La créatrice nigérienne présentait son premier défilé solo à Paris lors de la dernière Fashion Week.
En juin 2020, Mowalola Ogunlesi, jeune créatrice originaire de Lagos au Nigeria, rejoint Yeezy et Gap pour devenir directrice du design de la nouvelle collab entre le rappeur et la marque lifestyle américaine. Alors âgée de 25 ans, la jeune femme est propulsée sur le devant de la scène mode. Mais avant de débarquer dans cette nouvelle aventure, celle qui voulait devenir chirurgienne plastique à la sortie de l’université, avait déjà sa propre marque. Un label qu’elle avait mis en stand by en raison de ses nouvelles missions chez Yeezy Gap. Deux ans après ses débuts aux côtés de Kanye West, Mowalola Ogunlesi vient de faire son grand retour, en solo cette fois, et avec sa griffe éponyme. Ne travaillant plus pour Yeezy Gap, elle a décidé de se consacrer de nouveau à son label éponyme, inaugurant à Paris, le 25 juin dernier, son premier défilé. Un événement qui s’est tenu en dehors du calendrier officiel de la Fashion Week mais qui a rassemblé la scène mode de la capitale.
Passionnée de chirurgie esthetique
La mode est une affaire de famille chez les Ogunseli. Sa mère et sa grand-mère travaillaient toutes deux pour une marque familiale lancée dans les années 80. Son père lui, confectionne des habits traditionnels nigérians pour hommes. Son appétit pour la création lui est alors venue très vite, même si comme elle l’explique dans les colonnes de SSENSE, il a fallu combattre certains schémas bien ancrés de la société nigériane. “(…)au Nigéria, ils ne voient pas la mode comme une chose sur laquelle on devrait dépenser de l’argent, comme pour les études ou se perfectionner (…) Nous avons besoin de ça au Nigéria, parce qu’ils (les parents) craignent vraiment que leurs enfants n’aient pas de succès. L’argent est le moteur de la société. Avoir des enfants qui font des trucs créatifs transforme leur monde.”, explique-t-elle.
À l’âge de 12 ans Mowalola déménage en Angleterre. Outre-Manche, elle se découvre un intérêt pour la chirurgie plastique. Biberonnée à la série Nip/Tuck, elle aiguise son oeil autour de la découpe des corps. Ses deux passions, la mode et la chirurgie plastique, elle va les mêler dans ses créations qu’elle peaufine en entrant à la prestigieuse école de mode londonienne, la Central Saint Martins. Durant les trois premières années de son cursus, Mowalola travaille pour Grace Wales Bonner, autre créatrice basée à Londres et fille d’une Anglaise et d’un Jamaïcain. À ses côtés, elle apprend à faire d’une collection un véritable récit. Ce mentorat lui permet en 2017 de confectionner sa première collection intitulée “Psychedelic” et qu’elle présentera à l’occasion du traditionnel défilé de fin d’année de la CSM. Elle y raconte l’histoire “du mâle noir africain, de sa culture, de sa sexualité et de ses désirs”. La collection est aussi un hommage au rock psychédélique nigérian des années 70. Crop-tops pour hommes, lingerie en dentelle et pantalons en cuir façon motard dessinent la mode de Mowalola.
Mais peu après son entrée en Master, elle abandonne les cours pointant du doigt le manque de diversité et d’ouverture d’esprit au sein de l’établissement britannique. “Ils sont juste un peu dépassés. Il n’y a pas beaucoup de variété en ce qui concerne l’enseignement. Tout le monde est blanc, britannique. Ou, comme, blanc européen. Il n’y a pas vraiment de gens de couleur qui nous enseignent”., confie t-elle. Mais c’est aussi à la Central Saint-Martins qu’elle nourrira son envie de fonder son label, de peaufiner son individualité.
Robe de balles
En juin 2019, suite au succès de sa première collection, Mowalola participe à un défilé de l’incubateur Fashion East. Elle s’y fait remarquer pour ses bodies en cuir découpés, ses ensembles de motards ultra colorés, ses imprimés zébrés. Mais c’est une autre pièce, qui dénote avec l’overdose de couleurs, qui fera le plus parler. Une robe blanche immaculée est ornée d’un impact de balle sanglant. Portée plus tard par Naomi Campbell lors d’une soirée de gala, elle déclenchera les critiques de l’opinion publique qui accusent la créatrice de glamouriser les armes à feu. “Cette robe est extrêmement émotionnelle pour moi – elle crie mon expérience vécue en tant que personne noire.”, expliquera Mowalola peu après dans un communiqué sur Instagram. “Cela montre que, peu importe que l’on soit bien habillé ou que l’on se comporte bien, nous sommes toujours considérés comme une cible ambulante.”, renchérit-elle.
Ses prises de positions aussi puissantes qu’explicites lui ont depuis valu l’intérêt de plusieurs artistes musicaux. Solange Knowles, Steve Lacy, Drake ou encore Skepta, louent ses services, de quoi attirer le regard de Kanye West qui finit par approcher la créatrice. Pour l’habiller lui-même tout d’abord, puis pour parfaire le vestiaire de son ex-femme Kim Kardashian ainsi que celui de leurs enfants dans le cadre d’un shooting à l’occasion de la fête des pères. Conquis par l’univers de la jeune femme, il lui propose en juillet 2020 de le rejoindre à la direction créative de sa nouvelle collaboration avec Gap.
Son grand retour à Paris
Depuis, Mowalola a quitté le navire du capitaine Kanye West. Avec l’envie de s’affranchir de toutes limites, même de celles d’une marque comme Yeezy qui se veut pourtant sans frontière créative. Mais comme dans chaque grande entreprise, les règles et les process restent parfois présents. “Je préfère être capable de créer sans aucune sorte de restriction. Cette expérience m’a donné confiance pour trouver ma propre voix et comprendre comment travailler à ma façon. J’étais donc prête à passer à autre chose.”, expliquait-elle à Vogue Business à quelques heures de son premier défilé à Paris.
Intitulée “Burglar wear”, sa nouvelle collection présentée au coeur de la capitale française est inspirée par les voleurs. Des traders officiant à Wall Street en passant par les escrocs du net. En plein coeur du théâtre de l’Élysée Montmartre, banquiers en col blanc, et”Yahoo boys”, ces hackers originaires de Lagos, défilent. “Où que vous alliez, vous êtes entourés de voleurs. La personne à côté de vous, en face de vous, et même celle qui se trouve dans le miroir. Après tout, ce qu’il faut pour prendre à quelqu’un d’autre n’a pas grand-chose à voir avec un certain type de personnalité ou un choix particulier – il s’agit plutôt d’accéder à un état d’esprit qui nous habite tous”, détaille Mowalola dans la note de son défilé. Son fameux cuir noir ou blanc à découpes vient se mêler à des ensembles à cagoules et à des vestes de motard ornés de yeux. Des robes religieuses arborant des crucifix et exhibant la poitrine se conjuguent à des robes avec des bras et des visages muselés. Un clin d’oeil au fétichisme et à la soumission mais aussi au kidnapping. Une collection qui interroge les notions de vol, et qui explore également ce que cela signifie d’être volé.
5 juillet 2022