Plateformes de mode de seconde main : quand la passion tourne à l’addiction

Plusieurs études s’accordent : les applications spécialisées dans la seconde main comme Vinted ou Depop seraient aussi addictives que les réseaux sociaux. 

Crédit photo : Campagne Depop

Si, à l’origine, les Vinties et autres chasseuses de vintage en ligne cherchaient des pépites pour des prix toujours plus attractifs, elles auraient, selon plusieurs sources, rapidement développé des habitudes d’achat compulsif. “Au début, mon utilisation de Vinted était innocente. Adepte de la mode vintage, c’est-à-dire rétro, les vêtements des années 1960, 70, 80, 90 me fascinaient, confie la journaliste Yasmine Khiat à Philosophie Magazine, L’application me facilitait donc la vie et multipliait mes chances de dénicher la perle rare à tout moment de la journée. Fini les vide-greniers, je brocantais en ligne. Je m’abonnais à des comptes, qu’on appelle les « vinties », et je découvrais des dressings remplis de magnifiques pièces. L’achat s’effectue en un clic, donc je devais être réactive. Je n’étais pas la seule et les articles se vendaient très rapidement. Mon obsession sur Vinted était : faire des bonnes affaires ! Alors j’ai acheté…” 

Consommer mieux pour consommer plus ? 

Plus grand vendeur de mode en France d’après l’Institut Français de la Mode (IFM), Vinted compte plus de 23 millions d’utilisateurs en France (chiffres de 2024), soit un Français sur trois. Rédigeant actuellement une thèse sur “l’impact de la passion pour l’achat de vêtements et d’articles de mode sur les plateformes de seconde main”, la chercheuse Marie Boudi met en lumière la “passion obsessive” des utilisateurs de la plateforme pour les bonnes affaires et explique pour Fashion United les mécanismes qui les poussent à penser  : “J’ai plus de pouvoir d’achat sur ces plateformes d’occasion, je peux me faire un peu plus plaisir. Les prix sont attractifs et il y a du choix.” Un peu comme la fast-fashion finalement, la culpabilité en moins. “La satisfaction et l’excitation rencontrées au cours du parcours d’achat sont des sentiments que ces consommateurs veulent à chaque fois retrouver et qui poussent à sur-consommer sur ces plateformes« , poursuit la doctorante.

Avec de nouvelles offres à chaque minute de la journée, Vinted réussit même à battre les multiples drops de SHEIN et autres Temu, car l’application se base sur les ventes de ses propres utilisateurs, qui ont la possibilité de convertir leur argent en crédit à dépenser sur l’application. Rappelons qu’en 2019, en France, il se vendait 2,2 articles par seconde sur le site qui compte plus de 300 millions de pièces. “Je jouais à la vendeuse comme on joue à la poupée. Sans m’en rendre compte, j’étais devenue accro. Vinted est un cercle vicieux : j’achète donc je vends et je rachète pour revendre et ainsi de suite, relate Yasmine Khiat, Et quand un utilisateur achète un article, l’argent n’est pas directement reversé sur un compte bancaire, il est transféré sur un porte-monnaie virtuel. Je soupçonne ce porte-monnaie Vinted d’être l’une des causes de mon addiction : j’achetais des vêtements avec l’argent de la vente de vêtements… la boucle était donc bouclée.”

Oscillant entre profil vendeur et acheteur, l’utilisateur consacre ainsi énormément de temps à la plateforme, que ce soit pour scroller ou pour être disponible pour ses clients potentiels. À cela s’ajoute un renouvellement permanent qui s’accompagne de notifications régulières poussant les utilisateurs à garder un œil sur leur application en permanence. Après tout, il ne faudrait pas que cette pépite mise dans les favoris ne s’envole. “C’est comme de la drogue, le cerveau en veut toujours plus ! Ça rend heureux quelques instants, et puis ça passe, et il faut recommencer, raconte Rébecca Berlana, assistante maternelle en phase de désintoxication, au Monde, Je me souviens qu’un jour où, après avoir fait un gros tri dans mes placards, j’avais réussi à me faire 2 000 euros. Je pensais me servir de l’argent pour autre chose, mais j’ai tout redépensé. Quand on cherche un vêtement précis, il en existe 10 000 exemplaires, en des dizaines de couleurs, et on finit par se faire happer. C’est comme les réseaux sociaux : on sait quand on y entre, on ne sait pas quand on en ressort. À la fin, j’empiétais même sur le découvert du budget familial pour acheter. Le côté déculpabilisant de la plate-forme a fait perdurer mon addiction à la mode.”

@norakahaale

J’arrive pas à croire que j’ai trouvé le premier sac pour 5 EUROS !!!!? #vintedhaul #vintedfinds #vintedbrands #thrift #rentrée

♬ Sweat and Hustle – The Brazilians of Bossa Nova

Un réseau social de plus ? 

Après tout, les applis comme Vinted ou Depop, ont tout d’un réseau social : des photos à foison, une communauté identifiée sous le nom de “Vinties”, du contact en DM avec les vendeurs et acheteurs, des notifications par dizaines, des hashtags et une mise en scène – non pas de soi, mais du vêtement -, pour rendre son contenu plus attractif. On follow, on unfollow, on like, on tag, on stalke. Ici aussi, les avis et le nombre d’abonnés suffisent à faire et défaire une réputation sur la plateforme. Et l’image compte tout autant que sur Instagram : “Comme on est dans une société de comparaison et d’apparence, en seconde main, on recommence à avoir les mêmes comportements qu’en fast fashion : l’achat compulsif, la recherche du petit prix, mais pas de la qualité, rappelle Loren Fascianel, coach en mode consciente, également pour Le Monde, Il y a la même excitation, la même frénésie à afficher de nouveaux looks. C’est un vrai problème sociétal.” Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Vinted partage le podium avec SHEIN à la première place des sites de mode préférés des 15-24 ans, d’après un rapport de Kantar WorldPanel. 

Au fil de ses entretiens, Marie Boudi entend régulièrement : “J’ouvre Vinted comme j’ouvre un réseau social”. Une des personnes interrogées dans le cadre de son mémoire l’avoue : “Quand je suis dans un bus, que j’attends le métro, ou que je suis dans un transport, si je ne sais pas quoi faire, j’ouvre Vinted et je scroll pour regarder ce qu’il y a sur l’application.” Consacrant un épisode à Vinted, la série Dopamine d’Arte le rappelle : “Ces applications sont conçues à la base pour sécréter dans ton cerveau la molécule responsable du plaisir, de la motivation et de l’addiction : la dopamine. (…) L’objectif de Vinted, c’est que les acheteurs achètent le plus possible car l’entreprise touche une commission sur chaque achat. Ils vont tout faire pour te rendre complètement accro.”

Des signes de dépendance qui ont alerté la Commission européenne, qui prépare actuellement une nouvelle législation sur l’équité numérique, visant à renforcer la protection des consommateurs dans l’univers en ligne. Cette initiative entend notamment encadrer les designs addictifs des plateformes, les interfaces trompeuses ou manipulatrices, ainsi que certaines pratiques abusives de personnalisation. Initié par une consultation lancée en juillet dernier et dont la fin est prévue pour octobre prochain, le prochain rapport de la commission pourrait bien modifier la manière dont Vinted et consoeurs approchent leur clientèle. Et les pousse à la consommation, même sous couvert de responsabilité.

9 septembre 2025

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