quoi nous parlons car nous avons l’expérience de la soumission à cette loi, d’où le hashtag Let us talk » (« Laissez nous parler », ndlr). On peut alors se demander qui a le monopole du féminisme ? Mais ca serait oublié qu’il y a autant de versions du féminisme qu’il n’y a de femmes et de combats.
La forte influence des groupes féministes islamophobes en France et à l’international
En janvier dernier, le collectif d’extrême droite Nemesis posait au Trocadéro vêtu de niqab (voile intégral couvrant l’ensemble du visage à l’exception des yeux) pour lutter contre “L’islamisation de la France” et célébrer ce qu’ils baptisèrent le #nohijabday. Le plus alarmant, c’est que cette association soutenue par le groupe génération identitaire, rassemble une majorité de jeunes étudiants.
Le cas des femen, cité plus tôt est également préoccupant puisque ce groupe vise un rassemblement à l’international. Au sein de ce collectif, des femmes seins nus ont à nombreuses reprises invité les femmes musulmanes à se dévêtir et se dénuder… comme si la nudité était la clé de la libération la femme musulmane. Ce combat ne fait en réalité que décrédibiliser et voler la voix des féministes voilées. Pire, il continue de partager une idéologie néo-colonialiste. Faut-il rappeler à ces femmes les actes honteux de dévoilement sous la pression de l’armée française en Algérie coloniale durant les années 50-60 ?
Écouter la manière dont les femmes racisées élaborent elles-même leurs luttes
Il est en réalité impossible de se dire féministe tout en luttant « contre le port du voile », car la liberté de se couvrir et de se découvrir sont les deux faces d’une même pièce. En se cachant souvent derrière le mot de “laïcité” qui n’exprime rien d’autre que la neutralité de l’Etat d’un point de vue religieux, et la liberté de croire et de manifester ses croyances dans le respect des autres, les féministes civilisatrices s’attaquent au patriarcat démesuré dans les pays musulmans comme si le sexisme n’était un problème que de l’autre côté de la Méditerranée.
Il est temps d’écouter la manière dont les femmes racisées élaborent elles-même leurs luttes. Leurs combats sont tout aussi légitimes, reconnaître le contraire c’est être le défenseur d’un féminisme colonisateur qui se construit sur la domination des femmes racisées, ici des femmes voilées. Or, un féminisme raciste et civilisateur n’a aucun sens, être féministe, c’est chercher à atteindre la convergence des luttes (sexisme, racisme, capitalisme, impérialisme) sans quoi l’égalité et le vivre ensemble ne seraient possible.
Pour rappel, nous perpétuons en réalité tous des mécaniques sexistes et racistes puisque nous sommes imbibés dans une société patriarcale, capitaliste et impérialiste. Le but n’est pas de se soustraire à ce problème, mais d’en prendre conscience pour tenter de l’éradiquer. Car en défendant le dévoilement des femmes vous défendez ça : « les gens ont changé, moi je n’ai jamais vu quand j’avais 18 ans dans mon quartier des filles voilées, en particulier des Algériennes. On trouvait plutôt les filles sexy. Vous vous rappelez les ‘’beurettes’’ et tout. Attendez, maintenant elles sont voilées ». Cette citation a été prononcée par Robert Ménard en octobre 2021 sur le plateau de la chaîne LCI.
Il faut faire attention à ce que nous défendons, pour ne pas faire du féminisme l’héritier du colonialisme. Toutes les femmes voilées n’ont pas besoin d’être libérées, certaines s’en chargent.
21 novembre 2022