Drames familiaux, départs inattendus, trahisons et milliards dérobés… L’actualité des dynasties des grandes maisons du luxe a tout du scénario d’un soap opera. Et en ce moment chez Estée Lauder, Vivienne Westwood ou encore Hermès, rien ne se passe comme prévu.
Ce jeudi 14 novembre, LVMH a connu un grand remaniement que l’on pourrait résumer en un mot : népotisme. En bon patriarche, le propriétaire et président du groupe, Bernard Arnault, tient à assurer la lignée de son entreprise et place ses cinq enfants à des postes clés. Alors qu’Alexandre Arnault, 32 ans, a été promu directeur général adjoint de la branche vins et spiritueux après avoir officié pour le joaillier Tiffany & Co, Frédéric Arnault, 29 ans, a été nommé directeur général délégué de la Financière Agache, qui contrôle le groupe LVMH. Tous deux intègreront également le prestigieux conseil d’administration de l’entreprise dès janvier 2025. Delphine, 49 ans, est PDG et présidente de Christian Dior Couture ; Antoine, 47 ans, est responsable image et environnement du groupe LVMH et Jean, 26 ans, directeur du marketing et du développement des montres Louis Vuitton. Pour Bernard Arnault comme pour Roy Logan, pater familias de la série Succession, pas de doute : la famille passe avant tout.
Vivienne Westwood : Quand la famille claque la porte
Ils sont d’ailleurs nombreux à suivre le même mantra. Après tout, dans un monde peuplé de requins, a qui d’autre peut-on faire confiance ? Décédée en 2022, Vivienne Westwood illustre bien cette façon de penser son héritage… mais aussi les limites que comportent une approche familiale. Nommé à la direction de la société peu avant la mort de la Britannique en décembre 2022, son ami et mentor Jeff Banks a été évincé de l’entreprise en juillet 2024. En cause ? Des désaccords sur la direction que prenait l’entreprise et des « craintes que l’héritage de son fondateur ne soit menacé ». C’est d’ailleurs un sujet qui revient régulièrement sur la table lors des réunions Westwood.
En octobre dernier, c’est au tour de Cora Corré, petite-fille de la défunte créatrice, de quitter la griffe pour se concentrer sur la Vivienne Foundation, motivée par les mêmes raisons. “Dans les années précédant le décès de ma grand-mère, elle était profondément insatisfaite de la manière dont l’entreprise était dirigée”, rappelle la jeune femme, qui estime que sa position était “devenue intenable”. Profondément opposée à la gestion du PDG, Carlo D’Amario, qu’elle juge “trop commerciale et superficielle”, Cora Corré détaille son choix dans un long post Instagram : “Bien que la société porte le nom de ma grand-mère, je n’ai pas l’impression qu’elle reflète ses valeurs”, résume-t-elle. L’héritière ayant déserté, reste le veuf de la styliste, le créateur autrichien Andreas Kronthaler, pour tenter de maintenir un semblant d’héritage familial. Où quand on lave son linge sale pas en famille, mais qu’au moins c’est du VW.
Estée Lauder : Trahison familiale
Une position de navigateur solo qu’envient probablement les membres de la descendance d’Estée Lauder. Vingt ans après la disparition de la reine des cosmétiques américaine, les héritiers de l’entreprise familiale se déchirent sur fond de problèmes financiers. En effet, en août dernier, Estée Lauder a annoncé une baisse de 2% de ses ventes organiques pour l’année et anticipe déjà des perspectives de ventes et bénéfices “décevantes” pour 2025. Une situation critique pour la marque, déjà gangrenée de tensions familiales. Pilier de l’entreprise depuis 1996, Jane Lauder, petite-fille de la fondatrice, a quitté l’entreprise, après avoir avoir été écartée du poste de PDG au profit de l’outsider Stéphane de La Faverie.
Peu de temps après, Estée Lauder subit un nouveau départ : celui de William Lauder, qui quitte son poste actuel de président exécutif de la société (tout en restant président du conseil d’administration). “Ma décision de me concentrer uniquement sur mon rôle de président du conseil d’administration représente une évolution importante pour la famille Lauder« , relate l’héritier dans un communiqué de presse, “En tant que famille, nous restons engagés envers cette entreprise incroyable et continuons à considérer notre investissement sous l’angle du capital patient à long terme.”
Mais, coup de théâtre, si l’homme d’affaire ne cesse de répéter le mot famille, c’est bien cette dernière qui semble l’avoir trahi. Le départ de William ne serait en effet pas de son propre chef, mais encouragé par une lettre envoyée en secret par sa propre cousine, demandant à ses collègues administrateurs de le remplacer au poste de président exécutif et l’accusant de “détruire la société”, comme le rapporte le Wall Street Journal. Rappelons cependant que quatre héritiers continuent de siéger au conseil d’administration composé de 15 membres et que la famille détient toujours 38% des parts de la compagnie.
Hermès : Où est passé l’oseille ?
Que se passe-t-il lorsque l’on fait confiance à des outsiders ? Si l’on pose la question à Nicolas Puech, principal héritier de Hermès, il ne nous répondra sûrement « rien de bon ». En effet, d’après un article de France Live, l’arrière-petit-fils de Thierry Hermès – détenant 5,7% des parts du géant de la maroquinerie -, affirme que ses actions, qui s’élèvent à plus de 12 milliards de dollars, ont été volées. Une fortune qui, sans femme ni enfant, il voulait léguer à son jardinier de 51 ans. L’octogénaire suspecte alors son ancien gestionnaire de fortune, Eric Freymond, d’être le responsable. Dans la foulée Nicolas Puech dépose plusieurs plaintes à l’encontre de celui qui l’a conseillé pendant une vingtaine d’années. Seulement, à la mi-juillet 2024 le verdict tombe : plainte rejetée, la Cour d’appel de Genève ayant estimé que l’héritier a géré sa fortune avec nonchalance. La justice a également souligné que Nicolas Puech avait signé des documents en blanc et donné un accès total à ses comptes bancaires à son gestionnaire de fortune, ne pouvant retenir contre lui l’argument de la malhonnêteté.
Mais où est donc passé l’oseille ? Initialement déposées dans une banque genevoise en 2012, ces actions étaient des titres au porteur, ce qui signifie qu’elles n’étaient associées à personne en particulier, appartenant donc à la personne qui les détient. Le riche héritier s’est d’ailleurs aperçu de cette disparition alors qu’il souhaitait faire un changement dans son testament, et transférer son legs de sa Fondation Isocrate, consacrée au soutien du journalisme d’investigation, à son jardinier marocain et à sa femme. En effet, sans enfant ni conjoint, l’arrière-petit-fils de Thierry Hermès avait décidé d’adopter son ancien employé pour lui léguer la moitié de sa fortune. Malheureusement pour l’homme de 81 ans, plus de trace de ladite fortune.
Et la famille héritière d’Hermès ne semble pas vouloir jouer au Cluedo. Et pour cause, elle suspecte le jardinier et sa femme d’avoir une emprise sur Nicolas Puech. On apprend aussi sur le média Blick, que le duo aurait «notamment reçu plus de 54 biens immobiliers, argent et cadeaux, pour un montant minimal de 60 millions de francs suisses», dont «une villa à Montreux, d’une valeur de 4,7 millions de francs suisses», offerts gentiment par (Saint) Nicolas.
Une ombre de plus au tableau de Puech, l’héritier« rebelle » qui en 2011 s’était déjà attiré les foudre du clan Hermès. En opposition à son frère Bertrand Puech, Nicolas se serait dit favorable à une vente des actions d’Hermès à LVMH. Malheur aux pays des riches.
Une saga ahurissante qui s’inscrit dans un contexte de tensions avec d’autres grands noms du luxe : les Arnault. En accumulant discrètement des actions du groupe (et avec le soi-disant appui de Puech), Bernard Arnault était en effet parvenu à détenir jusqu’à 23 % du capital de Hermès, semant le trouble au sein de la famille Hermès, qui refusait de voir l’entreprise passer dans les mains de LVMH. Finalement, après avoir été condamné en juillet 2013 à une amende de 8 millions d’euros par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour être entré secrètement au capital de son concurrent, le groupe a revendu la totalité de ses actions Hermès à ses ayant-droits. Réalisant, au passage, une plus-value nette de 2,4 milliards d’euros. Comme quoi, dans le luxe, il ne vaut mieux que ça ne sorte pas de la famille.
20 novembre 2024